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C'est ce qui explique pourquoi le Dr Tania Desmet (service des urgences, UZ Gent) a choisi, au cours d'un récent webinaire, de parler plutôt de bioterrorisme que de guerre biologique. À bien des égards, les armes biologiques se prêtent en effet particulièrement bien à être utilisées par des groupes relativement modestes. De nos jours, provoquer une morbi-mortalité considérable dans une large population au moyen d'un germe modifié de manière à accroître son potentiel pathogène, sa contagiosité et sa résistance aux traitements peut se faire au prix d'un investissement limité. " Et avec le développement de la biotechnologie, on peut les trouver pratiquement au coin de sa rue", commente le Dr Desmet. De quoi expliquer pourquoi les armes biologiques représentent, avec les armes chimiques, ce que l'on appelle "la bombe nucléaire du pauvre" (voir aussi notre édition de la semaine dernière). Un avantage supplémentaire est qu'il est possible, avec un pathogène judicieusement choisi, d'obtenir une période d'incubation relativement longue. C'est évidemment appréciable, sachant que plus le temps écoulé entre la propagation du germe et l'apparition des symptômes est long (où les médecins devront encore, ensuite, reconnaître un schéma), plus la probabilité est grande que le coupable parvienne à filer ou à faire disparaître toute trace de son implication. Ces moyens finalement limités peuvent en outre provoquer des dommages tout à fait disproportionnés au travers non seulement de leur morbi-mortalité proprement dite, mais aussi d'une surcharge du système de santé, sans compter que la nécessité d'isoler les sujets contaminés et de mettre en place des précautions particulières pour enterrer les morts engendre à la fois une pression organisationnelle pour les prestataires de soins et une souffrance psychologique pour la population touchée dans son ensemble. Plusieurs centaines si pas plusieurs milliers de germes répondent à ces critères. Les CDC américains les classent en trois catégories en fonction de leur "efficacité". La catégorie A recouvre ceux qui sont à la fois hautement pathogènes et très contagieux, provoquent des réactions de panique et mettent le système de santé à rude épreuve. Elle ne comprend qu'une demi-douzaine de maladies infectieuses: la peste, la variole, le botulisme, la tularémie, la maladie du charbon et les fièvres hémorragiques virales. Le virus de la variole est le seul pathogène de catégorie A qui ne se rencontre plus dans la nature, mais il reste disponible dans de nombreux laboratoires. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains pays en ont en effet conservé des échantillons à des fins d'expérimentation - en vue, justement, de se prémunir contre le bioterrorisme. La peste, elle, existe encore dans certaines régions du monde et notamment dans certaines zones rurales des États-Unis. Yersinia pestis peut se transmettre par l'intermédiaire de puces ou de rongeurs, mais il en existe aussi une forme inhalée qui se propage par les aérosols. Terriblement contagieuse, cette peste pulmonaire est associée à une mortalité proche de 100% même lorsqu'un traitement est débuté de façon précoce, précise la spécialiste. La toxine botulique est le cas d'école d'une arme biologique qui peut très facilement être utilisée pour faire des ravages. Elle peut se conserver dans un flacon durant plusieurs années et être diffusée dans une large population sous forme d'aérosols. Elle provoque le décès en inhibant la transmission cholinergique, ce qui se solde par une insuffisance respiratoire. Moins contagieuse et moins mortelle que les autres produits de catégorie A, Francisella tularensis a la particularité de pouvoir survivre pendant un certain temps sans hôte (vivant), ce qui fait des cadavres une source majeure de contamination. La tularémie est entrée dans l'histoire au détour de la bataille de Stalingrad (1942-1943), l'une des plus meurtrières de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu l'Allemagne s'incliner devant les Russes, précipitant sa chute ultérieure. En 1999, le Dr Kenneth Alibek, microbiologiste de l'armée russe dans les années 70 et 80, affirme dans son livre La guerre des germes que Francisella tularensis a été utilisée à cette occasion comme arme biologique contre les troupes allemandes. Il souligne en effet que la grande majorité des victimes (70%) ont développé la forme pulmonaire de la maladie, pratiquement inconnue dans la nature (où domine la forme ulcéro-glandulaire)... et que, en 1941, des scientifiques russes avaient justement exploré le potentiel de Francisella tularensis en tant qu'arme biologique. La maladie du charbon (parfois désignée à tort par son nom anglais d' anthrax) est sans doute plus tristement célèbre encore depuis l'incident survenu en 2001 aux États-Unis, qui s'est soldé par cinq décès et une vingtaine de malades. L'affaire a provoqué un vent de panique encore aggravé par la diffusion d'enveloppes contenant une poudre blanche (inoffensive) par des "imitateurs", avec à la clé plus de 125.000 notifications de possibles contaminations criminelles qui ont rapidement surchargé laboratoires et hôpitaux. " Mieux vaut ne pas chercher à identifier les cas de bioterrorisme sur la base des particularités du germe", explique le Dr Desmet. " N'importe quel bioterroriste un peu malin choisira un pathogène qu'il peut manipuler de manière à modifier le tableau clinique, la contagiosité et la réponse aux traitements. Ce sera plutôt la reconnaissance de certains schémas qui permettra de repérer une attaque." Le fait qu'un grand nombre de personnes se présentent soudain avec des plaintes identiques doit par exemple inciter à la vigilance, en particulier s'il s'avère que ces individus ont tous été présents au même endroit à un moment ou un autre (parfois plusieurs semaines plus tôt). La méfiance sera d'autant plus justifiée en présence d'éléments "louches" - un pathogène très peu courant (en gardant à l'esprit un éventuel caractère saisonnier), des symptômes graves chez des sujets jusque-là en parfaite santé, une transmission plus rapide que prévu ou encore une réponse au traitement anormalement faible. Il sera alors essentiel de notifier ces cas à une instance qui se chargera de surveiller le tableau clinique suspect. Le peste, la tularémie et la maladie du charbon peuvent se traiter par une association de gentamycine, une fluoroquinolone et doxycycline ; dans certains cas, deux de ces médicaments peuvent déjà suffire. Il existe par ailleurs une antitoxine contre la toxine botulique, mais elle provoque fréquemment des réactions allergiques. Il est aussi important de garder à l'esprit que les aminoglycosides peuvent aggraver les symptômes provoqués par la toxine, parce qu'elles freinent encore davantage l'activité cholinergique. La variole et les fièvres hémorragiques virales feront l'objet d'un traitement de soutien... et de mesures pour protéger l'entourage contre la transmission des germes par le biais des fluides corporels et/ou aérosols.