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La santé mentale de la population se dégrade. Ce n'est pas pour rien que les partis politiques abordent tous cette question dans leur programme. Les causes de cette dégradation sont multiples: la prise de produits toxiques, la paupérisation de la population,... et surtout l'après-covid. "Le covid a engendré des problèmes de santé mentale, et il a retiré un nombre de patients du circuit psychiatrique, du jour au lendemain. Nous sommes encore dans une phase post-covid, où les gens ont du mal à rétablir un lien avec les professionnels de santé mentale", explique le Dr Pierre Oswald. "Cela fait 25 ans que je suis dans le domaine de la santé mentale et je n'ai jamais vu cela. En tant que directeur médical d'un des quatre hôpitaux agréés en psychiatrie à Bruxelles, je peux vous dire que tous les jours il faut bricoler pour trouver des solutions: des sorties prématurées, des hospitalisations dans des lits qui ne sont pas agréés pour des MEO,... Un jour, nous avons même failli mettre un adulte dans un lit pour adolescent. Parfois, c'est soit cela, soit dormir dans le couloir. C'est vraiment une situation critique.""Les responsables des services concernés par les MEO craignent que ce ne soit qu'une question de temps avant qu'un nouveau drame ne survienne", rapportent Gibbis et la Plateforme bruxelloise de santé mentale (PBSM), qui ont adressé un courrier aux autorités compétentes à Bruxelles (cinq! ) pour attirer leur attention sur la situation critique des hospitalisations sous contrainte, le 26 avril 2024. "Cette semaine encore, un patient d'une salle accueillant 30 patients pour 24 lits est monté sur le toit de l'institution, menaçant de se faire du mal ou de faire du mal. Ce genre d'événements traumatise les patients et le personnel. De plus, cela nécessite, durant plusieurs heures, l'intervention des forces de l'ordre (plusieurs équipes de policiers, pompiers et SMUR étant appelées), les rendant indisponibles pour d'autres urgences vitales."Cette situation est aussi critique pour le personnel soignant qui doit gérer ce surplus de patients dans une agitation et une agressivité ambiantes, avec des chambres d'isolement et autres dispositifs de sécurité saturés. Un état de fait qui augmente singulièrement la dangerosité de ces services. Les équipes sont à bout, les absences pour burn-out augmentent, plusieurs personnes-clés - dont des psychiatres - ont démissionné ou envisagent de le faire, et l'idée d'une grève pour les transferts commence à circuler parmi ceux qui continuent à prendre leurs responsabilités. D'autres envisagent de dégeler des lits, vu que les dispositifs qui sont issus de ce mécanisme ne répondent pas à la situation actuelle. "Il y a beaucoup de souffrance des équipes qui doivent suivre un rythme d'usine", témoigne le Dr Oswald. "Ce sont des heures de travail épuisantes et des démissions qui s'enchaînent. Il faut alors engager des médecins quasiment sur fonds propres pour essayer d'assurer la continuité des soins. Les médecins sont à genoux. Et je n'ose même pas parler des infirmières, pour qui la situation est également très compliquée."En cette période de pénurie, une telle situation ne va pas favoriser les vocations. "La pénurie, couplée à l'absentéisme, créée une situation très difficile, intenable en réalité."Si la justice et les institutions de soins font de leur mieux avec les moyens du bord - mention spéciale à la ligne Nixon, unique à Bruxelles, qui est un exemple d'organisation pour les autres régions - on ne peut pas en dire autant des autorités publiques qui elles, ont sorti le parapluie et se rejettent la balle. "Cela fait deux ans que nous alertons les autorités publiques, sans succès", désespère Pierre Oswald. "Les autorités avancent trois arguments: premièrement, le Fédéral estime que revaloriser les MEO constituerait un appel d'air et que cela coûterait au final plus cher. C'est un non-sens total. Cela nous coûte évidemment plus cher d'hospitaliser des MEO. C'est parfois beaucoup de casse, de violence, de démarches sociales. C'est une grosse charge de travail. Le deuxième argument, c'est qu'il y a déjà des mesures de renfort qui sont prises, comme les tout récents services High & Intensive Care (HIC). C'est un argument audible, mais ces services, qui ne peuvent pas remplir leurs fonctions d'alternatives à la MEO puisqu'ils sont en permanence sollicités, ne constituent pas la panacée. Enfin, le troisième argument est le plus pénible: les autorités ne s'estiment pas compétentes et se renvoient la balle. Nous sommes donc dans une situation de stagnation totale. Nous sommes otages de cette situation."Les autorités adoptent une position d'attente, espérant que le problème soit uniquement lié à la phase post-covid, et que la situation se calme d'elle-même. "Je pense effectivement qu'il y a de ça. Mais je pense également qu'elles n'ont pas de solution. Et malheureusement, l'orage ne passe pas. Cela fait deux ans que nous sommes à saturation. Cette position attentiste est dangereuse, car la situation s'aggrave."Si demain rien n'est fait, c'est la société qui court un risque. "Sans les moyens adéquats, nous aurons moins de temps pour traiter une population qui présente un état de dangerosité. Certains vont passer à travers les mailles du filet. Les MEO sont une mesure préventive. Si l'on ne peut plus exercer cette mesure de prévention, on devra malheureusement traiter des personnes qui auront commis l'irréparable: cela peut être une agression, voire un meurtre. D'un point de vue sociétal, ne pas miser sur des solutions pérennes pour prévenir ces dangers est donc un calcul à court terme."Des mécanismes alternatifs existent ou sont en développement (HIC, équipes mobiles). La loi du 26 juin 1990 doit en outre bientôt subir une cure de jeunesse. Mais cela prend du temps, et les mesures qui doivent être prises sont urgentes. "Il faut des mesures supplémentaires, prises en urgence, ayant un impact significatif avant l'été - période qui, en général, représente une surcharge supplémentaire pour les MEO", estiment Gibbis et la PBSM. "Àce stade de criticité, nous demandons, au nom de nos membres concernés par les MEO, et plus largement pour le bien-être et la sécurité de la population bruxelloise, que les autorités fédérales et régionales organisent au plus vite une concertation visant à répartir plus largement les admissions forcées et/ou les impositions en surnombre, et à activer des mécanismes de solidarité parmi les hôpitaux et services psychiatriques qui n'accueillent pas cette population. Nous pensons également qu'il faut renforcer le personnel et valoriser la lourdeur de la prise en charge des lits MEO. Ceci sera une incitation à créer de nouvelles places.""Étendre le nombre d'hôpitaux agréés pour accueillir les MEO est une décision qui incombe au gouvernement régional. Et ce dernier ne veut pas agir tant qu'il n'y a pas de financement. Financement qui dépend du gouvernement fédéral...La question est donc aujourd'hui de savoir qui va sortir du bois et prendre ses responsabilités", commente Pierre Oswald. "On attend soit une bonne concertation, une solidarité, soit une décision politique d'imposer à certains hôpitaux d'accueillir des mises en observation."