Les analyses multivariées en IRMf représentent un outil privilégié pour étudier la cognition, tandis que la nouvelle génération de scanners autorise désormais une résolution spatiale infra-millimétrique au niveau cérébral.
...
Au cours des dix dernières années, l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a permis de révolutionner quelque peu notre manière de modéliser le fonctionnement cognitif. Par exemple, alors qu'un modèle cognitif influent de la mémoire de travail considérait que cette dernière se définit par des systèmes de stockage spécifiques à l'image de la mémoire RAM d'un ordinateur, les derniers développements technologiques de l'IRMf ont conduit à mettre en doute cette vision des choses. Appelées multivariate vowel pattern analysis (MVPA), les techniques multivariées 1, d'apparition récente en IRMf, étudient non seulement quels voxels 2sont activés, mais examinent également les configurations d'activation simultanée d'un ensemble de voxels. En appliquant des techniques de l'intelligence artificielle telles que le machine learning (apprentissage automatique) aux signaux cérébraux multivariés, il est désormais possible de mieux caractériser la nature cognitive des activations cérébrales, en les rapprochant des représentations cognitives. Ainsi, avec les techniques d'IRMf univariées classiques, il est impossible de distinguer les régions cérébrales qui traitent des mots spécifiques : différents mots présentés à un participant vont, globalement, tous activer des voxels dans un réseau langagier fronto-temporal bien connu. " Mais avec la technique MVPA, il est désormais possible de déterminer les configurations d'activation qui caractérisent des mots individuels et donc de suivre de manière plus directe quelle représentation cognitive le participant est en train de traiter ", explique le Pr Steve Majerus, directeur de recherches au Fonds national de la recherche scientifique (F.R.S.-FRNS) et responsable de l'Unité de recherche psychologie et neurosciences cognitives de l'Université de Liège. En appliquant cette technique très sensible au domaine de la mémoire de travail, les chercheurs ont pu démontrer que des régions sensorielles qui présentent peu, voire pas d'élévation de l'activité cérébrale univariée lors d'une tâche de mémoire de travail, permettent néanmoins d'identifier, sur la base de l'activité cérébrale multivariée, les caractéristiques spécifiques des stimuli qu'un participant est en train de maintenir dans sa mémoire de travail. Par contre, il est apparu que les configurations d'activation de voxels dans les régions pariétales, qui étaient censées abriter un système de stockage temporaire spécifique de type mémoire-tampon selon le modèle traditionnel de la mémoire de travail, ne permettent pas de décoder les caractéristiques des stimuli maintenus en mémoire (orientation gauche-droite ou couleur d'un stimulus visuel). Ces résultats ont permis de questionner de manière fondamentale notre manière de modéliser la mémoire de travail comme une mémoire-tampon spécifique et renforcent la pertinence de modèles alternatifs. Ces derniers considèrent que la mémoire de travail est une fonction cognitive hautement interactive, synchronisant les activations cérébrales dans les régions sensorielles, où les informations à maintenir sont représentées, avec les activations ayant lieu dans des régions davantage impliquées dans le contrôle attentionnel et exécutif. Alors que ces connaissances nouvelles proviennent essentiellement d'études ayant exploré le stockage temporaire d'informations visuelles, des travaux récents réalisés par des chercheurs de l'équipe de Steve Majerus ont démontré des phénomènes similaires pour le stockage temporaire d'informations verbales, les régions temporales impliquées dans le traitement langagier permettant de décoder le type de stimuli verbaux (mots versus pseudo-mots 3) qu'un participant est en train de maintenir. En fait, la façon optimale d'utiliser l'IRMf est de confronter les activations obtenues à de multiples modèles théoriques. En procédant de la sorte, les études en IRMf permettent d'en valider certains et d'en infirmer d'autres. " C'est là que réside la réelle puissance épistémologique des techniques du type IRMf, souligne Steve Majerus . Et cette puissance est encore augmentée avec les nouvelles techniques d'analyse multivariées qui permettent non seulement d'étudier le substrat cérébral global d'une fonction cognitive, mais également les corrélats cérébraux des représentations et processus impliqués. "Aux États-Unis ont été développés des détecteurs de mensonge de nouvelle génération, basés sur l'IRMf. Quelle en est la clé de voûte ? Si un individu invente une histoire, il manifeste une activité plus intense dans certaines régions du cortex préfrontal que s'il se contentait de rappeler directement un souvenir. Cela suppose néanmoins qu'il ait un accès facile à ce dernier car, dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il devait se livrer à un effort intense de remémoration, il est à craindre qu'il active les mêmes régions que s'il élaborait de toutes pièces un récit. " En mémoire épisodique4, le simple fait de se souvenir consiste déjà à reconstruire le passé, insiste le Pr Majerus. Il me paraît donc très dangereux d'essayer de discerner au travers d'activations cérébrales si quelqu'un est en train de récupérer un souvenir effectivement vécu ou en train d'"élaborer un scénario". " Et d'ajouter qu'il serait vain de chercher une région cérébrale spécifiquement dédiée au mensonge comme on s'est longtemps évertué à mettre en évidence un soi-disant " gène du crime ". De surcroît, dans la pratique, l'IRMf se fonde sur des études de groupe. Celles-ci privilégient la notion de moyenne statistique ou, plus exactement, de dénominateur commun. Par conséquent, elles font fi des différences interindividuelles, pourtant bien réelles dans l'exécution de certaines tâches puisque des individus utilisent des stratégies " marginales " pour les effectuer. Un des challenges futurs des études en IRMf consistera à mieux comprendre ces variations interindividuelles et à les mettre en relation avec des " styles " cognitifs différents. De la sorte, un pont sera établi entre la psychologie différentielle et les techniques employées en neurosciences cognitives. Une autre interprétation possible du recours à des stratégies " non conventionnelles " serait la présence d'un phénomène de compensation biologique destiné à pallier des carences dans le fonctionnement des régions cérébrales classiquement utilisées pour la résolution d'une tâche donnée. " Ce phénomène est bien documenté chez la personne âgée ", rappelle Steve Majerus. Au cours des dernières années, la complexité statistique liée aux techniques de l'IRMf a augmenté de manière fulgurante. Elles permettent ainsi d'étudier des variations du signal cérébral de plus en plus proches du niveau de complexité du fonctionnement cognitif. Les techniques de l'IRMf ont également connu un essor considérable sur le plan de la résolution spatiale, en autorisant, avec des scanners à champ magnétique très élevé (7 Tesla) 5, de visualiser l'activité cérébrale en fonction de la profondeur corticale pour une même région cérébrale. Ce type de scanner permet une résolution spatiale infra-millimétrique alors que la résolution spatiale en IRMf traditionnelle est de deux à trois millimètres. Pour autant les chercheurs savent-ils lire directement les pensées de quelqu'un en le plaçant dans un scanner ? Ici, la réponse est clairement non. Même s'il est désormais possible de décoder le type de stimulus qu'un sujet humain est en train de traiter, ce type de décodage rencontre encore des limites, car les représentations qui peuvent être distinguées sont encore relativement grossières et dépendantes du modèle statistique et des stimuli choisis au départ. " Il n'est pas possible de déterminer, ex nihilo , simplement sur la base d'une carte d'activation cérébrale, le contenu précis des pensées d'un sujet humain. Par ailleurs, même si nous arrivons à prédire certaines représentations qu'il est en train d'activer, ces prédictions restent probabilistes et ne tiennent pas compte de tout le vécu subjectif associé à ces représentations ", conclut Steve Majerus. 1. Reposant sur l'examen des voxels un par un, les techniques d'IRMf univariées permettent de comparer des différences entre conditions ou groupes de sujets. Les techniques multivariées (analyse d'un ensemble de voxels) ouvrent la possibilité de relier un état cognitif, perceptuel, comportemental, voire médical, à une distribution spécifique de l'activité des voxels. 2. Points d'activation dans l'espace tridimensionnel. 3. Termes dépourvus de sens, tel " tentluche ". 4. La mémoire épisodique permet le stockage et la prise de conscience d'épisodes personnellement vécus par le sujet. Elle est le support de son histoire individuelle. 5. Un scanner IRM 7 Tesla a été installé récemment au centre de recherches CRC-in vivo imaging de l'ULiège.