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Selon les Nations unies, en 2019, le monde comptait 272 millions de migrants. Mais la déclaration de la Feam et de l'Allea ne porte que sur un pan de problématique migratoire - celle de la santé - et sur une fraction de cette migration internationale : celle, forcée, des migrants arrivant en Europe pour fuir une situation critique. Une fraction qui a augmenté, il est vrai, au cours de la période 2015-2016, avec environ 1.032.408 arrivées en Europe en 2015, 373.652 arrivées en 2016 et beaucoup d'autres qui ont perdu la vie au cours de leur voyage. Ce qui a conduit les institutions de l'UE à déclarer une " Crise migratoire " et à répondre par un " Agenda européen en matière de migration ". C'est que la migration est un phénomène complexe, hétérogène et répandu. Il affecte particulièrement les personnes et les familles forcées de quitter leur pays pour échapper à la guerre, à la persécution ou aux violations des droits de l'homme. Les conditions socio-économiques de ces migrants, avant, pendant et après leur voyage, peuvent avoir des effets profonds sur leur santé (voir jdM n°2610). Malheureusement, la crise migratoire de 2015 n'est pas terminée. " À ce jour, la situation est loin d'être résolue et les problèmes de santé des migrants ont récemment été exacerbés en 2020 par les tensions entre l'UE et la Turquie le long de la frontière grecque ", analysent les académies scientifiques européennes. " La récente flambée d'une nouvelle maladie à coronavirus (Covid-19) de proportions pandémiques menace de détériorer encore plus la situation des camps de réfugiés sur les îles grecques. Jusqu'à ce qu'une thérapie ou un vaccin spécifique soit disponible, l'hygiène et la distanciation sociale restent parmi les principaux ou les seuls outils de santé publique pour faire face à l'épidémie. En ce moment, en raison du surpeuplement et des mauvaises conditions d'hygiène dans les camps de réfugiés et les centres de détention, les migrants forcés et les réfugiés semblent être à haut risque d'infection au Covid-19. "" Néanmoins ", poursuivent les académies, " les chiffres et les statistiques doivent être interprétés avec prudence. Le nombre mondial de personnes déplacées vivant dans des pays à revenu élevé, y compris en Europe, est actuellement beaucoup plus faible que ceux vivant dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. "Si une grande partie de la coopération en matière de migration et de santé a lieu aux niveaux européen et international, la fourniture de services de santé aux migrants demeure une fonction et une compétence des États membres. Et les services de santé disponibles pour différents types de migrants varient considérablement d'un pays à l'autre. À travers neuf recommandations, les académies européennes désirent promouvoir un large dialogue et la collecte, l'échange et l'analyse de données valides et comparables pour la migration et la santé. " Nous appelons les institutions de l'UE et les États membres à veiller à ce que les politiques migratoires soient cohérentes avec les politiques de santé publique et à ce que le secteur de la santé soit impliqué dans leur conception et leur mise en oeuvre. Nous appelons en outre les États membres à envisager un accès plus large et plus facile aux services de santé pour les migrants forcés et un niveau de soins approprié aux migrants en situation irrégulière ou sans papiers. "Pour arriver à un accès équitable à la santé pour les migrants - ce qui n'est pas forcément le cas en Belgique, voir jdM n°2606 & 2610, ainsi que le rapport du KCE 319B - il faut détricoter certaines idées préconçues. Parmi les préjugés cités dans la déclaration de la Feam et de l'Allea, on trouve d'abord celle du nombre de migrants. " La migration est une réalité mondiale. Mais les statistiques varient considérablement d'un pays à l'autre. Ces statistiques sont perçues différemment selon la façon dont elles sont présentées au public ", analysent les académies. Les chiffres démontrent par exemple que la crise migratoire a vu moins de migrants arriver en Europe que dans des pays à plus faibles revenus sur le continent d'origine des migrants. Pour les académies, une des solutions à ce problème consiste en une communication simple et précise, essentielle pour informer le public. " Des définitions claires sont à ce titre importantes. Notamment pour réduire la propagation des peurs autour des migrants. " Cependant, de plus amples informations sont nécessaires pour communiquer au public le nombre réel de migrants forcés ou de demandeurs d'asile arrivant en Europe, leurs droits humains, leurs besoins et leur apport humain, social, culturel et économique potentiel dans les pays d'accueil. Autre mythe à déconstruire : le danger des migrants pour la santé de la population locale. Les migrants ne sont pas particulièrement porteurs de maladies telles que la tuberculose ou autres. " Le risque est très faible ", relèvent les académies, car le pays de destination dispose le plus souvent d'un service de santé public inclusif avec une forte surveillance. On notera par ailleurs que les risques sanitaires encourus par les migrants sont davantage liés au parcours de migration qu'au pays d'origine. Dernière pierre d'achoppement : le coût que représente un migrant pour les soins de santé. Pourtant, " certaines études ont constaté d'importantes économies de coûts résultant de la fourniture de services de santé en temps opportun aux migrants ", déclarent les académies. Ces études montrent que d'un point de vue économique, les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les migrants forcés et les demandeurs d'asile ont accès aux mêmes services de santé que la population locale. Les arguments économiques en faveur de l'accès aux services de santé sont également mis en évidence dans un rapport publié par l'Académie des sciences médicales britannique en 2016, qui conclut que " les arguments économiques sont évidents en faveur d'un traitement proactif des migrants forcés. Leur intégration mène à une réduction des dépenses de santé par habitant par rapport à un accès tardif aux soins de santé ". Infine, la migration constitue, pour les académies européennes, une opportunité pour le continent de bénéficier d'un renouveau et de diversité mais aussi une opportunité démographique (le continent est vieillissant et le taux de fertilité baisse) et économique. " Bien que les coûts et avantages globaux de la migration soient complexes à évaluer et dépendent, entre autres facteurs, du type de migration (par exemple, différentes compétences apportées par les migrants, âge des migrants) et du contexte économique des pays d'accueil, certaines études ont trouvé des preuves des effets positifs ou des effets négatifs très faibles de la migration sur les pays d'accueil. Un examen des impacts économiques des demandeurs d'asile arrivant en Europe occidentale n'a trouvé aucune preuve que les pays d'accueil étaient affectés dans leurs performances économiques ou leur équilibre budgétaire. "