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Les connaissances relèvent du savoir, leur légitimité du pouvoirFragiles sociétés de secours mutuel vers 1820, les mutuelles ont très adroitement exploité les ambiguïtés entre savoir et pouvoir pour occuper des positions solides aux différents niveaux des soins de santé. Tout savoir se transforme en pouvoir dès qu'il implique les autres, mais a contrario, tout pouvoir peut se présenter en savoir. Le texte ci-dessus, en rendant les données et les connaissances disponibles, illustre une telle métamorphose. Les relations entre savoirs et pouvoirs évoquent une thèse éculée des sciences humaines. Les mutuelles en apportent la preuve. Elles ont réussi à ériger le comptage des prestations, un pouvoir, en savoir, en l'étoffant d'analyses de la littérature et en rédigeant des rapports. Nous développons "une nouvelle science", disait le Dr Raf Mertens, d'abord médecin au Kivu, épidémiologiste, chargé de recherche et développement aux mutualités chrétiennes puis directeur général du KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé). Il se décrit sur la toile: "Au cours de toute ma carrière, j'ai baigné dans la recherche appliquée au service de la décision politique." A l'époque, en entendant un médecin ne travaillant ni dans un laboratoire ni auprès des malades se dire fondateur d'une nouvelle science, j'avoue avoir été choqué. Depuis lors, je dois reconnaître le caractère très fouillé de nombreuses études du KCE. Mais ma critique persiste sur deux points: 1° les "chercheurs" de ces institutions ne font pas de la science, mais de l'administration de la science, une tâche au demeurant respectable et nécessaire ; 2° ils ne sont pas plus indépendants que les autres chercheurs, contrairement à ce qu'ils affirment en avançant l'argument d'une rémunération fixe, statutaire. La question de l'indépendance dépasse les aspects financiers.La connaissance est scientifique, mais sa reconnaissance est politique. Dès l'amorce du développement d'un savoir, les aptitudes relationnelles et les traits de caractères de ses animateurs en déterminent le succès ou l'échec. Chacun se démène avec des pièces du mécano pour appliquer, développer, valider, enseigner, critiquer ou promouvoir des connaissances et en fin de compte, les valoriser en monnaie sonnante et trébuchante pour lui et ses proches. Les scientifiques au service de l'état n'échappent pas plus que les autres à cette réalité de la condition humaine. Avec ces deux axes de modernisation de leur pacte d'avenir, les mutuelles jouissent déjà d'un fameux potentiel de reconnaissance étatique tout en conservant un statut d'entreprises libres se voulant sociales. Suroccupés auprès des malades, les médecins ne peuvent assurer la même présence en haut lieu. Ce contraste entre les mutuelles et la dispersion des praticiens face aux politiques provoque un déséquilibre des légitimités dans le système des soins de santé. Le déséquilibre des légitimités, est-ce grave docteur? Par déséquilibre des légitimités, il faut entendre un manque de reconnaissance de certaines fonctions essentielles à la bonne marche du système. La pandémie en a révélé de nombreux aspects. Premiers à devoir aider les malades en ambulatoire et dans les homes, les praticiens ont été découragés puis carrément interdits de le faire. Les gestionnaires des hôpitaux et leurs cadres médecins, infirmiers et autres, se sont vus dicter d'en haut dans de longues circulaires aux multiples signatures, des mesures qu'ils pouvaient parfaitement prendre eux-mêmes en suivant leurs propres admissions de patients Covid-19. Les applaudissements de 20 heures furent un feu de paille non suivi d'une véritable revalorisation financière. Au début de la vaccination, fortes de leurs données médicales, les mutuelles ont officiellement contribué à la sélection des personnes prioritaires, les médecins étant mis hors circuit. Oui, ces déséquilibres sont graves! Mais curieusement, le système belge a encore tenu, et pas si mal selon Marius Gilbert, Juste un passage au JT (Luc Pire éditions), un exemple de scientifique sachant expliquer!