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A l'occasion de la journée internationale des femmes et filles de sciences initiée par l'Unesco et l'ONU en 2015, l'Académie de recherche et d'enseignement supérieur (Ares) a remis ses Prix Genre & Covid-19. Ils sont nés du souhait du Comité Femmes et Sciences qui désirait soutenir et valoriser les chercheurs(ses) qui travaillent sur la pandémie du Covid-19 et intègrent dans leur recherche les questions de genre et de l'égalité des sexes. Parmi les travaux récompensés, celui que Mathilde Roux a réalisé dans le cadre de son mémoire de fin d'études, supervisé par le Pr Serge Rozenberg (CHU Saint-Pierre), les Drs Charlotte Rousseaux et Christine Gilles: " Évaluation de l'impact de la crise sanitaire liée au Covid-19 sur le délai de présentation des victimes de violences sexuelles au sein d'un centre de référence de prise en charge des violences sexuelles (CPVS)"." Actuellement", précise-t-elle , "les violences sexuelles sont un problème majeur de santé publique, à l'échelle mondiale. Selon un sondage réalisé par Amnesty en 2020, 47% des Belges en ont été victimes. Or, les statistiques officielles ne sont pas le reflet de la réalité puisqu'on estime que seulement 10% des victimes portent plainte à la police." On distingue quatre types de violences sexuelles (VS) selon le degré de contact physique: intimidation sexuelle, abus sexuel, tentative de viol et viol. Les groupes les plus vulnérables sont les femmes (davantage quand elles sont enceintes), les enfants et la communauté LGBT. Sans oublier les facteurs de risques: jeunes (15-25 ans), personnes institutionnalisées, en surpoids ou sans abri, demandeurs d'asile ou réfugiés, travailleurs du sexe et handicap mental ou physique. Au rang des obstacles à leur dévoilement: la honte, la crainte de représailles ou d'être blâmé par son entourage, les forces de l'ordre ou le personnel soignant, des systèmes de soutien inadaptés et ne pas savoir où trouver de l'aide. En 2016, la Belgique a ratifié la Convention d'Istanbul exigeant la création de centres de référence pour les victimes de violences sexuelles (CPVS). Trois se sont ainsi ouverts en Belgique, en novembre 2017 (Bruxelles, Gand et Liège) pour une prise en charge multidisciplinaire (médicale, médico-légale, psychologique, sociale, policière) et gratuite pour ces victimes. " Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreuses associations ont tiré la sonnette d'alarme pour prévenir des effets indésirables liés au confinement: augmentation des VS (en quantité et en gravité) et difficultés à trouver de l'aide. Au sein du foyer, on pointe l'isolement social, les tensions économiques, l'exposition prolongée aux écrans et la diminution de la visibilité des signes d'alarme. D'autre part, l'espace public étant déserté, il est d'autant moins sécurisant. A l'inverse, pour les victimes enfermées avec leur agresseur, il est d'autant plus difficile de s'échapper du foyer. Enfin, de nombreux services d'aide étaient débordés ou ont changé de priorité. Dans ce contexte, deux groupes à risque sont mis en avant: les femmes et les enfants", commente-t-elle. " L'ONU a noté une augmentation des dénonciations et des appels pour signaler des actes de violence dans le monde. En Belgique, les appels à Écoute violences conjugales ont doublé depuis le début du confinement (93% de femmes) et, entre la 1ère et la 4e semaine de confinement, les appels au 1712 ont augmenté de 70%. Paradoxalement, le personnel soignant des CVPS a indiqué une diminution du nombre d'admissions", précise Mathilde Roux. C'est dans ce contexte qu'elle a réalisé son étude en se basant sur les données des trois CVPS, récoltées depuis leur ouverture le 1er novembre 2017 jusqu'au 30 septembre 2020, soit 3.036 victimes (âge médian 25 ans), dont 91% de femmes, 28% de mineurs, 66% suite à un viol. " Nous avons décidé d'un délai de 72 h pour des raisons médicales (contraception d'urgence, prophylaxie VIH, récolte de preuves médico-légales) et nous avons regardé si la proportion de victimes venues au-delà de 72 h était significative". Résultats? Le taux d'admission moyen depuis l'ouverture est de 84 victimes par mois. Au cours du confinement (18 mars - 20 avril 2020), 38 victimes se sont présentées, pour revenir à 93 par mois en post confinement. Si on compare la période du confinement aux mêmes dates en 2017 et 2018 (90 vs 38 pendant le confinement), on constate une diminution d'un peu plus de 50% du nombre d'admissions. On observe également une baisse du nombre de victimes qui se présentent au-delà de 72 h (de 29% à 18% au cours du confinement). En parallèle, le personnel soignant des CVPS souligne la complexité et la gravité des cas pendant cette période. " On a observé que les victimes qui connaissent l'auteur des faits ont deux ou trois fois plus de risque de se présenter au-delà de 72 h, particulièrement s'il s'agit d'un membre de la famille ; les moins de 12 ans et ceux qui ne sont pas originaires de l'UE ont 1,6 fois plus de risque ; enfin, ceux en séjour illégal courent 3,3 fois plus de risque". " Dans le cadre de la pandémie, les effets indésirables liés au confinement augmentent le risque de violences conjugales et familiales, exacerbent des variables qui sont déjà associées à un délai de présentation tardif. L'état de crise sanitaire pourrait constituer une barrière de consultation, qui impacte essentiellement les victimes les plus fragilisées (femmes et enfants) et les plus à risque de viols répétés. Or, il a été démontré que le retard dans la prise en charge des VS était associé à des conséquences négatives à court et long termes et que les survivants d'abus sexuels dans l'enfance sont plus vulnérables à subir d'autres agressions et, si la victime est de sexe masculin, à être auteur de VS plus tard", met en garde Mathilde Roux.