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De nombreuses personnes n'ont découvert le concept des vaccins à ARNm qu'au printemps dernier, lors de la publication des premiers articles consacrés à la vaccination contre le Covid-19... mais en réalité, la recherche fondamentale planche sur le développement de cette approche depuis une trentaine d'années déjà! Sur papier, le principe est pourtant "simple": le patient reçoit l'ARNm d'un antigène puissant, ses cellules l'assimilent et elles se mettent à produire la protéine correspondante. Étant étrangère à l'organisme, celle-ci va titiller son système de défense et déclencher ainsi une réponse immunitaire. Le développement de vaccins de ce type a toutefois longtemps buté sur l'obstacle particulièrement épineux de l' "emballage" de l'ARNm. Sous sa forme "nue", celui-ci n'est en effet pas stable dans l'organisme, étant immédiatement détruit par les ribonucléases présentes un peu partout, y compris dans le milieu extracellulaire. Ce n'est qu'en 2012 que ce problème a pu être résolu, lorsque des chercheurs ont eu l'idée d'encapsuler l'ARNm dans de petites sphères de lipides, appelées nanoparticules lipidiques ( lipid nanoparticles ou LNP en anglais), qui sont capables d'assurer leur transport jusqu'aux cellules. Les investisseurs sont toutefois restés réticents, car la fabrication d'un vaccin à ARNm n'est pas bon marché. Personne n'a donc osé sauter le pas. Début 2020, à peine une douzaine de vaccins à ARNm avaient été testés dans des études humaines, sans que la moindre démarche ne soit entreprise pour la suite du processus. C'est à ce stade que le Sars-CoV-2 est entré en scène... et que l'on s'est soudain souvenu d'un atout considérable des vaccins à ARNm, à savoir leur vitesse de production. Il "suffit" en effet de récolter la séquence génétique voulue sur le pathogène, de l'introduire dans une molécule d'ADN et de déclencher la synthèse de l'ARNm. Chez Moderna, par exemple, cette étape n'a pris que quatre jours après décodage du génome du Sars-CoV-2. En théorie, ce scénario est possible avec n'importe quel vaccin, à un rythme que les plateformes classiques sont incapables de suivre. L'une des applications possibles est le vaccin universel contre la grippe, puisqu'il serait parfaitement possible d'introduire dans une nanoparticule non pas une molécule d'ARNm, mais plusieurs. À l'heure actuelle, les experts passent de longs mois, avant le début de la saison grippale, à sélectionner les souches qui seront incluses dans le nouveau vaccin. Suit une longue phase de développement... dont le résultat ne couvre pas toujours parfaitement les souches en circulation, ce qui explique pourquoi l'efficacité des vaccins influenza actuels dépasse rarement 60%. Aux États-Unis, des chercheurs s'attachent aujourd'hui à développer un vaccin à ARNm contre la grippe contenant douze chaînes d'ARNm distinctes ciblant à ce stade trois types de virus influenza, dans l'espoir que nous puissions un jour nous passer d'une piqûre annuelle. Les scientifiques s'intéressent toutefois aussi dans ce cadre à d'autres germes pathogènes qui continuent jusqu'ici à jouer au chat et à la souris avec la vaccination, comme par exemple le VIH. L'idée est là encore de viser large dans l'espoir de parvenir enfin à acculer le virus... et avec les vaccins à ARNm, nous serions pour cela mieux armés que jamais! En dépit de ces données prometteuses, les experts craignent que la piste des vaccins à ARNm soit en partie abandonnée dès que la pandémie du coronavirus sera sous contrôle. Pour l'instant, ces produits ont en effet aussi encore quelques points faibles, dont la nécessité d'une conservation à basse voire très basse température. Sur ce plan, des équipes de recherche laissent entendre qu'une solution est en vue: dans le futur, l'ARNm sera "emballé" d'une manière telle qu'il pourra simplement se conserver au réfrigérateur. Ce n'est toutefois pas le seul obstacle qui reste à surmonter. L'efficacité des vaccins à ARNm actuels a été testée sur la base d'une administration en deux doses... et même s'ils permettent peut-être déjà d'obtenir une protection non négligeable après une seule piqûre, les meilleurs résultats ont tout de même été obtenus avec deux. Dans un contexte où certains sont déjà réticents à se faire vacciner une fois, ce n'est évidemment pas idéal. Là encore, les experts cherchent une solution. Elle pourrait passer par la pose d'un patch cutané doté de minuscules aiguilles capables de libérer le sérum dans l'organisme petit à petit. Cette délivrance graduelle pourrait du même coup mitiger les effets secondaires. Le vaccin Moderna, par exemple, semble provoquer plus de symptômes systémiques que d'autres - des problèmes de fatigue et des douleurs musculaires, principalement. Les réactions observées pourraient être dues à la présence d'impuretés dans le vaccin lui-même et dans les nanoparticules. C'est la raison pour laquelle les chercheurs ont privilégié une administration en deux doses relativement faibles plutôt qu'en une dose plus élevée lors du développement des vaccins à ARNm actuellement disponibles: les désagréments restent ainsi à un niveau acceptable. Il existe toutefois encore une autre piste pour accroître la puissance d'une dose vaccinale unique: celle de l'ARN auto-amplificateur, qui consiste à coupler le filament d'ARNm à un gène réplicase. La réplicase est une enzyme propre aux virus à ARN qui assure la synthèse de l'ARN au départ d'un fragment d'ARN existant. Ce processus n'existe pas dans nos propres cellules, qui ne sont capables de produire de l'ARN qu'à partir d'ADN. Le recours à la réplicase permettrait de passer à un schéma d'administration en une seule dose plutôt que deux. De quoi convaincre enfin les bailleurs de fonds?