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Point de départ sous le gigantesque atrium verrière de ce bâtiment en forme de tortue destiné à accueillir la collection de Henri Van Cutsem, très fin collectionneur bruxellois du début du siècle dernier qui trouva à Tournai une ville capable d'accueillir et de mettre en valeur une collection dont la capitale ne voulait pas vraiment. Deux statues signées Rik Wouters ; comme on peut le constater au travers d'autres oeuvres disséminées autour, l'artiste prenait pour unique modèle son épouse Nel. Laquelle exécute une danse dionysiaque et nue de femme libérée (et tu sais, c'est pas si facile...) donnant "corps" à la chorégraphie d'une Isadora Duncan que son mari découvre dans un spectacle à la Monnaie au début des années 1900. Une sculpture aérienne légère, pleine d'allégresse, avec, aux lèvres, une expression radieuse. Cette folle danseuse issue de la collection Belfius, est mise en regard du même modèle, mais cette fois plus grand, massif, d'une lourdeur digne de Georges Minne et dont la tête penchée pleine de gravité lui donne un air de figure tirée de l'Angélus de Millet: cette même Nel "figure" cette fois dans Les soucis domestiques. Les deux réunies, et entourées de quelques autres bustes de l'épouse du sculpteur, donnent le titre à l'exposition qui, dans les espaces contigus, va développer la thématique de la représentation de la femme sous l'oeil et la main de l'artiste (une seule femme, la baronne Alix d'Anethan, qui signe un portrait de chanteuse) fantasmant sur l'éternel féminin, objet de désir ou "ustensile" de taches ménagères dont il se dispense. Des stéréotypes! Des figures connues de Vénus à Madeleine, de Pénélope à Carmen en passant par Marthe, laquelle initie ce périple: une Marthe qui, comme dans la Bible et la très belle peinture de Jordaens présentée et tirée des collections du musée, s'occupe de l'intendance du matériel tandis que Marie se cantonne au noble... et donc au spirituel. De Braekeleer, Anversois également, mais du 19e, crayonne une domestique ou peint une blanchisseuse dans un style réaliste, Hippolyte Boulanger, déjà plus atmosphérique, une paysanne à la fourche. L'intimité est suggérée dans les pièces vides de Ottevaere ou la peinture Les crêpes de Jan Stobbaerts... Pénélope, figure de l'attente intime, de la pensée ou du chagrin, auquel fait songer la Nel pleine de gravité du début (cette figure de l'Odyssée fut sculptée par Bourdelle à laquelle l'oeuvre de Wouters fait penser et se réfère) est une thématique qui donne à découvrir le travail de Guillaume van Strydonck qui, avec La malade (notez bien sous-titrée l'accouchée, qui est donc une souffrante), se révèle plein d'atmosphère dans son mélange d'impressionnisme et de luminisme... Nous sommes en 1887. André Collin est lui totalement un artiste de l'intérieur, dont la peinture plonge dans l'ombre les trois soeurs dans le sous-sol de l'hôpital de Bavière, trois travailleuses de l'ombre en effet (1904). Le portrait de madame Claus par son Émile de mari est magnifique, oscillant entre Renoir pour le style et les formes et Khnopff pour les teintes douces et mélancoliques. Précisons que cette expo est rehaussée d'interventions de deux artistes contemporaines: l'une Kubra Khademi, afghane, se balade en rue à Kaboul dans une "armure", du genre Madonna dans ses spectacles (imaginée par Jean-Paul Gautier), qu'elle endosse courageusement et traverse la ville. La vidéo et l'objet du "délit" sont présentés. L'autre artiste est plus récurrente dans l'expo: la Togolaise Hélène Amouzou la parsème de ses photos d'elles en noir et blanc, nue ou pas, sans que cela ne trouble, n'émeuve ou ne choque. Par parenthèse, deux artistes étrangères pour contrer le machisme des anciens plasticiens, pourquoi pas? Mais comme si les a priori masculins avaient disparu de nos univers "civilisés". A l'opposé de Marthe, Vénus désigne bien entendu la beauté du corps féminin exalté par les artistes dans une section où, bizarrement, ce sont les descriptions d'ateliers qui pullulent surtout: presque photographique, un fusain d'un certain Jean Leroy, autre nom inconnu tiré de la splendide collection Van Cutsem, signe un nu féminin aux allures de pomone vue de dos. Heureusement, dans cet univers mâle, les Guérillas Girls qui combattent le machisme dans les musées et la sous-représentation féminine font une brève, mais salutaire apparition contemporaine. L'espace "Carmen" est dédié aux modèles féminins, prénom de celui de Toulouse-Lautrec, mais aussi à Nel bien sûr, Élisabeth pour Fantin-Latour, lequel a droit plus loin d'un petit focus: toutes trois font l'objet ainsi que Barbara - autre modèle du "nain" - d'un récit audio face un superbe pastel, une étude de femmes de 1890 qui fait de Louis Anquetin l'autre Toulouse-Lautrec, son ami, dont il reprend tons formes et thèmes. Le bain est personnifié par Suzanne, autre personnage biblique ; et ces scènes deviennent les Suzanne aux bains, rappelant le sentiment implicite de la domination masculine, et de l'artiste regardant par le trou de la serrure. Cependant, dans le dernier quart du 19e, comme dans le cas de Maurice Marinot ( Nu courbé de dos), traité comme la femme à la toilette, cette scène est vue comme un temps de rêverie et de réflexion reléguant le rôle d'appât dévolu jusque-là à ce genre de scène. Écritures (figures féminines bibliques dont les artistes mâles font du... bibelot), est notamment représentée par le Maître de Saint-Barthélemy et sa Prédication du Christ qui la montre parmi un auditoire attentif: une peinture du 15e siècle, preuve que tout n'est pas de l'époque moderne dans cette belle exposition, à contempler ces beaux portraits expressifs d'une Madeleine pénitente signés Charles Lebrun ou le Cavalier d'Arpin et datés du 17e siècle. Nom masculin pour une section focus consacrée à Fantin-Latour, initiée par ses compositions florales puis des portraits de femmes, peignant ou lisant: elles sont mises en regard de toiles du Bruxellois Édouard Agneesens dans Au théâtre ou dans La liseuse (porté aux nues par Émile Verhaeren), dont le style s'approche fortement de celui du Français dans son réalisme émotif. Dans cette section un peu incongrue au départ - mais illustrée de figures féminines, les fleurs sont l'occasion de présenter le Des roses de Fernand Khnopff dans son style symboliste évaporé (il fait face à une guirlande Art nouveau de toute beauté et de grâce d'un certain Arsène Matton qui pris pour modèle Georgette Leblanc épouse de Maeterlinck), une Imperia de Delville au regard d'aigle plus hallucinée encore, ou la peinture silencieuse de Xavier Mellery qui illumine sa "Dentellière au travail". L'expo se termine comme elle a commencé, sur la danse, au travers entre autres des oeuvres gracieuses et vivaces de Jean Decoen aux titres éponymes, ou deux autres sculptures jubilatoires et bachiques de Jef Lambeaux: une Bacchanale et une Idylle qui auraient pu se passer de titre tant le thème en est évident. Reste que l'une des images les plus émouvantes de cette expo emplie de belles découvertes, est celle que l'on remarque presque en la quittant: disposée en face des deux sculptures génériques, un fusain de Rik Wouters qui en quelque traits dans Silhouette féminine décrit amoureusement eu quelques traits Nel à sa toilette....