Dans ses propositions pour la santé en vue des élections, le MR s'attaque au problème de désertification médicale qui touche certaines communes. Pour rééquilibrer l'offre médicale, le parti libéral envisage d'abord des incitants financiers, puis une obligation d'installation dans les communes en pénurie. La Délégation des médecins francophones en formation réagit et dénonce une annonce populiste.
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Ce week-end, ça bouillonnait chez les médecins en formation. Et pour cause: un peu plus tôt dans la semaine, le MR a publié sur son site internet ses propositions pour l'avenir, en vue des scrutins de juin et octobre prochains. Sur le volet santé, le parti libéral défend "des soins de santé accessibles et bien répartis sur notre territoire". Est clairement pointée du doigt la pénurie de certaines spécialités, dont la médecine générale, dont souffrent de nombreuses communes en Belgique. Et le MR veut se donner les moyens d'en venir à bout. Des incitatifs financiers sont d'abord envisagés par le parti: "Les médecins sont rémunérés pour partie avec de l'argent public. Pour le MR, il n'est donc pas illogique de pallier les manques en instaurant un bonus au médecin stagiaire qui déciderait de s'installer dans les zones déficitaires." Mais on lit ensuite que des coercitifs pourraient aussi intervenir: "Si l'octroi de ces moyens incitatifs ne venait pas à rencontrer les objectifs poursuivis, il faudrait alors se résoudre, dans certains conditions et pour une certaine durée, à consacrer l'obligation d'installation dans les zones déficitaires." La pilule a du mal à passer du côté des jeunes médecins. La Délégation des médecins francophones en formation (Demeff) a rapidement réagi: "Imposer un lieu d'installation va à l'encontre de la liberté professionnelle, essentielle à la pratique médicale. Il est primordial de respecter le choix des médecins, influencé par des considérations personnelles et professionnelles."La pénurie ne s'explique effectivement pas par un manque en nombre brut de médecins. Comme le relève l'Aviq dans son récent cadastre des médecins généralistes en Wallonie, le nombre de médecins actifs est en constante augmentation depuis 2016. Ce n'est toutefois pas le cas en province de Luxembourg, où la situation reste critique dans la majorité des communes. Mais le profil des médecins évolue (l'âge moyen des médecins, entre 2016 et 2022, est passé de 53 ans à 48 ans ; le ratio hommes/femmes est pratiquement inversé entre la tranche d'âge des 65 ans et plus et celle des 25-34 ans), et la pratique suit cette évolution: les jeunes médecins veulent des horaires de travail plus en adéquation avec leur vie privée et familiale, et surtout les femmes (malgré un âge moyen de 55 ans chez les hommes, ceux-ci prestent en moyenne une demi-journée de pratique par semaine en plus que les femmes, dont l'âge moyen est de 42 ans). Le MR se dit conscient de ces raisons. Le Dr Yannis Léon Bakhouche est conseiller en politique de santé auprès du président du MR, Georges-Louis Bouchez. Il a participé à l'élaboration des lignes directrices contestées par la Demeff. "En tant que médecin généraliste, je comprends parfaitement l'importance de l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale pour les jeunes médecins. C'est une considération légitime qui influence souvent leurs décisions d'installation. Cependant, il est également utile de reconnaître l'impératif de fournir des services de santé adéquats dans toutes les régions, y compris celles confrontées à des pénuries de personnel médical. En conséquence, il peut y avoir des circonstances où une obligation d'installation dans ces zones déficitaires est nécessaire pour garantir l'accès aux soins de santé pour tous les citoyens." Conclusion du Dr Bakhouche: "La santé est un bien commun, et la solidarité sociale implique parfois des sacrifices individuels pour le bien-être collectif."Restriction à la liberté d'entreprise au nom de la solidarité sociale: le MR viendrait-il d'être pris la main dans le sac à faire du socialisme? La stratégie pourrait être électoralement profitable du côté des patients, mais plus difficilement du côté médical. Le mois dernier, à l'occasion de l'enquête politique menée par le journal du Médecin, les médecins francophones s'exprimaient pourtant largement en faveur du MR, qui remportait un large 42% d'intentions de vote, devant Les Engagés (15%), Écolo, DéFI et le PS (respectivement 5%, 5% et 3%). La tendance à droite était encore plus marquée en Flandre (47% d'intentions de vote pour la N-VA, 9% pour le CD&V et 8% pour l'Open VLD). La Demeff regrette de ne pas avoir été consultée avant la publication des propositions du parti libéral. "Dans cette période électorale, nous sommes prêts à dialoguer avec les parties prenantes pour élaborer des stratégies respectueuses des professionnels de santé. Nous demandons aux différents partis d'éviter les solutions populistes, d'allure-facile, et court-termistes", plaide le Dr Alexandre Niset, coprésident UCLouvain de la Demeff. La Délégation ne se positionne pas contre les approches incitatives, qui font partie de l'arsenal envisagé par le MR. "Des programmes de bourses ou de subventions pourraient être mis en place pour soutenir les médecins qui choisissent de s'installer dans des zones déficitaires", développe Yannis Bakhouche, qui est également tête de liste MR à la commune de Saint-Gilles pour le scrutin d'octobre. "Ces incitations financières pourraient être conditionnées à un engagement de travailler dans la région en pénurie pendant une certaine période."Mais au cas où les incitatifs ne suffiraient pas, le MR a prévu des coercitifs en renfort: "Les professionnels de la santé ont un rôle social important à jouer, cela peut impliquer des obligations envers les communautés où la demande de services médicaux est élevée. Nous avons une responsabilité envers le bien-être de la population." Quelle forme pourrait donc prendre cette obligation d'établissement en commune en pénurie? "Les médecins pourraient être tenus de signer des contrats d'engagement de service avec les autorités de santé communales, s'engageant à exercer dans une zone déficitaire pendant une période déterminée", dévoile le Dr Bakhouche, tout en précisant une éventuelle compensation: "en échange d'avantages tels que des incitations financières, des logements subventionnés ou des remboursements de prêts d'études".Rien qui rassure la Demeff, qui s'inquiète de l'impact sur les soins eux-mêmes: "La contrainte d'installation pourrait avoir des répercussions négatives sur le bien-être des médecins et sur la qualité des soins", explique le Dr Niset. "La satisfaction professionnelle est intrinsèquement liée à la qualité des soins prodigués. Forcer les médecins à travailler dans des environnements où ils ne se sentent pas pleinement engagés ou satisfaits pourrait compromettre leur bien-être mental et physique, ce qui, en retour, affecterait la qualité des soins offerts aux patients". Et de citer l'exemple français, où des discussions sur des mesures de coercition ont également eu lieu. "L'expérience française souligne le risque de découragement des médecins, qui pourraient choisir de quitter la profession ou de s'exiler si contraints à une installation non désirée."En Wallonie, d'après les propos du MR, ces mesures de coercition pourraient intervenir pendant la période de l'assistanat des médecins généralistes. "Pendant cette période, les étudiants en médecine seraient tenus de passer une partie de leur formation clinique dans des zones déficitaires. Cela leur permettrait d'acquérir une expérience pratique dans ces régions et de les inciter éventuellement à s'y installer par la suite." Le conseiller santé du MR précise encore que les médecins en formation ne seraient pas les seuls visés par une éventuelle obligation d'installation en commune en pénurie: "À la fin de leurs études médicales, les médecins pourraient être tenus de signer des contrats d'engagement de service dans des zones déficitaires, toujours en échange d'avantages." Chez les médecins en formation, on a peur de voir se mettre en place un système analogue à celui de l'installation des officines pharmaceutiques. Le MR veut rassurer sur le fait que ce ne sera pas le cas: "Les médecins et les pharmaciens exercent des professions distinctes avec des responsabilités différentes."La Demeff invite le politique à un travail approfondi sur des solutions durables, qui abordent les causes profondes de la mauvaise répartition des médecins, telles qu'une réforme des soins de santé primaires, l'augmentation des quotas de médecins et la création de pôles de santé en zones sous-dotées. "Une réflexion profonde sur les causes de désertification médicale et sur les solutions à y apporter est indispensable". L'Aviq estime que la situation idéale serait qu'il y ait un ratio de 90 médecins généralistes pour 100.000 habitants dans chaque commune. Pour arriver à combler le déficit actuel, il faudrait donc 145 généralistes supplémentaires en Wallonie. Ce chiffre est très certainement sous le besoin réel de généralistes. En effet, l'Aviq précise que 585 médecins actifs avaient plus de 65 ans en 2022, dont 283 qui avaient plus de 70 ans et qu'il faudra probablement remplacer dès 2023-2024. Le total réel des besoins grimpe alors à 730 médecins généralistes supplémentaires, ventilés de la sorte: 66 en Brabant wallon, 67 en province de Luxembourg, 88 en province de Namur, 214 en province de Liège, et 294 dans le Hainaut. La carte ci-contre détaille la densité médicale par commune. Les communes avec la plus faible densité sont Lobbes, Froidchapelle, Hélécine, Berloz, Baelen, Houffalize, Vaux-sur-Sûre, Chiny, Rouvroy et Musson.