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Commençons par baliser rapidement le terrain. Les formes monogéniques d'obésité, si elles existent bel et bien, ne concernent pas le "gros" de la population obèse (si vous nous pardonnez le jeu de mots). La maladie qui catapulte actuellement dans le rouge (BMI > 30 kg/m2) l'aiguille de la balance d'environ 600 millions de personnes à travers le monde, elle, est désignée par le terme d'obésité multigénique ou "commune". " Nous savons de longue date que l'obésité commune est déterminée en partie par une prédisposition génétique", souligne le Pr Bart Van der Schueren (service maladies chroniques et métabolisme, KULeuven, et service d'endocrinologie, UZ Leuven). " Cette conclusion provient principalement d'études réalisées au Danemark à une époque où les adoptions ou dons de sperme anonymes n'étaient pas possibles, ce qui permettait de retrouver sans difficulté la trace des parents biologiques d'enfants élevés par des parents adoptifs. Les résultats démontrent que le BMI des enfants est plus étroitement corrélé à celui de leurs parents biologiques qu'à celui de leurs parents adoptifs. L'obésité commune est donc manifestement la résultante d'une prédisposition multigénétique qui s'exprime lorsque l'individu grandit dans un environnement obésogène. La littérature chiffre entre 40 et 70% cette part de prédisposition attribuable à l'hérédité... ce qui explique pourquoi certains individus peuvent se permettre de manger tout et n'importe quoi sans guère de fluctuations pondérales alors que d'autres en verront immédiatement les effets sur la balance." " Jusqu'ici, une vingtaine de locus génétiques ont pu être associés à un risque accru d'obésité, mais la liste ne cesse de s'allonger à mesure que progresse l'exploration du génome humain. Certains sont clairement déterminants pour des mécanismes comme la combustion des graisses et plus largement pour le métabolisme, mais le lien est loin d'être toujours aussi évident." Le Pr Van der Schueren note que, à la base, notre propension à prendre rapidement du poids dans un environnement obésogène est plutôt un atout. Elle trahit en effet une capacité à continuer à fonctionner avec des apports énergétiques relativement limités en cas de disette en abaissant le métabolisme basal - on parle alors d'adaptation métabolique. " Cette faculté d'adaptation explique vraisemblablement pourquoi nous sommes une espèce couronnée de succès, dotée d'un potentiel de survie non négligeable et donc capable d'une évolution considérable. Quand une souris manque de nourriture, elle maigrit. Nous, nous sommes capables de stocker de l'énergie pour la mobiliser plus tard si nécessaire. Le problème, c'est que notre mode de vie actuel diffère complètement de celui de nos ancêtres, en ce sens que nous avons de la nourriture sous la main en permanence et menons largement des existences sédentaires." L'expert tient toutefois aussi à souligner que l'obésité n'est pas non plus une fatalité chez les sujets prédisposés. Bien que la prédisposition au surpoids soit déterminée pour 60 à 70% par des facteurs génétiques à l'échelle de la population, le mode de vie peut fortement influencer le BMI au niveau individuel. La preuve en est que de très nombreux individus porteurs de gènes prédisposant à l'obésité ont, dans les faits, un poids tout à fait normal. " Ces facteurs liés au mode de vie peuvent avoir sur le poids une influence telle - dans un sens ou dans l'autre - que nous pouvons affirmer que le BMI d'un individu donné à un moment donné est déterminé pour moins de 2% par son bagage génétique." Dans certains discours, la ligne est ténue entre la réalisation que le mode de vie peut contrer l'influence de la prédisposition génétique et l'idée que les personnes obèses sont elles-mêmes responsables voire "coupables" de leurs kilos en trop. Les personnes en surpoids sont souvent taxées de faiblesse de caractère, en particulier lorsqu'on les voit fréquemment consommer de généreux repas ou grignoter en permanence. " Notre corps dispose d'un système d'hormones de la faim et de la satiété qui contribue à déterminer nos apports alimentaires", nuance Bart Van der Schueren. " Une précision importante pour bien comprendre l'obésité est que ce système hormonal est piloté par le système nerveux autonome et non par le cortex cérébral, dont on peut arguer qu'il dirige notre "volonté". Les signaux hormonaux partent du système gastro-intestinal et sont recueillis par l'hypothalamus et certaines personnes y sont plus sensibles que d'autres - là encore, en partie pour des raisons génétiques. L'environnement aussi a toutefois un rôle à jouer: si on laisse un enfant manger du sucre à longueur de journée, cela finira par affecter sa sensation de faim et de satiété. Je voudrais en profiter pour souligner au passage que la prévention de l'obésité commence dès le plus jeune âge, car les personnes qui étaient déjà en surpoids dans leur enfance ou leur adolescence ont plus de chances de l'être aussi à l'âge adulte. On peut même aller plus loin et insister sur l'importance d'un bon équilibre métabolique chez la femme enceinte. Une obésité - ou, au contraire, une malnutrition - au cours de la grossesse exerce une influence négative sur la prédisposition de l'enfant à l'obésité, non plus cette fois par le biais des gènes mais par celui de l'épigénétique. Enfin, le mécanisme d'apparition du surpoids est encore compliqué par le fait que la flore intestinale aussi joue probablement un rôle dans l'équilibre entre faim et satiété." " Sur la base de ces données, l'obésité est de moins en moins considérée dans la communauté médicale comme un phénomène lié peu ou prou à un manque de volonté. Il s'agit vraiment d'une maladie. Néanmoins, répétons-le, cela ne signifie pas pour autant que nous sommes impuissants face à un patient qui a toujours faim: il faudra simplement trouver un régime qui inhibe ses fringales le plus efficacement possible. Nous savons par exemple que les sucres font rapidement disparaître la sensation de faim, mais créent en même temps un climat hormonal propice à sa prompte réapparition. Les protéines seront ici beaucoup plus efficaces. Quand on recommande un régime hypocalorique, celui-ci devrait idéalement aussi être riche en protéines."