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"Parfois, on appelle la technologie qui a été développée à cet effet 'un pancréas artificiel', mais son nom scientifique est 'système hybride en boucle fermée' ou système HBF", précise le Pr Gillard. "Ce système fait appel à une pompe à insuline reliée à un capteur de glucose. Le capteur transmet en permanence des données sur les niveaux de glucose, soit directement à la pompe, soit à un récepteur intermédiaire. Ensuite, à l'aide d'un algorithme qui analyse en continu ces informations, la pompe reçoit des instructions sur la quantité d'insuline à libérer. Tout comme la cellule bêta le fait dans des conditions physiologiques, le système surveille en permanence les niveaux de glucose et ajuste la libération d'insuline en conséquence. En-dehors des repas, le système HBF fonctionne très bien. La nuit, il permet d'obtenir des taux de glycémie quasi normaux." Le terme 'hybride' fait référence au fait que l'intervention du patient reste tout de même nécessaire, notamment au moment des repas, du moins si ceux-ci contiennent des glucides. Le patient doit informer sa pompe ou le récepteur intermédiaire du fait qu'il va consommer des glucides et en quelle quantité. Cette intervention est nécessaire parce que le système HBF n'arrive pas à simuler complètement la situation physiologique. En effet, dans des conditions physiologiques, le ('vrai') pancréas se met à sécréter de l'insuline dès qu'on ingère des glucides - il reçoit pour cela un signal hormonal et neuronal. C'est un premier aspect qui fait défaut dans le système HBF. Une deuxième limitation est que la pompe administre l'insuline par voie sous-cutanée, et pas directement dans la circulation sanguine. De ce fait, l'insuline arrive plus tard dans le sang que les glucides, comme c'est le cas avec le stylo et la pompe classique. Actuellement, on n'atteint donc pas encore une synchronisation parfaite, comme dans des circonstances physiologiques. "C'est pourquoi nous ne pouvons pas encore vraiment parler d'une boucle fermée, comme celle dans laquelle fonctionne le pancréas physiologique", indique le Pr Gillard. "Le système est toujours sujet à l'erreur humaine. Les patients doivent estimer la quantité de glucides dans leur repas, ce qui n'est pas toujours évident. On peut se tromper. Mais contrairement à la pompe normale, le système HBF ne nécessite que trois interventions du patient par jour, car la plupart des systèmes sont capables de gérer les petits en-cas. Pour la majorité des utilisateurs, le système HBF change vraiment la donne. C'est la première fois dans ma carrière que j'entends les gens dire: 'cet outil me simplifie réellement la vie'." "Le capteur était déjà une avancée considérable. Mais pour l'utiliser, les patients devaient apprendre à maîtriser toute une série de compétences et prendre pas mal de précautions. Imaginez une personne qui assiste à une réunion et son capteur envoie tout à coup un signal parce qu'il détecte une glycémie de 300 mg/dl. La personne en question est inévitablement distraite de la réunion pendant un moment pour s'injecter de l'insuline. Avec le système HBF, ce genre de situation ne se produit plus. La pompe assure elle-même le contrôle glycémique ou le retour à un taux de glucose normal. Le principal atout de ce système, c'est la tranquillité d'esprit pour le patient." Actuellement, une cinquantaine de systèmes HBF sont disponibles dans le monde. En Belgique, on en compte trois, et plusieurs autres devraient bientôt suivre. Pour l'instant, les systèmes HBF sont équipés de pompes à cathéter mais dans quelques mois, les pompes patch apparaîtront sur le marché belge et nous nous attendons à ce qu'un groupe supplémentaire de personnes passe à un système HBF. Les algorithmes aussi deviennent de plus en plus intelligents. Il existe des systèmes à apprentissage automatique, c'est-à-dire qu'ils se perfectionnent tout seuls par le biais de l'intelligence artificielle. Pieter Gillard: "À ce stade, même les ingénieurs ne comprennent parfois plus comment le système continue de s'améliorer. C'est inhérent à l'intelligence artificielle: à un moment donné, le système commence à vivre sa propre vie. Je prédis qu'à terme, la majorité des patients atteints de diabète de type 1 n'utiliseront plus un stylo mais une pompe, précisément en raison du caractère performant du système HBF. Le poids que le système automatisé enlève des épaules du patient éliminera probablement toutes les réserves qui sont formulées aujourd'hui au sujet des pompes conventionnelles." Un tel système en boucle fermée fonctionnera-t-il un jour de manière totalement autonome? "Je l'espère bien. La question est de savoir si le système continuera à fonctionner uniquement sur la base de l'insuline. Il existe déjà des systèmes qui utilisent le glucagon en plus de l'insuline. Cela offre un avantage supplémentaire. Comme mentionné précédemment, l'administration sous-cutanée fait que l'insuline atteint la circulation sanguine plus tard que les glucides provenant du repas. Une solution possible consiste à augmenter la dose d'insuline au moment du repas. L'insuline pénètre alors plus rapidement dans le sang sous l'effet d'un gradient de concentration plus important. Ensuite, le dispositif libère du glucagon pour compenser l'effet de la dose accrue d'insuline. Aux Pays-Bas, on teste actuellement un système d'insuline et de glucagon qui fonctionne de manière totalement autonome. Le patient n'a donc plus besoin de prévenir le système avant de manger. D'après les premiers rapports, le système fonctionne bien pour un certain nombre de patients, mais pas pour tous." Dans le domaine des systèmes en boucle fermée, le Pr Gillard constate un autre besoin non comblé: "Dans la régulation de la glycémie, les facteurs les plus importants sont l'apport en glucides et la disponibilité de l'insuline. Mais un troisième facteur est presque aussi important et pourtant complètement ignoré: l'effort, physique ou mental. Les systèmes actuels ne mesurent pas ce paramètre et l'algorithme ne peut donc pas le prendre en compte. En conséquence, nous constatons que les systèmes HBF laissent souvent à désirer lors d'une activité sportive: le patient doit alors lui-même mesurer son taux de glucose et s'injecter de l'insuline ou prendre du sucre, en fonction des besoins. Pourtant, il existe déjà sur le marché des appareils qui mesurent l'effort, comme les montres connectées. Avec les informations ainsi recueillies, il faudrait essayer d'alimenter l'algorithme d'un système en boucle fermée. Grâce à l'intelligence artificielle, le système peut apprendre à tenir compte de ces informations et à mieux s'adapter." Il y a près d'un millier d'applications disponibles, chacune ayant sa propre raison d'être. Il y en a, par exemple, qui aident le patient à calculer la quantité de glucides contenus dans son repas et, ainsi, la quantité d'insuline à injecter. D'autres applis font le point sur les conditions dans lesquelles le patient risque de faire des hyper- ou hypoglycémies. "Je pense que les applications peuvent jouer un rôle important", dit le Pr Gillard. "D'autant plus que la plupart des gens utilisent encore un stylo. Et puis, de nombreux patients atteints de diabète de type 1 vivent dans des pays où les systèmes HBF ne sont pas disponibles." "Contrairement aux autres technologies, ce sont les patients qui sont surtout bien au courant des applications disponibles. Ils s'y intéressent et passent du temps dessus. En tant que médecin, il est plus difficile de suivre cette évolution. Pour l'instant, en tant que professionnels de la santé, nous ne sommes pas en mesure de recommander une sélection limitée d'applis à nos patients. Mais nous allons nous pencher sur l'offre car il faut que nous sachions clairement quelles applications sont utiles pour quels patients. Et il faut déterminer s'il est bien utile de recommander certaines applis. Il faut savoir que de nombreuses applications ont été développées à l'étranger et ne s'appliquent donc pas à la situation d'un patient belge. Un Britannique, par exemple, ne mange pas de la même façon qu'un Belge. Nous sommes en train de développer une application adaptée au régime alimentaire belge." Dans la catégorie des applications, on peut également mentionner la collecte de données. On peut stocker de façon très basique les informations transmises par un stylo. Mais on peut aussi les transférer à une appli intelligente qui analyse ces informations et décèle des configurations-types lui permettant de donner des conseils au patient.