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La physiopathologie de la maladie de Parkinson demeure coiffée d'une part de mystère. Sur le plan neurochimique, l'origine de l'affection se situerait dans une carence en dopamine au sein du système extrapyramidal. Plus précisément, selon cette conception classique, le parkinson associerait, au départ de l'affection, une diminution progressive des neurones dopaminergiques d'un des noyaux gris de la base, la substance noire (locus niger), et une déficience subséquente des faisceaux nigro-striés sous la forme d'une réduction progressive des terminaisons dopaminergiques qui proviennent de la substance noire à destination du putamen et du noyau caudé, les deux éléments constitutifs du striatum. Actuellement cependant, de nombreux auteurs s'interrogent sur une possible origine périphérique de la maladie. Ainsi, pour certaines équipes, cette dernière pourrait prendre naissance dans l'intestin et progresser ensuite vers le cerveau. Cette hypothèse a éclos du fait que chez certains patients parkinsoniens, des troubles digestifs précèdent les troubles moteurs. Or, il est bien connu que l'axe intestin-cerveau représente une des voies majeures de la communication nerveuse. On ne peut néanmoins exclure qu'une voie de transmission différente soit en cause. D'autres chercheurs voient plutôt l'origine du parkinson dans le bulbe olfactif, une perte de l'odorat se manifestant parfois, mais de façon statistiquement significative, avant les premiers symptômes moteurs. Également appelés ganglions de la base, les noyaux gris de la base sont des structures cérébrales profondes. Qu'ils constituent ou non - la recherche tranchera - la cible initiale de la neurodégénérescence orchestrée par la maladie de Parkinson, leur implication est majeure dans les troubles moteurs des patients. Mais sont-ils pour autant le point d'ancrage unique, tantôt direct, tantôt indirect, de tous ces désordres moteurs? Le rôle des noyaux gris centraux a toujours été considéré en relation avec les connexions qui les unissent au cortex cérébral, comme en témoigne notamment l'article Primate models of movement disorders of basal ganglia origin, publié dans Trends Neuroscience en 1990. Aujourd'hui, une approche complémentaire gagne en importance: des structures adjacentes, tels le cervelet ou le cortex moteur primaire, sont étudiées dans la perspective d'y mettre en évidence de possibles altérations intrinsèques. "Jusqu'à présent, les altérations observées dans la zone du cortex moteur primaire étaient considérées comme une conséquence de la dysfonction des ganglions de la base", indique Emmanuelle Wilhelm, médecin assistante en neurologie et doctorante dans le CoActions Lab dirigé par la Pr Julie Duqué au sein de l'Institut de Neuroscience (IoNS) de l'UCLouvain. Et d'ajouter: "Depuis quelque temps, on essaie d'investiguer la physiopathologie de la maladie au-delà des structures profondes du cerveau. La littérature scientifique fait d'ailleurs état, chez les patients parkinsoniens, d'altérations intrinsèques du fonctionnement du cortex moteur primaire, la zone cérébrale qui assure le stade final du contrôle de nos mouvements." Néanmoins, ces travaux peinent jusqu'ici à établir un lien direct entre ces anomalies neurophysiologiques et les symptômes moteurs observés. Une avancée a été réalisée récemment par l'équipe CoActions Lab. Dans un article publié en décembre 2022 dans Movement Disorders, le journal de l'International Parkinson and Movement Disorder Society, les chercheurs de l'UCLouvain, dont Emmanuelle Wilhelm, première auteure, ont découvert un lien entre une déficience de certains mécanismes neurophysiologiques sous-jacents à la préparation des mouvements volontaires chez les sujets sains et la lenteur qui caractérise l'exécution de tels mouvements chez les patients parkinsoniens. Comme le souligne Emmanuelle Wilhelm, les experts savent depuis plusieurs années que lorsqu'un sujet sain prépare un mouvement volontaire, son système moteur est inhibé avant l'accomplissement du mouvement. En effet, on constate chez lui une suppression de l'excitabilité corticospinale, phénomène qui a été baptisé "suppression préparatoire". "Cela peut paraître paradoxal", dit la doctorante, "mais on pense que cette inhibition sert comme mécanisme de gain neuronal moteur afin de favoriser la rapidité d'exécution du mouvement." Elle illustre le propos par une analogie tirée de la vie quotidienne: "Imaginez que vous êtes dans une pièce avec une TV allumée, le son est fort et quelqu'un vous crie une consigne d'une autre pièce. Vous ne pourrez l'entendre et l'exécuter rapidement que si vous baissez le son ou éteignez la TV." Autrement dit, l'inhibition globale du cortex moteur primaire y élimine le "bruit" et permet ainsi au signal inducteur du mouvement qui doit être effectué d'être mieux perçu et, par là même, d'être plus rapidement exécuté. Chez les patients parkinsoniens, nous l'avons évoqué, des altérations intrinsèques du cortex moteur primaire ont été mises en évidence. Pourraient-elles être en lien avec un dysfonctionnement des mécanismes inhibiteurs identifiés chez les sujets sains? Telle était la question soulevée par les chercheurs du CoActions Lab dans leur article publié dans Movement Disorders. "Cela pourrait en particulier expliquer pourquoi une personne parkinsonienne souffre de bradykinésie, cette lenteur à exécuter des mouvements qui est commune à tous les malades et est l'un des principaux symptômes de l'affection avec la rigidité musculaire et les tremblements au repos", commente Emmanuelle Wilhelm. A priori, on pourrait croire que le manque de dopamine au niveau des ganglions de la base et de leurs relais conduit à une trop forte inhibition subséquente du cortex moteur primaire. L'équipe de l'UCLouvain a montré expérimentalement, en s'appuyant sur la stimulation magnétique transcrânienne (TMS), qu'il n'en était rien. Au contraire, ce cortex se révèle trop excitable. Comment expliquer pareille situation? Une hypothèse serait la mise en oeuvre d'un mécanisme initialement compensatoire pour pallier l'effet du manque de dopamine au niveau des ganglions de la base, carence qui se traduirait dans un premier temps, comme on peut intuitivement et logiquement le suspecter, par une trop forte inhibition du cortex moteur primaire. "On pense que d'autres régions cérébrales pourraient alors rendre le cortex moteur primaire plus excitable", commente Emmanuelle Wilhelm. "À terme, ces adaptations compensatoires découlant du manque de dopamine en amont généreraient des altérations intrinsèques de ce cortex, avec pour conséquence une excitabilité corticospinale anormalement augmentée."Au cours de l'expérience conduite par la doctorante, 29 patients souffrant de la maladie de Parkinson et 29 sujets contrôles sains appariés ont subi une séance de TMS à deux reprises, lors de deux matinées successives. Selon une procédure aléatoire pour chacun d'eux, les patients parkinsoniens étaient sous traitement dopaminergique le premier ou le second jour, et sans traitement l'autre jour. Les participants étaient conviés à un jeu sur ordinateur permettant d'étudier précisément les mécanismes qui précèdent l'exécution d'un mouvement volontaire. Alors qu'ils étaient occupés à la tâche prescrite, la TMS stimulait leur cortex moteur primaire toutes les six à sept secondes. Des électrodes placées au niveau des mains permettaient de mesurer, tant lors des phases de repos que lors des phases de préparation du mouvement, l'amplitude des potentiels évoqués moteurs engendrés par le champ magnétique induit et, partant, l'excitabilité de la voie corticospinale. Résultats? Les patients parkinsoniens présentaient, au niveau de la main impliquée, tantôt la droite, tantôt la gauche, une moindre "suppression préparatoire" que les participants du groupe contrôle. Cette anomalie ne dépendait pas de la présence ou de l'absence de médication dopaminergique le jour de l'examen. En revanche, elle s'accroissait avec la durée de la maladie et était corrélée avec l'intensité des symptômes moteurs mesurée par la Movement Disorder Society Unified Parkinson's Disease Rating Scale, Part III (scores globaux et scores de bradykinésie). "Nous avons donc pu établir un pont entre les altérations corticales chez les malades parkinsoniens et les symptômes moteurs dont ils souffrent au quotidien, en particulier la bradykinésie", souligne Emmanuelle Wilhelm. Elle ajoute cependant qu'à ce stade, on ne peut pas encore parler de relation de cause à effet. Par contre, elle estime que les résultats obtenus par l'équipe du CoActions Lab ouvrent un nouveau champ de traitement, peu exploré jusqu'à présent, du cortex moteur primaire. "Pour différentes raisons, certains auteurs ont même émis l'hypothèse que le parkinson pourrait commencer au niveau du cortex cérébral", indique encore Emmanuelle Wilhelm. "Dans ce cas, en agissant sur ce cortex, arriverait-on à solutionner les dysfonctionnements?" Dès à présent, quelques équipes testent des protocoles de stimulation cérébrale non invasive, notamment du cortex moteur primaire, chez les sujets parkinsoniens. L'objectif est d'y restaurer une inhibition relativement normale. Les malades récupéreront-ils alors une plus grande rapidité dans leurs mouvements? Le futur nous le dira.