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Quelle est la relation entre polyphénols et muscle squelettique? " Les polyphénols ont des propriétés antioxydantes et/ou anti-inflammatoires et ce sont des substances naturelles. Or, à l'heure actuelle, on aimerait trouver des alternatives à des médications coûteuses et qui ont des effets secondaires. L'hypothèse c'est que les polyphénols, grâce à ces propriétés, pourraient avoir un effet bénéfique dans le traitement de certaines formes d'atrophie musculaire", a expliqué la Pr Louise Deldicque (Centre d'investigation clinique en nutrition, UCLouvain). La famille des composés phénoliques est très vaste. La chercheuse s'est concentrée sur le curcumin, les ellagitanins (extraits de la grenade), la rutine (flavonol des agrumes et pommes), la quercétine (flavonol des câpres, raisins...) et l'épigallocatéchine (flavonol du thé vert et des fèves de cacao). Comment ces polyphénols influencent-ils la masse musculaire? " La balance protéique nette, soit l'équilibre entre la synthèse et la dégradation des protéines, régule la masse musculaire. La synthèse des protéines est essentiellement contrôlée par la voie de mTOR. Quant à leur dégradation au niveau musculaire, elle dépend de différentes voies de signalisation (autophagie, protéasome et caspases) qui peuvent être activées par l'inflammation (mesurée par la protéine NF-kB et par le stress oxydatif). Or, grâce à leur action anti-inflammatoire et antioxydante, les polyphénols peuvent avoir un effet sur la dégradation des protéines. C'est très important parce que dans pas mal de pathologies, il y a une augmentation de l'inflammation et du stress oxydatif. Si on pouvait la diminuer par une alimentation riche en polyphénols, ce serait bénéfique à la masse musculaire", indique-t-elle. Des travaux ont par exemple montré que la rutine et le curcumin réduisent l'atrophie observée dans des modèles animaux de cancer et qu'une supplémentation en curcumin a un effet bénéfique chez des rats mis en condition d'hypoxie (connue pour engendrer une fonte musculaire). " Chez la souris, on a montré que la quercétine permet de limiter l'atrophie observée après dénervation (section du nerf sciatique). Par stimulation de la voie d'Akt, elle favorise la synthèse protéique (notamment en augmentant l'IGF-1, un facteur très important dans la prise de masse musculaire). De plus, elle limite la production des ROS (Reactive Oxygen Species) et donc le stress oxydatif, impliqué dans la fonte musculaire. Ce sont toujours des mécanismes indirects par lesquels ces polyphénols arrivent à réduire les voies de dégradation des protéines et donc à jouer un rôle bénéfique sur la masse musculaire", ajoute la Pr Deldicque. L'épigallocatéchine-3-gallate atténue la sarcopénie chez les rats âgés via une diminution de l'activité du protéasome et une augmentation de l'expression de l'ARNm de gènes impliqués dans l'anabolisme (IGF-1, IL-15...). Toujours chez la souris, la supplémentation en extraits de grenade a permis de limiter la perte de masse musculaire induite par une injection de TNFa, en réduisant la transcription de gènes codant pour des cytokines pro-inflammatoires induites par le TNFa, et donc a permis de maintenir la synthèse protéique et prévenir l'activation du système ubiquitine-protéasome par le TNFa. Un des métabolites secondaires des ellagitanins, l'urolithine A, présente les mêmes effets anti-inflammatoires in vitro et un autre principe actif, l'urolithine B, protège de la fonte musculaire chez la souris. Reste la question de savoir si ces résultats sont transposables chez l'homme. " Les urolithines A, B et C se retrouvent dans le plasma de sujets qui ont ingéré des extraits de grenade. La première étape est la transformation des ellagitanins en acide ellagique. On s'est rendu compte qu'il existe trois phénotypes métaboliques chez l'humain en fonction des bactéries intestinales qui permettent de transformer l'acide ellagique: 70% ne produisent que de l'urolithine A (métabotype A), seuls 20% sont capables de produire également de l'urolithine B (métabotype B), les 10% restants n'en produisent aucun des deux (métabotype 0)", indique la chercheuse. Dès lors, pourquoi continuer à étudier l'urolithine B alors que c'est surtout l'urolithine A qui est métabolisée? " Parce qu'on pense qu'il existe un lien entre le BMI et le métabotype et que cela peut avoir un effet positif chez des obèses et dans des pathologies comme le syndrome métabolique, répond-elle. Ainsi, la dysbiose intestinale associée au surpoids ou à l'obésité détermine le métabolisme de l'acide ellagique, augmentant le pourcentage de métabotype B qui est plus fréquent chez les obèses et dans le syndrome métabolique. L'urolithine B pourrait donc être intéressante pour maintenir ou prendre de la masse musculaire. Sachant que le métabotype B dépend des bactéries intestinales Lactobacillus, Leuconostoc et Pediococcus, qui permettent de produire de l'urolithine et surtout de l'urolithine B". Que conclure de ces données? Pour Louise Deldicque, " on peut donc affirmer qu'il y a des effets positifs des polyphénols sur la fonte musculaire lors de la cachexie cancéreuse, d'une inflammation aiguë, d'une décharge musculaire, d'une section du nerf sciatique et avec l'âge. Ils entraînent une activation moindre de la dégradation des protéines et de la voie de NF-kB, une diminution du stress oxydatif et une meilleure fonction mitochondriale. Cependant, il n'y a pas assez d'évidence scientifique de ces effets des polyphénols et dérivés chez l'humain, ils devront être confirmés".