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Liégeois qui a fait ses études universitaires à Louvain à l'époque, Luc Bawin avait débuté la médecine interne, qu'il dut abandonner au bout d'un an pour remplir ses obligations militaires... ayant oublié de renouveler son sursis. " Entre-temps, je suis devenu père de famille et j'ai donc abandonné la médecine interne pour la générale. Et j'ai fait mon service." Planifiant sa fin de carrière complète effectuée dans la région de Hannut, " je me disais que j'aurais du mal à arrêter tout à fait à 65 ans", précise-t-il, il est devenu conseiller médical en adoption à l'ONE. Un travail qu'il poursuit malgré la retraite, depuis neuf ans. Tout cela afin de réaliser un atterrissage en douceur au niveau professionnel. Par ailleurs, il effectue un travail de bénévole au sein de la plateforme citoyenne pour l'accueil des migrants en tant que médecin et hébergeur. Pour ce père de cinq enfants, l'engagement auprès des migrants date des troubles au parc Maximilien de Bruxelles fin 2017, moment où le parc s'est rempli de réfugiés en attente de régularisation. Vu la situation humanitaire catastrophique, des bénévoles se sont mobilisés pour se substituer à la prise en charge par l'Etat. " Nous sommes d'abord devenus hébergeurs avant de nous structurer dans la région, via l'association Hesbaye terre d'accueil. Nous essayons de cadrer notre action afin qu'elle reste essentiellement humanitaire: nous ne pouvons évidemment pas avoir d'activités qui pourraient être assimilées à des aides au passage. Les reconduire sur les parkings est absolument proscrits. Nous avons entre nous des règles de fonctionnement très strictes, afin de rester dans le cadre humanitaire." Luc Bawin n'a jamais caché avoir le coeur un peu à gauche. " Je ne suis pas du tout bling-bling grosse bagnole. Je me sens très solidaire de l'humanité et cela s'est exprimé au cours de ma pratique médicale." Quant à la réaction de ces confrères vis-à-vis de ses positions, elle est plutôt favorable: " par exemple, si j'ai besoin d'échantillons afin de soigner les personnes qui passent par mon domicile, je peux faire un appel à mes confrères, qui se couperont en quatre pour me trouver ce dont j'ai besoin. Ils ne le feraient peut-être pas à ma place, mais ne sont pas du tout opposés à mon action, perçue je crois, de manière assez positive." Si à l'ONE, il est question de mise au monde, serait-il dans le cas des réfugiés d'accueil au monde? " Il y a d'une part un engagement professionnel, avec cette histoire d'adoption, qui trouve également racine dans mon histoire familiale", explique Luc Bawin. " Parmi nos cinq enfants, se trouve une fille que nous avons adoptée. Par ailleurs, mon unique soeur est issue d'un processus d'adoption", précise-t-il. Une forme de culture familiale que le médecin a sans doute voulu prolonger dans cet engagement professionnel qui lui permet d'avoir un regard sur ces problématiques d'une personne également confrontée à ces réalités sur le terrain et pas seulement de l'extérieur. À la question de savoir si accueillir un réfugié chez soi est aussi une forme d'adoption, le MG oppose une réponse nuancée: " lorsqu'on héberge un réfugié, ce processus comble un manque ou un vide de l'histoire personnelle. Et il ne faudrait pas que ce soit un bénéfice secondaire qui prenne le pas sur l'objectif premier, qui est de permettre à ces gens de ne pas être à la rue, d'être nourri, logé et douché. À partir du moment où l'on noue des relations avec eux, il ne faudrait pas que ces liens deviennent de leur point de vue des entraves, des connexions qui les retiennent sur leur parcours, alors que leur but n'est pas de rester ici. Le rapport est asymétrique: les réfugiés ont besoin de nous, mais le besoin que nous aurions d'eux nous devons en faire abstraction." Dans ce troisième roman qu'il vient de publier, Luc Bawin remercie chaleureusement tous ces migrants qui sont passés par chez lui. " À titre personnel, je leur dois beaucoup dans la mesure où ils ont élargi le champ des possibles. Nous vivons dans une société faite d'habitudes, de petit confort, de sécurité sociale et de sécurité tout court. Finalement, le moindre petit désordre, pourrait nous déstabiliser. Eux qui sont démunis, prennent le risque de perdre leur vie pour ne pas la perdre justement. Car s'ils étaient restés dans le milieu ou le pays qu'ils ont quitté, ils n'auraient pas pu réaliser leur vie telle qu'ils veulent l'imaginer." Une expérience riche d'enseignements pour ce médecin, une leçon de vie qui guide désormais sa vie. L'écriture chez le Dr Bawin s'est concrétisée au cours de ses dernières années de pratique, confronté qu'il fut à deux situations de patientes, où la relation transférentielle était telle que le médecin s'y sentait englué. " Je n'arrivais pas à me dépatouiller de cette affaire terriblement prenante, à la fois d'un point de vue émotionnel et temporel car chronophage. Cela m'empêchait même de dormir. La seule manière de prendre un peu de distance par rapport à ces situations, fut pour moi de coucher ces problématiques par écrit. J'ai donc tenté de synthétiser ces deux cas en un troisième, bien entendu imaginaire." "Ce fut l'objet de mon premier livre: j'en ai bien sûr référé à l'Ordre qui m'a répondu qu'il était sans doute délicat de le publier sous mon propre nom. Les partitions' est donc paru sous le nom de Luc Gramme, le nom de ma mère en réalité."Un exutoire qui lui a permis de prendre confiance en son écriture, l'arrêt de sa pratique de généraliste lui a permis d'avoir plus de temps pour écrire: une activité qui ne peut s'accomplir que dans une temporalité particulière et qui n'est évidemment pas celle de la médecine générale.