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Comment pourrait-on classer sommairement les arythmies cardiaques? Dr Thomas Nguyen: La majorité des (tachy)arythmies sont supraventriculaires, trouvant leur origine dans la partie haute du coeur. Elles sont généralement régulières et se caractérisent à l'ECG par un QRS fin. S'ajoute à cette catégorie la fibrillation auriculaire (FA), qui provient bien de la région atriale, mais elle n'est pas classée parmi les arythmies supraventriculaires (ASV), notamment à cause de mécanismes physiopathologiques encore mal identifiés. Elle se caractérise par contre par un rythme décrit comme irrégulièrement irrégulier. Le dernier type d'arythmie est constitué des arythmies ventriculaires (AV), qui se caractérisent par une activation anormale des ventricules, donc n'utilisant pas le système de conduction et engendrant un QRS large. Pour ce qui est des brady-arythmies, il en existe deux types: la dysfonction sinusale, qui implique une anomalie de la genèse du rythme cardiaque et le bloc auriculoventriculaire, où on observe une anomalie de propagation de la contraction cardiaque. Certaines tachyarythmies et bradyarythmies sont parfois associées, comme notamment la FA et la dysfonction sinusale. Existe-t-il d'autres facteurs que le vieillissement pour expliquer la hausse de l'incidence de certaines arythmies (et pas seulement de la FA)? En fait, on peut dire que c'est essentiellement l'incidence de la FA qui augmente. Elle est une forme de maladie de civilisation, avec l'impact négatif de l'alcool, du tabac, de l'HTA non contrôlée et, aussi, des apnées du sommeil souvent liées à un excès pondéral. Au passage, on peut noter que certaines ASV sont associées à la pratique sportive et à l'alcool notamment, tandis que les AV sont principalement liées à une cardiopathie sous-jacente (infarctus avec cicatrice ventriculaire, par exemple). La symptomatologie liée aux arythmies est très variable. Elles peuvent être silencieuses ou engendrer les classiques palpitations, une oppression ou des douleurs thoraciques, une diminution de la tolérance à l'effort et une dyspnée, des vertiges, une perturbation du sommeil et, dans les cas plus sérieux mais plus rares, de l'hypotension, des syncopes, une décompensation cardiaque aiguë voire un choc cardiogénique. Par ailleurs, l'arythmie (fibrillation atriale ou flutter atrial) peut se signaler d'abord par un AVC. Quelle est la stratégie thérapeutique générale des arythmies? Trois attitudes sont possibles. La première, outre la correction des facteurs de risque/causaux éventuellement présents, consiste simplement à suivre le patient lorsque la symptomatologie est légère. La seconde, plus active, tient dans l'administration de médicaments antiarythmiques. Globalement, ils sont bradycardisants. Il en existe toute une gamme en théorie, mais peu sont utilisés en routine clinique. Cette dernière comprend principalement les bêtabloquants et le flécaïnide. Les autres sont plutôt utilisés en deuxième ou troisième ligne pharmacologique, comme le disopyramide. Les actions des antiarythmiques sont multiples, et il convient donc de les utiliser en connaissance de cause, et plus précisément de leurs effets secondaires ainsi que de leurs contrindications. Ceci dit, dans la plupart des cas, les médecins qui ne sont pas versés en rythmologie peuvent prescrire des bétabloquants sans grand danger. Enfin, la troisième attitude consiste à réaliser une ablation du foyer arythmogène par cathéter. Il existe plusieurs techniques d'ablation. Existe-t-il des préférences? L'ablation se base sur deux techniques, la radiofréquence et la cryothérapie au moyen de sondes. Pour l'ablation de la FA, elles sont relativement équivalentes sur le plan des résultats à grande échelle dans cette indication, et les préférences personnelles de l'opérateur y ont donc leur place. Par contre, pour la plupart des arythmies traitables par ablation, le premier choix sera généralement accordé à la radiofréquence, qui est plus polyvalente que la cryothérapie, qui est essentiellement utilisée pour l'ablation de FA. Les études histologiques montrent que la radiofréquence peut détruire un peu plus fortement l'architecture tissulaire que la cryoablation, réputée "plus douce", mais cette différence ne semble pas pertinente sur le plan clinique. En tout cas, il y a peu de contrindications à l'ablation. Elles tiennent principalement dans un mauvais état général du patient et dans une espérance de vie limitée, ce qu'on peut résumer comme une balance risques-bénéfices défavorable. Les complications les plus fréquentes sont liées à l'abord vasculaire, au niveau de l'accès veineux fémoral (hématomes, pseudo-anévrismes, fistules artérioveineuses). L'utilisation d'un guidage échographique lors de l'accès vasculaire réduit fortement ce genre de complications. Quels arguments entrent en ligne de compte pour réaliser (ou pas) une ablation de FA? Actuellement, on classe la FA en deux grandes formes: l'intermittente ou paroxystique, dont la durée est par convention inférieure à sept jours, et la persistante. Dans cette dernière forme, on peut s'abstenir de l'ablation si la FA est bien tolérée, ainsi que dans les cas où on estime que la probabilité de retrouver un rythme sinusal normal est faible. Une fibrillation persistante où on ne recherche plus activement à restaurer le rythme sinusal est qualifiée de permanente. Plus la durée préalable en FA est longue, plus les chances de succès de l'ablation seront faibles. Par contre, plus le patient est symptomatique, plus il pourra bénéficier de la procédure. De toute manière, la décision d'ablation ou pas sera entre les mains du patient, sur base des informations à lui délivrer. Quels sont les risques à envisager pour le choix d'une stratégie anticoagulante? On sait que la FA paroxystique entraîne un risque thrombo-embolique moindre que la persistante. Ceci dit, pour suivre les recommandations scientifiques actuelles, la décision d'instaurer une anticoagulation n'est pas liée à la durée des épisodes de FA, mais bien au score VASc. On peut estimer le risque de saignement significatif par l'utilisation du score HAS Bled. En cas de valeur élevée, il indique qu'une surveillance plus étroite du patient sera nécessaire, mais ceci ne constitue en général pas une contrindication à l'anticoagulation. Les bénéfices éventuels d'un maintien du rythme sinusal versus une stratégie plus légère sont-ils actuellement démontrés? L'étude randomisée EAST-AFNET 4, publiée par le NEJM il y a deux ans [1] a montré des résultats positifs sur ce plan. Elle comparait une approche de maintien actif du rythme sinusal (par antiarythmiques et/ou ablation) et celle qui consistait à contrôler la fréquence avec notamment la prise de bétabloquants, chez des patients en FA depuis moins d'un an, à risque d'AVC et sous anticoagulant. Le taux d'événements était significativement inférieur dans le premier groupe, tout comme celui d'AVC et de décès de cause cardiovasculaire. Par ailleurs et contrairement à des études antérieures, EAST-AFNET 4 ne montre pas d'augmentation significative du nombre de journées d'hospitalisation par l'approche de maintien actif du rythme sinusal. L'explication de ces résultats positifs est probablement liée au fait que les méthodes actuellement utilisées pour y arriver sont grevées de moins d'effets indésirables qu'auparavant. À suivre avec des études reproduisant des résultats similaires. À quoi faut-il être particulièrement attentif chez les patients porteurs d'un défibrillateur? Outre les éventuelles douleurs, les anomalies observables au niveau du site d'implantation (avec ou sans signes infectieux) et les différentes alarmes avertissant d'un dysfonctionnement ou de la fin proche de la batterie, il arrive que le patient ressente un choc thoracique (comme lors d'un déploiement d'airbag). Si ce choc est unique et que l'état général du patient est par ailleurs sans particularité, il faut idéalement le voir dans les 24 à 48 heures pour contrôler l'appareil et essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Par contre, si le patient ressent plusieurs chocs d'affilée, il faut appeler l'ambulance ou se rendre au service des urgences pour que la situation soit prise en charge dès que possible: la cause peut en être soit une arythmie récurrente ("tempête rythmique"), soit un dysfonctionnement de l'appareil. À noter que dans certains cas, le patient ne ressent pas de choc: il peut présenter une syncope à cause de l'arythmie et reprendre conscience sans avoir pu comprendre ce qui lui était arrivé.