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Située sur la route des vins d'Alsace (illustrée récemment par une petite aventure de Lefranc sur son parcours), la ravissante et typique petite ville de Molsheim de 10.000 habitants (maisons colorées à pans de bois alternant avec édifice en grès rose des Vosges), a conservé son patrimoine alsacien et celui de son passé épiscopal, puisqu'à la fin du 16e siècle, au moment de la réforme, la ville y voit s'y réfugier, l'évêque et toute une série de congrégations, chassés de Strasbourg par les protestants, dont les jésuites. C'est d'ailleurs dans l'ancienne chartreuse (la seule au monde à se situer en ville) que se déploie la première exposition dédiée au père d'Alix, né à Strasbourg qui vécut à Obernai, et qui, même devenu bruxellois, restait fort attaché à sa région d'origine. Au travers surtout de la bédé crée à la demande d'Hergé dans le journal Tintin, dans les années 50 qui met en scène une sorte de Alix gominé en gabardine reste depuis 70 ans coincé dans cette période d'après-guerre, riche en tensions internationales, en progrès, en reconstruction... et donc en aventures. L'occasion d'admirer notamment les vues du Haut-Koeningsbourg qui reviennent régulièrement chez Lefranc, et des planches originales, notamment d'une aventure à La Havane ( Cuba Libre) qui met en scène Ernest Hemingway. Une belle place est dédiée au dernier album qui vient de paraître, Le scandale Arès, dont Jacques Martin avait imaginé le scénario: cas à part dans la bédé, ce dernier avait, à l'instar d'un maître renaissant, prévu avant son décès en 2010 que les collaborateurs de son atelier poursuivent son travail ( Les voyages de Lefranc, série documentaire présentée dans l'expo et postérieure à sa disparition, se consacrent pour leur part uniquement au conflit 39-45). Un nouvel album qui parle d'avions certes (son père, mort trop jeune, fut un as de 14-18) et de la Deuxième Guerre mondiale, mais c'est surtout les automobiles que l'ancien STO ayant dû travailler comme dessinateur industriel en Allemagne, aimait dessiné. Une des dernières salles, elles sont plutôt exiguës et se déploient dans les espaces situés au-dessus des cellules des moines, donnent à voir, notamment au travers de pages pratiques et informatives que Jacques Martin imaginait entièrement pour le journal Tintin, entre les rubriques Le secret des prénoms et Le saviez-vous? , une présentation d'automobiles ; ces illustrations techniques attestent de la maîtrise du dessin mécanique par le créateur de Jéhan. D'ailleurs, Molsheim, qui fut le berceau des usines Bugatti, propose aussi dans cette ancienne chartreuse et dans la foulée de l'expo, un petit musée consacré à ce Milanais devenu Alsacien et créateur de voitures de luxe comme la Royale, destinée aux têtes couronnées. Une entreprise qui fut d'ailleurs... couronnée de succès jusqu'au début de la dernière guerre. Au seuil de celle-ci, Ettore Bugatti conçut même un avion révolutionnaire a deux hélices dont il cacha les plans et qu'un amateur américain fabriqua et fit voler voici quelques années: le rêve bleu, dont le moteur, qui a survécu à son crash, est exposé. Bugatti mis aussi au point durant la Première Guerre un système qui permettait de tirer à la mitrailleuse entre les pales de l'hélice sans la détruire, qui a certainement dû aider le père de Jacques Martin. Les "grands transports" du dessinateur pour l'automobile sont encore évoqués dans un autre édifice emblématique de Molsheim, l'ancien hôtel de la Monnaie. Au rez-de-chaussée, deux grandes salles voûtées accueillent deux autres expositions. La première est consacrée aux voitures utilisées par Lefranc au cours de 70 ans d'aventures. Un panorama impressionnant groupé autour d'une prestigieuse Bugatti type 57 Atalante dessinée dans la petite aventure Le rallye de la route des vins. Un bel album, complétant la thématique, de l'exposition, dresse un panorama des voitures qui jouent toujours un rôle, pas que secondaire, dans les aventures de Lefranc, et compte nombre de marques prestigieuses dont Alfa Romeo, mais sans que l'on ne repère d'Austin... chez Martin. L'autre grande salle présente un panorama du talent de Jacques Martin, une expo proposée d'abord à la galerie Huberty et Breyne de Bruxelles lors de la monographie sortie en novembre dernier à l'occasion de la naissance du père d'Alix l'an dernier. L'Alsacien de souche dessina des costumes, fit de la publicité, possédait au départ, certaines planches originales notamment l'une se déroulant dans la taïga le démontre, un style plus vif et spontané, son académisme s'oubliant par la suite à la vue de la précision du détail dans les décors. Grand sportif, Martin dessinait aussi bien les combats de gladiateurs, que les descentes à ski de son héros moderne. Ce fan de ski nautique, qui le pratiquait sur la Meuse, tint même, après son départ du Studio Hergé, un magasin d'articles sportifs à Bruxelles. Il quitta ensuite le SPORT pour revenir au... SPQR. Au travers de planches originales et inédites, d'objets, de photographies ou de lettres (celle de H.P. Jacobs demandant poliment mais fermement à son jeune collègue d'arrêter de le plagier: La grande menace premier album de Lefranc qui se déroule en Alsace présente en effet plus que des similarités avec Le secret de l'Espadon. Bref, un bel hommage à l'oeuvre de Jacques Martin et de ses collaborateurs qui met en exergue son talent, l'ensemble de son oeuvre et de son héritage, dont les diverses déclinaisons d'Alix. Ceci sans que l'apport de Lefranc dans l'oeuvre ne soit... dévalué