La maladie de Parkinson a-t-elle une origine cérébrale ou périphérique? Et quels sont les mécanismes de la dégénérescence neuronale dont elle est le théâtre? La recherche affûte ses arguments.
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La maladie de Parkinson est une affection dont les mécanismes physiopathologiques demeurent mal connus. De nombreux travaux ont beau être axés sur la recherche de biomarqueurs, et surtout de biomarqueurs précoces, son existence sur le plan clinique ne peut toujours être formellement établie à l'heure actuelle que par une étude histologique du cerveau, post mortem. Elle se révèle de surcroît d'une grande hétérogénéité dans l'expression de ses symptômes. Quant à son diagnostic, une première étape consiste à identifier la présence conjointe d'une akinésie (rareté et ralentissement des mouvements volontaires) et d'au moins un des trois autres symptômes suivants: rigidité des muscles (hypertonie), tremblement au repos, troubles de la posture. En outre, les critères cliniques incluent également aujourd'hui des manifestations non motrices comme une perte de l'odorat ou une forte agitation durant le sommeil paradoxal. D'un point de vue neurochimique, le parkinson est principalement défini comme la résultante d'une carence en dopamine dans le système extrapyramidal, entité vouée au contrôle des mouvements et dont les composantes sont, d'une part, les noyaux gris de la base et, d'autre part, les connexions qui les unissent. Parmi lesdits noyaux figurent notamment la substance noire (locus niger), le pallidum, le noyau sous-thalamique et le striatum, lequel se subdivise lui-même en deux: le putamen et le noyau caudé. L'affection se caractérise aussi, mais pas toujours si l'on se réfère à certaines de ses formes familiales, par la présence d'amas de protéines dégénérées, les corps de Lewy composés majoritairement de la protéine a-synucléine, dans les "neurones malades". Dans un dossier publié par l'Inserm en février 2022, l'hypothèse d'une origine périphérique de la maladie est évoquée. Certains patients présentant des troubles digestifs antérieurs aux signes moteurs, une première piste mène à l'intestin. "Pour certaines équipes", peut-on lire dans le dossier, "la maladie prendrait naissance dans l'intestin et progresserait ensuite vers le cerveau, via l'axe intestin-cerveau, une voie majeure de la communication nerveuse." Une autre voie n'est toutefois pas à exclure. On sait aujourd'hui que l'anormalité de la structure tridimensionnelle de la protéine a-synucléine constitutive, pour une large part, des corps de Lewy, joue un rôle crucial dans la maladie de Parkinson. Or, qu'observe-t-on expérimentalement chez l'animal? Que l'introduction d'a-synucléine anormale au niveau entérique conduit à une anomalie conformationnelle de la protéine au niveau cérébral. L'inverse est également vrai: l'injection intracérébrale de la protéine anormale entraîne une modification de la structure tridimensionnelle de l'a-synucléine normale au niveau des neurones entériques. "L'anomalie conformationnelle pourrait donc progresser dans les deux sens de l'axe intestin-cerveau, sans que l'on soit pour l'heure capable de déterminer si l'un initie l'autre, ou encore si les deux phénomènes sont simultanés et déclenchés par un autre processus", indiquent les auteurs du rapport de l'Inserm. Le microbiote intestinal joue un rôle clé dans l'interaction qu'entretiennent l'intestin et le cerveau. Selon plusieurs études, le microbiote des patients parkinsoniens serait déséquilibré. Cause ou conséquence? ... La question reste en suspens. De nombreuses recherches explorent le possible lien entre la dysbiose intestinale et la survenue de la maladie de Parkinson. Actuellement, on ignore s'il conviendrait d'incriminer une inflammation locale, une bactérie spécifique ou, on y revient, l'impact du déséquilibre du microbiote sur la structure de l'a-synucléine. Une autre origine périphérique possible de la maladie conduit au bulbe olfactif. C'est du moins l'hypothèse de certains chercheurs. Une perte de l'odorat précède parfois, et de façon statistiquement significative, les premiers symptômes moteurs. Le fait est que les cellules nerveuses du bulbe olfactif sont touchées par la synucléinopathie rencontrée dans le parkinson. "Des travaux ont d'ailleurs montré que cette dernière (la synucléinopathie) pouvait se propager du bulbe olfactif vers différentes régions", précise le rapport de l'Inserm. La maladie commence-t-elle directement au niveau cérébral ou, au contraire, dans les terminaisons nerveuses périphériques intestinales ou olfactives avant de cheminer vers le cerveau? Le débat est loin d'être clos et la recherche bat son plein. Peut-être même ne faut-il pas exclure que le parkinson puisse avoir plusieurs origines possibles, en accord avec l'hypothèse de l'existence de plusieurs maladies de Parkinson. D'autant qu'il se révèle d'une grande hétérogénéité quant à ses symptômes, qui ne sont pas nécessairement rencontrés conjointement. "Par exemple, des malades présenteront une forme trémulante dominante et d'autres, une forme akinétique dominante", dit le neurologue Gaëtan Garraux, professeur à l'ULiège et maître de recherches honoraire du FNRS au sein du GIGA-CRC in vivo imaging. "De même, chez certains, les troubles se manifesteront de façon prépondérante du côté gauche ou du côté droit du corps. La vitesse de progression des déficits est en outre très variable si ce n'est que, statistiquement, la dégradation sera moins rapide chez les patients en proie à la forme trémulante."Les altérations ne se limitent pas à la sphère dopaminergique, mais peuvent s'étendre à divers systèmes de neurotransmission. Cela explique les nombreux symptômes non moteurs auxquels donne lieu l'affection. Des noyaux cérébraux producteurs de sérotonine, de noradrénaline ou encore d'acétylcholine sont "envahis" par des corps de Lewy, lesquels ne sont cependant pas nécessairement pathogènes mais font plutôt office de biomarqueurs. L'atteinte des systèmes sérotoninergique et noradrénergique peut sans doute rendre compte du nombre élevé de dépressions endogènes recensées chez les patients parkinsoniens, une baisse de la concentration cérébrale en sérotonine et en noradrénaline faisant fréquemment le lit d'un état dépressif. Autres manifestations non motrices: une propension à développer des troubles digestifs (constipation), de l'hypotension orthostatique et des symptômes urinaires, telles des urgences mictionnelles et de l'incontinence. Souvent, on note aussi des épisodes de sudation profuse. "De surcroît, le parkinson peut engendrer des troubles cognitifs", indique Gaëtan Garraux. "Ils apparaissent parfois précocement en réponse à l'atteinte des neurones dopaminergiques qui innervent la partie antérieure du putamen et du noyau caudé, structures du striatum qui sont impliquées dans des boucles de rétroaction avec le cortex préfrontal, support des fonctions exécutives - formulation d'objectifs, définition de stratégies, allocation des ressources attentionnelles, etc." Par ailleurs, il arrive que des corps de Lewy s'implantent au sein du cortex cérébral. Ils sont alors à l'origine d'un dysfonctionnement local susceptible d'induire des troubles cognitifs, voire un syndrome démentiel. Il existe des parkinsons familiaux causés par l'altération d'un seul gène. Représentant environ 5% de l'ensemble des cas, ces affections d'origine monogénique sont transmises sous une forme autosomale dominante ou récessive. Les gènes identifiés à ce jour interviennent dans des voies biologiques diverses. Parmi ceux qui sont concernés par la forme autosomale dominante figure le gène SNCA qui code pour l'a-synucléine, protéine qui, nous l'avons évoqué, compose les amas protéiques observés au cours de la maladie dans les neurones dopaminergiques malades. Les membres de certaines familles connaissent une duplication ou une triplication du gène SNCA. Or, l'hypothèse la plus communément admise aujourd'hui est qu'une production excessive d'a-synucléine conduirait in fine au développement de la maladie. Au-delà de SNCA et des autres gènes identifiés, un des enjeux de la recherche est le décryptage des mécanismes présidant aux anomalies de la structure tridimensionnelle de l'a-synucléine et à la propagation de la protéine anormale. Cela vaut tant pour la forme familiale de l'affection que pour sa forme sporadique (quelque 95% des cas), dans laquelle une centaine de variants génétiques de prédisposition ont été mis en lumière à ce jour. Dans le parkinson sporadique, outre l'âge, qui est un facteur de risque de neurodégénérescence, certains facteurs environnementaux agiraient en synergie avec des prédispositions génétiques. Quels sont-ils? Par exemple, il est établi chez l'animal, mais pas formellement chez l'homme, que l'exposition à certains pesticides, tels la roténone et le paraquat, augmente le risque de maladie de Parkinson. L'implication de métaux lourds comme le plomb et le manganèse est également très probable. De même, une forte suspicion porte sur le monoxyde de carbone, le cyanure, certaines colles, peintures et laques. Il faut aussi parler d'une drogue, le MPTP (1-methyl-4-phenyl-1,2,3,6-tetrahydropyridine). Gaëtan Garraux relate à ce propos un événement qui a marqué le monde médical au début des années 1980: "De jeunes étudiants qui cherchaient à fabriquer de la drogue pour leur propre usage ont obtenu du MPTP, qu'ils se sont injecté. En quelques jours, ils ont développé une forme de maladie de Parkinson dont la sévérité fut fonction, pour chacun d'eux, de la durée d'exposition à la drogue et des quantités reçues." Depuis, le MPTP a servi à l'élaboration de modèles animaux du parkinson, notamment chez le singe où son administration donne lieu à des lésions similaires - mais non identiques - à celles rencontrées chez l'homme. D'autre part, il est vraisemblable, mais non établi, que la survenue de certaines formes de parkinsonisme soit également favorisée par les traumatismes crâniens et certaines infections - varicelle, rougeole, rubéole, oreillons, etc. - comme ce fut apparemment le cas à la suite de la grippe espagnole qui sévit au sortir de la Première Guerre mondiale. Une meilleure compréhension de l'origine de la maladie de Parkinson, mais aussi des mécanismes de dégénérescence neuronale dont elle est le théâtre, est nécessaire pour franchir la frontière des seuls traitements purement symptomatiques (L-dopa, agonistes dopaminergiques, stimulation cérébrale profonde...) et entrer dans le champ des traitements curatifs. Les études actuelles, qui s'appuient principalement sur les formes monogénétiques de la maladie (gène LRRK2 notamment), ont essentiellement trait à l'inflammation cérébrale, à la synucléinopathie et aux dysfonctionnements des organites neuronaux. Est ainsi abordée, entre autres, la question des liens entre la neurodégénérescence, l'inflammation et l'immunité. Au niveau cellulaire, les recherches s'intéressent particulièrement au rôle des mitochondries, considérées comme les "poumons" des cellules vivantes, et du réticulum endoplasmique. Prenons l'exemple des premières. "Lorsqu'elles sont défectueuses, les mitochondries subissent normalement un processus de destruction contrôlée au sein de la cellule, appelé mitophagie", expliquent les auteurs du rapport de l'Inserm. "Dans les formes génétiques de la maladie de Parkinson associées à des mutations des gènes PINK1 et PRKN/Parkin, la régulation de la mitochondrie serait anormale. Les mitochondries défectueuses pourraient survivre et favoriser la production d'espèces réactives de l'oxygène néfaste pour le bon fonctionnement cérébral." Une hypothèse forte est que ce dysfonctionnement mitochondrial pourrait être le fruit d'une interaction pathologique entre les amas de la protéine a-synucléine anormale et les mitochondries. Comprendre comment la protéine perturbe l'homéostasie de ces dernières serait susceptible de baliser une voie conduisant à de nouvelles cibles thérapeutiques. En attendant une connaissance plus fine des mécanismes physiopathologiques du parkinson, la recherche investigue déjà la piste des thérapies génétique et cellulaire ainsi que des approches nouvelles, telles que la neuro-illumination où la délivrance intracérébrale d'une lumière du proche infrarouge au niveau de la substance noire pourrait stopper la neurodégénérescence comme le laissent entrevoir des données précliniques. Un essai clinique d'une durée de quatre ans a été initié en 2021 dans le cadre du projet NIR (Near Infra Red).