Neuf femmes puissantes

Une tradition de la collection bien ancrée dans cette famille de puissants banquiers essentiellement, dont les épouses s'investirent à leur tour dans l'art et la collection. Certaines avec plus de succès ou de goût que d'autres, notamment la première, Charlotte, née en 1825, qui fut une aquarelliste douée (sa vue d'une île vénitienne le démontre), qui ne jure pas au milieu de celles de Jules Jacquemart. Collectionneuse de luths, elle acquit également quatre sculptures de Rodin et de Claudel: les deux bustes du premier sont d'un classicisme maîtrisé, ceux de Camille se révélant plus émouvants. Férue de bijoux et d'objets précieux, elle l'est également de peintures de son temps (un très beau Boudin décrivant Trouville, Delacroix...) et d'oeuvres plus anciennes (une superbe "Nature morte au lapin" de Chardin, "La laitière" de Greuze). L'espace... espacé, à l'instar des suivants, qui lui est consacré, se clôt sur son portrait en pied par Gérôme. Alice, qui la suit dans le temps, est moins bien représentée (sa collection de peintures se trouve en Angleterre), et principalement au travers notamment d'une collection de pipes courant du 17e au 20e siècle. Adèle se révèle pour sa part une collectionneuse effrénée, comme le démontre son salon de curiosités reconstitué, dans lequel on trouve entre autres deux splendides kriss, poignards cérémoniels javanais à double tranchant, un buste de Balzac ou une aiguière en argent en forme de dragon, laquelle voisine avec une collection de peintures hétéroclites comprenant un très beau Delacroix intitulé "Lion étreignant un crocodile". Béatrice est l'une des plus connues, qui épousa un Ephrussi et fit construire la fameuse villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat. L'expo reconstitue l'un des salons du "palais" de cette fan absolue du 18e siècle, sous le regard d'un tableau de Bouchez, de porcelaines de Chine, d'un Fragonard ("La défense de l'amour") et de deux très belles aquarelles du même. Comme souvent chez ces femmes puissantes, transparaît également l'amour de la Renaissance italienne: Fra Angelico chez Charlotte, et notamment della Robbia dans le cas de Béatrice sous forme d'une étonnante céramique vernie et colorée, une "Vierge à genoux devant l'Enfant Jésus". Ce qui ne l'empêche pas d'acquérir "Le soir et la douleur" de Gustave Moreau d'un symbolisme lorgnant sur le Trecento flanqué de trois paysages dont deux signé Renoir, le troisième étant l'oeuvre de Sisley. Est-ce parce que son mari médecin s'occupait des grands brûlés? Mathilde collectionna 180 pièces reliées à la mort, et notamment des crânes, dont des okimonos (petites sculptures décoratives) japonais. En suivant ces femmes de goût, c'est l'histoire de l'art que l'on suit. Alix qui compta une collection de 2.000 oeuvres, dissémina, à l'image de toutes ces parentes, oeuvres et argent à des institutions muséales françaises. Femme de son temps, elle collectionna l'art moderne, connu, avec Cézanne et sa "Nature morte au tiroir ouvert" et dans le cas d'une rare gouache de Calder qui évoque Miró, ou moins s'agissant de Celso Lagar (entre naïf et fauvisme), voire du jeune Vasarely, et défendit après 1945 les artistes juifs comme Avigdor Arikha, soutenant le musée d'Israël à Jérusalem, tout en léguant au musée de l'Homme une collection de robes de mariage palestiniennes, présentées dans l'expo aux côtés de masques africains dont Alix fit aussi collection. Enfin, Cécile ne fut pas en reste, dont l'événement liégeois présente une impressionnante collection de gravures sur papier de nus signées Egon Schiele. Imposante exposition présentée de manière académique pour ne pas dire académiste, "Collectionneuses Rothschild" impressionne par la qualité des pièces, et le parcours de ces femmes mécènes et philanthropes qui firent beaucoup pour les arts en France (Liliane par des dotations au musée Carnavalet, Thérèse à la Bibliothèque nationale de France), et ne connurent pas, dans le cas de celles qui vécurent au siècle dernier, le sort funeste de leurs congénères durant la Seconde Guerre mondiale, notamment celui des autres amoureux des arts que furent les de Camondo.