...

Le journal du Médecin: L'humour est-il important dans ce que vous faites? Hans Magnus Ryan: Il y a pas mal de choses sérieuses, mais également beaucoup d'humour. Nous l'instillons au coin des coins des paroles ou de la musique. Les oeuvres de H.P. Lovecraft ont-elles influencé votre musique? Clairement. Notamment son univers de démons cosmiques, ce qui donne naissance à notre nature qui peut si mal tourné. Sa philosophie est connectée par certains aspects à Alister Crowley, aux Roses-Croix, et au kabbalisme juif qui se révèle très divertissant. C'est un peu comme de la science-fiction vieille de plusieurs milliers d'années, très détaillée. Il s'est notamment inspiré de la kabbale au sujet de l'abysse, et de l'origine du mal. La magie noire ne nous intéresse pas vraiment au contraire des récits de Lovecraft, notamment Les montagnes hallucinées ou L'affaire Charles Dexter Ward lequel est une allégorie de la science, de ce qu'on en fait et de la responsabilité qui en découle notamment au niveau du nucléaire. Le mythe de Cthulhu, cette pieuvre géante cosmique qui connaît tout et vit dans un univers parallèle, réfère aux trous noirs et à la théorie des univers parallèles. Vous évoquez la kabbale, raison pour laquelle vous aimez Black Sabbath? (Rires) Mais ce groupe entonne des paroles antiguerre formidables, notamment sur War Pigs. La mythologie a-t-elle une influence sur votre musique? Nous ne sommes pas vraiment dans l'imagerie viking et la mythologie nordique ou runique. Et des groupes comme Blue Öyster Cult, qui se voulait une sorte de fausse secte? Bien sûr! Un groupe formidable qui avait bâti également ce discours mythologique sulfureux pour rire qui les rendait intrigants. Je pense également le Rainbow de Ritchie Blackmore époque de Ronnie James Dio avec son imagerie de sorciers et chevaliers. Excellent pour votre imagination quand vous êtes gamin: c'est presque du cartoon musical. Sur vos morceaux, les harmonies vocales sont souvent très belles et évoquent Crosby Still Nash and Young... Oui, évidemment. Faire une harmonie à trois voix de la sorte s'avère formidable lorsque l'on y parvient ; mais sur scène, c'est une autre histoire. Au départ, nous sommes d'abord des musiciens, des instrumentalistes et la partie vocale a tendance à être sous-développée, surtout dans nos performances scéniques. De façon générale, nous sommes amateurs de toute cette tradition musicale de la Côte Ouest, y compris Brian Wilson, les Beach boys et les Eagles. Mais en live nous sommes plutôt un trio, parfois un quartet, ce qui signifie que notre son studio est complexe en comparaison de la version live. Vous êtes à rebours de ce monde où tout doit aller très vite. Vos longues compositions sont comme des peintures que l'on doit prendre le temps de regarder, d'écouter en l'occurrence... Il est vrai que le format des chansons pop à tendance à se réduire de plus en plus. En 2019, la moyenne est de deux minutes 39. Nous ne pouvons faire face à ce genre de développement commercial... Notre musique prend le temps qu'elle nécessite: cela peut être 5, 3 ou 15 minutes.... Bref, nous ne nous focalisons pas sur la durée d'un morceau. Mais en concert, vous évitez à l'inverse des groupes comme Deep Purple des solos de guitares ou de batterie interminables?Nous n'avons jamais été très narcissiques ; nous tentons plutôt de rester collectivement relier constamment: nous sommes plutôt un groupe de jam-sessions. Le Greatful Dead était un bon exemple de construction collective, ainsi que le jazz évidemment. Malheureusement, peu de groupes pratiquent en Europe cette ouverture à l'improvisation. Nous avons d'ailleurs cette blague entre nous à propos de la guitare à double manche que je dois utiliser parfois en concert, et qui est vraiment le symbole du hard-rock démonstratif. Et il se fait que certains de nos morceaux sont à ce point architecturés, construits, que nous nous sommes aperçus que " oh non! ! pas la guitare à double manche! ! !" (rires) Ce qui veut dire que vous composez à partir de jam-sessions? Parfois, mais souvent nous démarrons de la guitare acoustique, en faisant quelques croquis développés par la suite. On croise rarement dans le rock des groupes comme Hawkwind qui nous a fort influencé au début ou Vovoid qui explorent, un peu comme des jazzman, la musique faite à partir d'une batterie, d'une basse et d'une guitare. Ce qui signifie que vous préférez Frank Zappa à Black Sabbath?Ça dépend des jours. J'ai été victime d'une infection à Frank Zappa il y a dix ans: je n'écoutais plus que cela. J'essaie d'arrêter... Le paysage norvégien intervient-il comme source d'inspiration?Géographiquement, nous sommes très au nord (Trondheim) où les hivers sont très longs et noirs. C'est une question d'horloge biologique. En fait, nous vivons dans une région éloignée de tout: l'Europe continentale nous parait speedée et obstruée par le monde. Nous sommes heureux d'y venir, mais aussi de repartir dans notre petite ville de Trondheim entourée de nature. Mais bon, on ne va pas tomber dans les clichés du jazz norvégien et des influences du paysage sur celui-ci, et de la réverbération des fjords! (rires)