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Il aurait eu 100 ans en 2020, mais le covid passé par là a repoussé cette exposition conçue par la Fondation Helmut Newton de Berlin. Une rétrospective consacrée à ce Juif allemand et berlinois devenu australien, ayant fui le nazisme en 1938, et qui fit son écolage chez Elsa Simon dit "Yva", morte assassinée à Sobibor en 1942. Une grande photo parmi les plus de 300 présentées montre le jeune Helmut se mettant déjà en scène durant sa jeunesse allemande. L'expo, qui fonctionne par périodes, explore l'évolution de ce photographe de mode qui, en compagnie de Richard Avedon, Irving Penn et William Klein, va peu à peu révolutionner la photographie de mode, ou plutôt s'adapter, voire flairer le changement d'époque. Au fil du temps, Newton érotise, plus que ces deux collègues, ses photographies, suscitant l'ire des féministes aujourd'hui et de Susan Sontag à l'époque. Il le fit sous le contrôle de son épouse Jane, ancienne actrice australienne, que l'on voit en introduction dans un autoportrait du photographe, à droite sur le cliché, dans une scène où une femme nue se regarde dans le miroir au fond duquel Newton la photographie en pardessus, prétexte du cliché - première référence aux Beaux-Arts et aux Ménines de Vélasquez. Car les renvois à la peinture sont nombreux chez Newton et ce, à toutes les époques, notamment dans les close-ups de lèvres et d'yeux en 1982 qui évoquent Man Ray, ou dans ses portraits de célébrités - tout son travail ne fut pas que de mode, même si ce fut la grande majorité -: celui de David Hockney à Hollywood renvoyant au Fantômas de Magritte (Le retour de flamme), la photographie de Warhol en imperméable Yves Saint-Laurent à Edward Hopper pour son atmosphère vespérale. Autre référence picturale: Roy Lichtenstein dans un Help qui rappelle les tableaux à phylactères de ce dernier, lorsque Newton "dépeint" une femme en sanglot criant dans un combiné de téléphone. Vélasquez, encore, dans la version moderne de La Vénus au miroir, dans laquelle la télévision a remplacé la psyché de l'original. Hitchock (une imitation féminine de La mort aux trousses avec survol d'avion), Truffaut ou les James Bond sont d'autres sources d'inspiration cinématographiques. Rien d'étonnant de la part de celui qui fut avant tout un metteur en scène. La référence à Hitchcock est d'autant plus évidente que ces photographies ont toujours un air de voyeurisme à la Fenêtre sur cour (aucune accusation de viol, contrairement à un David Hamilton Newton ne croquait pas la pomme). Une mise en scène qui inclut parfois des animaux - crocodile, cheval, gorille (dans une référence à King Kong) -, image d'une masculinité dévorante ou puissante (un faux crocodile avale un corps nu dans une oeuvre conçue pour un ballet de Pina Bausch), au travers d'une mise à nu progressive de la femme au fil des années. Le côté Sacher-Masoch (une femme seins nus enserrée de cordes dans un cliché intitulé Tied-up), cravache, cuir, saphisme, revient souvent comme le ménage à trois - deux femmes, un homme -, dans un goût de plus en plus affirmé pour une esthétique provocatrice. Au cours des très glam's années 70, un mannequin à chemisier transparent trône devant la statue de la Vierge électriquement auréolée de Poggibonsi, en Toscane. Même dans les premières oeuvres, notamment une photo jamais montrée de femme à chapeau pour le Vogue australien, la silhouette floutée d'un homme plane en arrière-fond. Même absent, son regard, sa présence rôdent sur ces photos de mode. On ne se saurait d'ailleurs dire si, travaillant pour les plus grands, de Yves Saint Laurent à Courrèges ou Daniel Hechter, Newton défie l'air du temps ou l'initie lorsqu'il photographie un modèle africain en 1969 pour Elle: on est bien loin des sages photos du début des années 60 pour Vogue, à la frontière franco-belge, policées, sous l'oeil de douaniers et de gendarmes. La notion de double, liée à une sorte de saphisme provocateur - une femme nue et une autre en homme en complet Saint-Laurent, à Paris dans une rue du Marais -, triomphe chez lui au cours des années 70 - un mannequin en robe de mariée, les seins à l'air - et années 80 dans de grandes photographies montrant un groupe de femmes debout, habillées, puis les mêmes, dans la même posture, complètement nues (série Dressed and Naked). Dès cette époque où l'audace tient parfois lieu de talent, Newton, qui est connu, devient célèbre - ses grands nus seront exposés chez Templon à Paris - et dicte ses propres choix à ses commanditaires. Il ose même des photos de radiologie de tête ou jambe de ses modèles afin de mettre en valeur des bijoux, les seuls à apparaître sous les rayons, ou met en scène des mains (l'une tenant un poulet rôti pour les bijoux Bulgari) parfois en couleurs. Une "couleurs" auquel il adhère parfois, notamment dans les années 90: son travail se révèle alors moins convaincant, trop brutal, le noir et blanc convenant mieux au luxe, à ce contraste nudité-habillé, blancheur de peau-noir du vêtement, féminin-masculin. À cette époque, petite évolution: les modèles ne sont plus anonymes et ont pour nom Monica Bellucci, Carla Bruni, Eva Herzigova ou Cindy Crawford, même si ce sont toujours des objets de mise en valeur... d'accessoires ou de vêtements. Lui qui joue du concept du doppelgänger (alter ego imaginaire) du désir de la femme et de l'objet que ce "porte-manteau" arbore, les deux se confondant, est moins à l'aise dans cette couleur qui semble parasiter, vulgariser son propos. Classieux, son noir et blanc auquel il reviendra sur la fin est très sado-maso (une femme en robe attachée à une table dans les années 60), et très yin et yang d'ailleurs. Son fétichisme, sa vision de la femme provocante, au centre (du regard de l'homme, donc du sien) constituera jusqu'au bout le coeur de son travail. La dernière photographie sur grand tirage - elles le sont très souvent - s'intitule Leaving Las Vegas. Il s'agit d'un cliché flouté noir et blanc d'une route qui part dans le désert. La mort rôde, Helmut Newton s'éteint comme les lumières de son Las Vegas, son set, son lieu de plaisir artificiel... et superficiel.