...

En Belgique, l'eskétamine (Spravato) a reçu une autorisation de mise sur le marché en juin 2021. La Dr Laurence Jeunieaux, psychiatre responsable au CHU Charleroi de l'unité Dépression, a supervisé la mise en place du plus grand nombre de patients sous eskétamine dans notre pays: "Fin 2019, nous avons traité le 1er patient en Belgique dans le cadre d'un usage compassionnel de l'eskétamine pour le traitement de la dépression résistante."Les critères d'inclusion décrits par l'AFMPS prévoient que "l'eskétamine soit utilisée en association avec un SSRI/IRSN, pour le traitement de la dépression résistante aux traitements (trouble dépressif majeur) chez les adultes qui n'ont pas répondu à au moins deux traitements différents par antidépresseurs au cours de l'épisode dépressif modéré àsévère actuel". La tension artérielle doit être stabilisée (<140/90 ou 150/90 si >65 ans). "Le passage de la kétamine IV à l'eskétamine intranasale a permis une approche centrée sur le patient (voie non invasive, facile à utiliser): l'eskétamine est bien tolérée, son absorption systémique est rapide, elle a une affinité plus élevée pour les récepteurs NMDA, ce qui permet des doses plus faibles.""Pendant la première phase d'usage compassionnel donc intrahospitalier, les patients étaient hospitalisés un mois. A partir de juin 2021, la commercialisation du produit a permis une administration en ambulatoire. L'eskétamine est destinée à être administrée par le patient à l'aide d'un double vaporisateur nasal en position semi-inclinée, sous la supervision d'un professionnel de la santé jusqu'à ce qu'il soit prêt à partir. Celanécessitedonc un cadre médicalisé et une surveillance de 90 minutes", précise-t-elle. La dose est de 28mg (1 spray), 56mg (2 sprays) ou 84mg (3 sprays). On ne peut pas manger deux heures avant, pas boire 30 minutes avant (pas d'alcool 24 h avant et après la médication) et pas conduire le lendemain. Pendant la phase d'initiation, il y a deux séances d'eskétamine/semaine pendant quatre semaines. Ensuite, une hebdomadaire pendant quatre semaines, suivie par un espacement progressif en fonction de la réponse clinique (qui peut durer 6 mois). "Les effets secondaires les plus courants, la sédation, la PA augmentée et la dissociation, montrent un pic après 40 minutes et une résorption en une heure et demie. Ils sont légers à modérés, diminuent en intensité au fil du temps, et sont prédictifs (toujours les mêmes pendant les trois premières administrations). La dissociation (environnement, position, stimulations sensorielles...) peut être vécue comme désagréable, angoissante, mais elle concerne peu de patients, ils ressentent plutôt une euphorie légère."A Vincent Van Gogh, l'équipe du Dr Jeunieaux a pris en charge 45 patients (71% de femmes, âge moyen 51 ans), au profil sévère (polymédiqués, électrochocs, résistants au traitement...). "On a observé une fréquence des effets secondaires un peu différente de la théorie: 75% ont des expériences dissociatives d'intensitélégère (euphorie, déconnexion...) et 15% plus intenses, certaines négatives avec de la décorporation, des hallucinations et de l'anxiété et d'autres riches avec un effet de voyage, d'introspection, plus psychothérapeutiques. Par rapport à cet effet-là, la réassurance, la présence d'une infirmière sont en général suffisantes", confirme la psychiatre. "L'environnement influence l'expérience: les patients cherchent un endroit cosy où il y a peu de stimulations sensorielles. Beaucoup ont rapporté des expériences désagréables lorsqu'il y a du bruit dans les couloirs, trop de lumière... De nombreux patients ressentent de la somnolence et une disgueusie"."Nos résultats sont un peu en dessous de la littérature, la réponse rapide théorique n'a pas toujours été vérifiée en pratique, mais nos patients sont plus sévères. Dans l'usage commercialisé, il faut que le patient ait une réponse après le premier mois d'administration. Or, notre expérience nous a montré que dans certains cas, il y a intérêt à prolonger au-delà", constate la Dr Jeunieaux. "Par ailleurs, la réponse ou la rémission n'est pas stable dans le temps: certains oscillent entre réponse et rémission ou rechute. Pour un quart des patients, on a dû revenir à une administration plus rapprochée. Certains se sont dégradés au moment où on espace les administrations. La difficulté c'est l'arrêt du traitement parce qu'il y a la peur d'une rechute. On propose donc une discontinuation progressive." Au total, 82% ont tiré un bénéfice de ce traitement à l'eskétamine (dont 28% sont en rémission et 72% ont une réponse) et 18% ont arrêté le traitement. "Quand arrêter? Par manque de bénéfice après 2-4 mois. Les patients répondent mieux à l'eskétamine si l'épisode dépressif dure depuis moins d'1 an: plus la maladie est installée depuis longtemps, moins il y a d'effet, ce qui est logique, il n'y a aucun traitement magique!""Notre expérience concerne un petit échantillon, il est donc difficile d'extrapoler mais elle est encourageante, la plupart ont un bénéficie au-delà d'un mois administration, il y a donc un intérêt à continuer à accompagner ces patients", conclut Laurence Jeunieaux.