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Le journal du Médecin: Le choix d'une carrière politique pour un médecin, qui a investi de nombreuses années dans ses études, peut être hésitant car sa vocation première est de soigner. Alors, qu'est-ce qui vous a motivée à vous engager en politique?Dr Eveline Decoster: Le métier de médecin n'implique pas seulement des soins ; une tâche essentielle est également la prévention des maladies. Sachant que notre environnement a un impact significatif sur notre santé, en tant que médecin, il est inévitable de souligner cette importance et de viser un environnement plus sain. Travailler dans le cabinet du ministre fédéral en charge, entre autres, de l'environnement et du climat, offre l'opportunité de contribuer à une politique ambitieuse et d'avoir un impact sur la santé. Le principe "One World One Health" est central, soulignant l'interconnexion entre la santé humaine, animale et environnementale. Un exemple concret est le 3e Plan d'action national environnement santé (Nehap) de la Belgique, sur lequel des efforts considérables ont été déployés au cours des dernières années et qui devrait être finalisé en janvier 2024. Ce Nehap 3 se concentrera sur deux thèmes prioritaires: renforcer la résilience, l'adaptation et la lutte contre le changement climatique dans notre système de santé, et réduire les effets nocifs des produits chimiques sur la santé et l'environnement. Pourquoi avoir choisi Ecolo plutôt qu'un autre parti politique?En premier lieu, j'ai choisi un poste où je peux contribuer à une politique ambitieuse ayant un impact sur notre santé. La triple crise de la perte de biodiversité, du changement climatique et de la pollution à laquelle nous faisons actuellement face est une menace considérable pour notre santé et notre bien-être. La ministre Khattabi, membre du parti Ecolo, se distingue par son ambition et une vision d'avenir claire. Elle représente donc pour moi un choix logique. Est-ce que les écologistes doivent forcément avoir un avis sur toutes les questions sociétales, de l'enseignement à la santé, la politique internationale, etc. Certains disent parfois: "Qu'ils fassent de l'écologie". C'était d'ailleurs le cas au début de l'aventure de l'écologie politique... De nos jours, il n'est plus possible de penser de manière cloisonnée. Les décisions en matière d'écologie ont des répercussions sur de nombreux autres aspects de la société, et vice versa. Depuis longtemps, le domaine de la santé publique reconnaît la nécessité de travailler selon une stratégie de "Health in all policies - la santé dans toutes les politiques", évaluant les effets sur la santé à tous les niveaux de la prise de décision. Cela devrait évoluer vers une approche "One Health in all policies", intégrant également l'environnement et le climat dans chaque décision. Selon divers auteurs, on sous-estime encore aujourd'hui les conséquences de l'environnement sur la santé. Comment l'expliquer? Faudrait-il l'enseigner en faculté de médecine de manière plus systématique?Les rapports sont clairs: l'impact de l'environnement sur la santé est extrêmement important. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué dès 2018 qu'en Europe, près de 20% de tous les décès étaient imputables à des facteurs environnementaux, et dans le monde entier, cela représente 24% de tous les décès. Pourquoi sous-estimons-nous encore ce risque, je n'ose le dire avec certitude. La pensée à court terme est plus facile et plus concrète que la pensée à long terme. Mais je suppose que c'est aussi une sorte de mécanisme de protection pour notre santé mentale. En ce qui concerne l'enseignement, je suis tout à fait d'accord. Ces aspects devraient être mieux intégrés dans notre formation, non seulement en ce qui concerne les effets de l'environnement sur notre santé, mais aussi les effets de notre système de santé sur l'environnement. Dans le cadre du Nehap, des modules d'apprentissage en ligne ont été développés et sont d'ailleurs accrédités par l'Inami pour former les professionnels de la santé aux questions de santé environnementale. L'idée d'intégrer cela de manière plus approfondie dans le programme d'études est actuellement à l'étude. Faut-il se réjouir que la COP28 ait consacré pour la première fois une journée aux liens entre environnement et santé ou n'est-ce pas assez?Oui et non. Il est regrettable que cela n'ait eu lieu que maintenant pour la première fois, alors que la santé devrait être au centre du débat sur la neutralité climatique. Mais il est positif que cela se produise enfin. Cela signifie que l'on doit désormais tenir davantage compte de la réciprocité entre les deux thèmes: le climat et la santé (soins de santé) sont indissociablement liés. Peut-on vous compter parmi les déclinistes/findumondistes ou êtes-vous au contraire très optimiste de nature, notamment sur le fait que nous allons parvenir à gérer les enjeux environnementaux à l'avenir?Je me considère plutôt comme réaliste. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer comme avant. Cependant, un certain optimisme est nécessaire pour continuer à oeuvrer en faveur de changements constructifs et durables. Je comprends cependant l'anxiété environnementale de plus en plus présente. Pour de nombreuses personnes, en particulier les jeunes, l'avenir est incertain. Si nous voulons leur offrir un avenir digne, le changement est inévitable. La lenteur de certains changements suscite cependant une angoisse compréhensible. Votre ministre Zakia Katthabi ne laisse pas les gens indifférents. Elle est souvent sous le feu des critiques, récemment sur le conflit israélo-palestinien. Comment vivez-vous cela en tant que conseillère? Vous pensez, comme Nietzsche (que je paraphrase), que les gens qui n'ont pas d'ennemis sont anecdotiques?Ma ministre est directe et a des opinions claires, basées sur la science et un grand sens de la justice sociale. Il est logique que cela suscite des réactions chez ceux qui ont des opinions différentes. Mais à mon avis, cela peut également être une opportunité pour un débat utile et constructif. La dermatologie (votre spécialité) est-elle anecdotique dans les dossiers que vous gérez pour votre ministre ou apporte-t-elle quelque chose de spécifique? On dit que les dermatologues ont un horaire "gérable" par rapport à d'autres spécialités... Je travaille davantage à partir de mes connaissances en tant que médecin que spécifiquement de ma spécialité en dermatologie. Cependant, il y a de nombreux points de contact, notamment les problèmes liés aux déchets lors d'actes chirurgicaux, l'utilisation de produits chimiques dans les applications médicales et pharmaceutiques, les maladies spécifiques (dont dermatologiques) liées au réchauffement climatique, et les cancers liés aux UV, pour n'en nommer que quelques-uns. Je reste également active une journée par semaine en tant que dermatologue, limitée à la dermatologie chirurgicale, dans un cadre hospitalier, grâce à une collaboration excellente et complémentaire avec un collègue.