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"O n sait que les vaccins sauvent des vies et qu'ils sont les produits de santé les plus sûrs, encore faut-il qu'ils soient administrés. Et on sait tous que les vaccins sont rentables: en Belgique, pour chaque euro dépensé dans un vaccin pour les enfants, trois euros sont épargnés en évitant une maladie et ses complications", a fait observer le Dr Nicolas Dauby (CHU Saint-Pierre) lors du symposium sur les vaccins, co-organisé par l'AFMPS et Pharma.be, le 12 mai dernier. Dès lors, comment faire passer ce message dans la population? " Communiquer sur l'intérêt des vaccins peut être utile mais, à mon avis, on vit dans une société égoïste peu intéressée par le bien commun. Sans oublier l'hésitation vaccinale qui existait bien sûr avant la pandémie, notamment en France où elle était déjà très forte. Il y a donc du travail à faire sur ce plan", reconnaît-il. Selon une enquête menée dix jours après le début du confinement, 26% des Français disaient qu'ils refuseraient le vaccin contre le Covid-19 (37% dans le groupe à revenu faible, 36% chez les femmes jeunes 18-35 ans). Trois raisons principales étaient évoquées: le vaccin produit dans la précipitation est trop dangereux (64%), a priori contre la vaccination (27%) et inutilité du vaccin parce que le Covid-19 n'est pas une maladie grave (9%). Le modèle "5C" -confiance, contraintes, complaisance (perception individuelle du risque lié à la maladie), calcul (recherche d'infos, rapport bénéfices/risques) et responsabilité collective (contexte sociodémographique)- peut servir de cadre pour comprendre ces inquiétudes et élaborer des stratégies visant à faciliter l'acceptation du vaccin. Pour faire passer les messages, il faut tenir compte de la désinformation en ligne, de l'hésitation vaccinale chez les professionnels de santé et de la confiance dans les autorités. Une étude menée au Royaume-Uni et aux États-Unis (Loomba S. et al) en 2020 a par exemple montré que parmi ceux qui voulaient initialement se faire vacciner, l'exposition à la désinformation en ligne induisait un déclin dans l'intention vaccinale. Nicolas Dauby rappelle aussi la fakenews liant vaccin Covid-19 et infertilité, rapidement disséminée à partir d'un post mis sur un blog en décembre 2020: malgré son retrait rapide, plus de 25% des femmes britanniques disaient ensuite refuser le vaccin en raison des doutes relatifs à ses effets sur la fertilité. Tout n'est cependant pas à jeter dans les réseaux sociaux: " Les influenceurs peuvent être très utiles pour délivrer de l'information positive sur les vaccins, ils peuvent faire partie de la stratégie notamment pour toucher les minorités et les jeunes. Les célébrités sur Instagram ont un niveau de confiance supérieur à celui des célébrités classiques", explique Nicolas Dauby en citant une campagne américaine où des influenceurs, principalement suivis par des Afro-Américains et des Hispaniques, ont diffusé des messages en faveur du vaccin contre la grippe. " Environ 94% des réponses aux messages étaient positives, ce qui suggère qu'il s'agit d'une stratégie prometteuse pour communiquer des informations sur la santé et qu'elle pourrait faire évoluer les normes sociales, en particulier pour les sujets fortement débattus comme la vaccination", concluaient les auteurs Bonnevie et al (2021). Il y a aussi la Team Halo (teamhalo.org), créée dans le cadre de l'initiative ' Verified' des Nations unies: ce groupe international de scientifiques et professionnels de santé répond aux préoccupations et à la désinformation concernant le vaccin Covid-19 (sur TikTok, Instagram, Twitter). L'infectiologue donne encore l'exemple belge de ' School'up': une campagne sur le vaccin Covid-19 menée dans les écoles bruxelloises à l'automne 2021, par l'intermédiaire de l'influenceur vinz.kante suivi par plus de 52.000 abonnés sur Instagram. Les professionnels de la santé restent les meilleurs alliés pour transmettre les messages et vacciner. Cependant, ils jouent un rôle critique dans l'acceptation des vaccins parce qu'ils représentent également un risque d'hésitation vaccinale. " La plupart des patients leur font confiance pour être informés et conseillés mais, les professionnels de santé ne sont pas tous experts en vaccin et ils peuvent donc être en proie aux doutes. Ceux qui hésitent à se faire vacciner ne peuvent pas répondre efficacement aux préoccupations de leurs patients", estime-t-il en insistant sur l'importance de la formation dès l'école de médecine et tout au long de la carrière. Nicolas Dauby a participé à une étude menée en France, en Belgique et au Canada en octobre et novembre 2020 auprès de 2678 professionnels de santé (Eurosurveillance 2020). Résultat? Le principal facteur associé à l'hésitation ou au refus du vaccin contre le Covid était les inquiétudes sur la sécurité des vaccins développés en urgence, suivi par le manque de confiance dans les autorités ministérielles pour assurer la sécurité du vaccin et l'expérience personnelle relative à la vaccination contre la grippe. Pour le Dr Dauby, le cas du "petit Cuba" face à "Big Pharma" est très parlant ( The Conversation, 16 mars 2022): " Sensibles à l'intérêt commun, les Cubains ont confiance dans leurs vaccins et programmes d'immunisation. Quand un vaccin est approuvé, ils savent qu'ils ne sont pas utilisés comme cobayes, cela facilite son déploiement." Un exemple qui le laisse rêveur face à la mauvaise communication dans notre pays. Par exemple, quand Bénédicte Linard, ministre de la Santé (FWB), déclare en octobre 2021 que " ce n'est pas grave si seul un tiers des jeunes sont vaccinés à Bruxelles", ou quand des élus demandent que le vaccin AstraZeneca ne soit pas administré dans le centre de vaccination de leur commune, ou encore quand des ministres ne veulent pas dire s'ils feront vacciner leurs enfants, estimant que cela pourrait leur attirer des ennuis... " Les déterminants de l'acceptation vaccinale n'ont pas réellement changé avec la pandémie", conclut-il. " La 'jungle en ligne' doit être investie par les autorités publiques mais aussi par les scientifiques pour contrer la désinformation relative aux vaccins. Il faut écouter les inquiétudes des professionnels de santé et veiller à leur formation. Une culture du vaccin "positive" doit être promue activement par les autorités. Enfin, le contexte importe et il faut prendre en compte l'éducation et la langue pour transmettre les messages."