...

"Nous savons aussi entre-temps qu'il n'y a pas de seuil inférieur à prendre en compte pour le cholestérol LDL", confirme le cardiologue Ian Buysschaert (AZ Sint-Jan, Bruges). En 2005, l'étude TNT a démontré que les patients victimes d'un infarctus stabilisé dont le taux de cholestérol LDL était inférieur à 64 mg/dl souffraient nettement moins de nouveaux incidents cardiovasculaires que ceux chez qui cette valeur était plus élevée (1). Des études successives ont confirmé l'utilité préventive de taux de plus en plus faibles, y compris en prévention primaire. En 2017, l'étude Fourier (une étude contrôlée par placebo portant sur une population à haut risque, dans laquelle le groupe "traitement actif" recevait un inhibiteur PCSK9) a observé que le pronostic des patients avec un taux de cholestérol LDL inférieur à 19 mg/dl était meilleur que celui des participants avec des taux plus élevés (2). " Nous disposons entre-temps de 26 études randomisées de haute qualité portant sur un total de plus de 170.000 patients", précise le Dr Buysschaert. " Les résultats combinés révèlent qu'une baisse du taux de cholestérol LDL de 40 mg/dl est associée à une réduction d'environ 25% du risque de nouvel événement. Ce constat se vérifie pour l'ensemble des événements cardiovasculaires, pour les problèmes coronariens, pour les AVC et pour les situations imposant une revascularisation. On observe par ailleurs une baisse de 15% de la mortalité cardiovasculaire et de 10% de la mortalité de toutes causes. Ces effets sont perceptibles dans tous les groupes d'âge, chez les fumeurs et les non-fumeurs, chez les sujets avec ou sans obésité, et ce quel que soit le taux de cholestérol LDL initial." Quatre statines sont actuellement disponibles sur le marché belge. "Les cardiologues privilégient actuellement les statines de haute intensité (high potency statins), à savoir l'atorvastatine à une dose de 40 à 80 mg et la rosuvastatine à une dose de 20 à 40 mg", précise le Dr Buysschaert. "Avec ces produits, on peut s'attendre à une baisse du taux de cholestérol LDL de l'ordre de 50 à 60%. Mieux vaut par contre éviter la simvastatine 80 mg, qui provoque davantage de problèmes de rhabdomyolyse et de plaintes musculaires. L'atorvastatine et la rosuvastatine peuvent (tout comme la pravastatine) être administrées à n'importe quel moment de la journée, ce qui les rend probablement plus simples à utiliser." On privilégiait autrefois une administration vespérale, la production hépatique de cholestérol intervenant surtout au cours de la période de jeûne. De par la demi-vie longue des statines de haute intensité, cette synchronisation avec la phase de synthèse accrue ne semble toutefois pas nécessaire avec ces produits. " Je pense qu'il faudrait donner la préférence à l'atorvastatine sur la rosuvastatine", poursuit le cardiologue brugeois. "Cette dernière semble en effet associée à un risque légèrement accru d'hématurie, de protéinurie et d'insuffisance rénale, alors même que les statines font partie du traitement des patients qui souffrent de néphropathies préexistantes (3). Les Folia Pharmacotherapeutica du mois d'octobre 2022 soulignent également que le dosage de la rosuvastatine doit être ajusté en cas d'insuffisance rénale, alors que ce n'est pas nécessaire pour l'atorvastatine. La rosuvastatine est même contre-indiquée en présence d'une insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 ml/min)." Lorsque la dose maximale d'une statine à haute intensité ne permet pas d'obtenir le résultat souhaité ou que le traitement est mal toléré, on pourra envisager l'ézétimibe. Dans l'étude Improve-It, réalisée chez des patients victimes d'un syndrome coronarien aigu, l'adjonction d'ézétimibe au traitement par statines permettait d'abaisser le cholestérol LDL de 23% supplémentaires (4), avec à la clé une baisse significative de 6% au niveau de la survenue de nouveaux incidents cardiovasculaires (critère d'évaluation combiné). Les valeurs-cibles pour le cholestérol LDL sont déterminées en fonction du groupe de risque auquel le patient appartient (5). - Patients à très haut risque, défini par: une maladie cardiovasculaire telle qu'un infarctus, un AVC ou une artériopathie périphérique ; un diabète avec atteinte des organes cibles ou ? 3 facteurs de risque majeurs ou un diabète de type 1 depuis > 20 ans ; une grave insuffisance rénale (eGFR < 30 ml/min/1,73 m2) ; une hypercholestérolémie familiale et une maladie cardiovasculaire ou d'autres facteurs de risque majeurs. - Valeur-cible: cholestérol LDL < 55 mg/dl et réduction ? 50% par rapport à la valeur avant traitement. - Patients à haut risque, défini par: un diabète sans atteinte des organes cibles ou ? 1 facteur de risque majeur ou durée ? 10 ans (diabète de type 1 ou de type 2) ; eGFR < 30-59 ml/min/1,73 m2 ; hypercholestérolémie familiale sans facteurs de risque majeurs ; PA > 180/110 mmHg ou CT > 310 mg/dl ou cholestérol LDL > 190 mg/dl - Valeur-cible: cholestérol LDL < 70 mg/dl et réduction ? 50% par rapport à la valeur avant traitement. - Les patients à risque modéré sont les jeunes diabétiques (< 35 ans en cas de diabète de type 1, < 50 ans pour le diabète de type 2 si la maladie est présente depuis moins de 10 ans et qu'il n'y a pas d'autres facteurs de risque).- Valeur-cible: cholestérol LDL < 100 mg/dl. Les sujets à faible risque sont ceux qui ne présentent aucun des facteurs de risque susmentionnés. Dans ce cas de figure, on recommande de viser un taux de cholestérol LDL < 116 mg/dl - une cible qui peut, d'après les recommandations, être atteinte moyennant de simples adaptations du mode de vie. En présence d'un risque modéré, la prescription d'une statine est recommandée comme seconde mesure à prendre en sus de ces adaptations du mode de vie. En présence d'un risque élevé, le traitement médicamenteux se composera d'une statine de haute intensité avec ou sans ézétimibe si une modification du mode de vie s'avère insuffisante. En présence d'un risque très élevé, un traitement par statine sera initié d'emblée en combinaison avec une adaptation du mode de vie ; on pourra y ajouter de l'ézétimibe si nécessaire. Un inhibiteur PCSK9 est également une possibilité qui peut être envisagée. "Dans la pratique quotidienne, les statines ne sont pas toujours utilisées dans les circonstances où les directives le recommandent", déplore le Dr Buysschaert. "Une étude britannique auprès de 30.000 personnes a constaté que 20% du sous-groupe des patients post-infarctus ne prenaient déjà plus de statines de haute intensité un an après le début du traitement (6). Après quatre à cinq ans, cette proportion atteignait 25%. Les patients diabétiques et insuffisants rénaux aussi sont nombreux à décrocher au fil du temps. Dans l'étude Eurospire V, une étude à grande échelle portant sur 7.800 patients, 67% de la population-cible belge dépassait encore la valeur-seuil fixée pour le cholestérol LDL six mois à deux ans après l'événement-index (7). Ces données ne sont toutefois plus toutes récentes et il est possible que la situation se soit un peu améliorée depuis... mais il subsiste un problème de sous-traitement avec les statines." " Il est exact que les statines sont associées à des troubles musculaires", confirme l'expert. "La rhabdomyolyse touche 1 patient sur 10.000, mais des crampes musculaires peuvent également survenir. Je voudrais toutefois évoquer à cet égard les recherches mettant en lumière l'effet nocebo associé aux statines. Le New England Journal of Medicine a par exemple publié une étude très intéressante dont les participants avaient reçu quatre flacons contenant une statine, quatre flacons contenant un placebo et quatre flacons vides (8) qu'ils utilisaient un mois chacun dans un ordre aléatoire. Résultat? Les notes des patients n'ont révélé aucune différence entre les mois sous statine et les mois sous placebo en termes de douleurs musculaires." Ces travaux portaient sur des sujets qui avaient interrompu leur traitement par statines en raison d'effets secondaires. Lorsque les résultats leur ont été soumis, accompagnés d'explications concernant l'effet nocebo, 50% ont accepté de reprendre le traitement. "Nous devons donc veiller à bien communiquer avec nos patients", conclut le Dr Buysschaert. "Il est important de leur faire comprendre que les statines améliorent leurs chances de survie. Néanmoins, il faut aussi rester vigilant face au risque de rhabdomyolyse et demander un dosage de la CK lors de chaque prise de sang. Si les valeurs restent faibles, une rhabdomyolyse est exclue. Lorsqu'un patient sans rhabdomyolyse se plaint de crampes musculaires, on interrompra le traitement par statine durant deux à quatre semaines ; il pourra être repris si les plaintes persistent. Si les plaintes disparaissent, le médicament peut être réintroduit à titre de test. S'il s'avère que les plaintes disparaissent à chaque interruption de la prise, il est possible qu'il y ait effectivement un lien de cause à effet. On pourra alors soit abaisser la dose, soit passer à une autre statine. Si nécessaire, on se limitera à une faible dose deux à trois fois par semaine - même une dose hebdomadaire unique a déjà un impact bénéfique sur la morbi-mortalité cardiovasculaire! L'adjonction d'ézétimibe pourra être envisagée pour renforcer l'effet." Pour conclure, le Dr Buysschaert tient encore à mettre en garde contre le passage à des préparations dont la sécurité et/ou l'efficacité n'ont pas été suffisamment démontrées.