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"Les psychiatres sont de plus en plus confrontés à la mise au point de diagnostic du TDAH", explique la Pr Isabelle Massat, pédopsychiatre et chercheuse qualifiée FNRS (ULB), en introduction de son exposé "TDAH, une priorité de santé publique", donné le 18 avril dernier [1]. Le déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) est défini dans le DSM-5 comme un trouble neurodéveloppemental caractérisé par une constellation de symptômes tournant autour de l'attention, de l'impulsivité et de l'hyperactivité. Le diagnostic requiert la présence de symptômes inappropriés pour le niveau de développement, depuis au moins six mois, observables dans différents environnements, ayant des conséquences délétères, étant apparus avant l'âge de 12 ans et non expliqués par d'autres phénomènes. "Les psychiatres ont un rôle clé parce que la majorité des diagnostics différentiels sont d'ordre psychiatrique", insiste-t-elle. "Pourquoi avant 12 ans? De plus en plus de diagnostics sont posés chez les adultes qui ne se souviennent plus de leurs symptômes dans la petite enfance. Dans le DSM-5, la prévalence du TDAH est estimée à 5% chez l'enfant et l'ado, et à 2,5% chez l'adulte. Ce trouble persiste la plupart du temps à l'âge adulte, même si beaucoup de symptômes s'améliorent à l'adolescence (en particulier l'hyperactivité). En moyenne, 50% des ados conservent un diagnostic de TDAH à l'âge adulte. On compte 2,3 garçons pour 1 fille, mais cet écart est de moins en moins important parce qu'on repère mieux les filles."La présentation clinique du TDAH change selon les périodes de la vie, en fonction de l'âge, du développement et des exigences environnementales. Il s'agit d'un trouble durable, et qui a retentissement fonctionnel important dans le domaine relationnel, familial et scolaire. "La porteessentielle du repérage est au niveau scolaire, les enseignants sont en première ligne pour détecter les comportements plus excessifs. Ce trouble est également très hétérogène en fonction de la personnalité, de la sévérité, de l'histoire de vie, des comorbidités, de la présence d'un TDAH chez les parents... Raison pour laquelle de nombreux ados ne sont pas diagnostiqués parce qu'ils ne correspondent pas aux critères", met en garde la pédopsychiatre. Selon le DSM-5, il y a neuf critères d'inattention et neuf d'hyperactivité et d'impulsivité (lire encadré à droite). Le seuil diagnostique est de six symptômes chez l'enfant et cinq chez l'adulte (> 17 ans). Le diagnostic du TDAH n'en demeure pas moins complexe. "L'entretien clinique et l'observation du comportement sont essentiels parce que le TDAH peut être inobservable (par exemple, dans des situations très structurées, des activités intéressantes...).À l'inverse, il peut s'aggraver dans des situations sans structure, lors d'activités répétitives, lorsqu'il y a beaucoup de distractions, quand une attention soutenue est demandée... Une observation dans divers contextes est donc importante, il ne faut pas faire d'interprétation hâtive. On peut, par exemple, avoir un ado en dépression après une suite d'échecs dus à un TDAH non diagnostiqué.""Ce qui est compliqué c'est de faire la comparaison avec les normotypiques parce que le niveau attentionnel en général est en train de baisser, il y a de plus en plus de troubles attentionnels", constate-t-elle. "La frontière est ténue entre normal et TDAH, c'est ce qui demande le plus d'expérience, il faut être attentif à la fluctuation des symptômes."La majorité des présentations sont à égalité entre inattention/hyperactivité/impulsivité. "Les formes attentionnelles sont courantes, mais sous-diagnostiquées: des personnes très calmes peuvent quand même avoir un TDAH! L'hyperactivité est loin d'être le problème principal, ce sont les problèmes d'attention et d'impulsivité qui sont les plus importants.""Il s'agit donc d'un diagnostic médical", souligne Isabelle Massat. "Or, en pratique, tout le monde fait du diagnostic de TDAH, ce qui devient problématique. Il faut être rigoureux et exclure les diagnostics qui pourraient mimer un TDAH. Par exemple, la fatigue, les troubles du sommeil, l'ennui, une mauvaise hygiène de vie, des addictions, frustrations... L'évaluation psychologique permet de faire un diagnostic différentiel avec la dyslexie, les troubles anxieux et de l'humeur, le retard mental, le haut potentiel, un trouble d'ordre médical (anémie ferriprive, troubles thyroïdiens...), les troubles du spectre autistique...""Environ la moitié des sujets TDAH présentent des déficits des fonctions exécutives, mais les tests neuropsychologiques ne sont ni spécifiques ni sensibles, ils donnent des résultats à un temps T dans un contexte X. Or, on exige des bilans neuropsychologiques pour accorder des aménagements à l'école, c'est problématique. Le diagnostic reste une appréciation clinique, donc purement médicale."L'évaluation multimodale nécessite un entretien clinique d'une durée minimale de trois heures, et des examens complémentaires (physiques, psychologiques, dont une évaluation logopédique). "Parmi les comorbidités, les troubles dys (dyslexie, dyspraxie, dysphasie) sont fréquents (50-80%), l'énurésie très courante (18%), les tics et les tocs aussi... Il faut les explorer parce que cela va faire varier la stratégie à mettre en place. L'évaluation cognitive est intéressante parce qu'elle permet de savoir les forces et les faiblesses du patient, de proposer des pistes de prise en charge et d'évaluer les progrès."Il ne faudrait cependant pas voir uniquement les difficultés. Pour la Pr Massat, c'est une clinique passionnante. "Ces enfants sont souvent attachants, ils ont des atouts à valoriser: dynamisme, créativité, empathie, curiosité, ténacité, enthousiasme, intuition, rapidité, humour..." Elle en appelle aussi à faire attention à la stigmatisation, à l'"étiquette TADH" qui véhicule de nombreux stéréotypes: perturbateur, mauvais élève, rejet, problème éducatif, identité de groupe comme trouble du spectre autistique... " Il y a encore une méconnaissance chez les médecins et les enseignants. Le TDAH est vu comme un trouble de l'enfance et de l'adolescence, il y a un manque de spécialistes adultes! Malheureusement, la formation en TDAH adulte est insuffisante, il n'y a aucun dépistage systématique. Or, chaque fois qu'il y a un problème d'addiction, il faut chercher s'il n'y a pas un TDAH qui aurait évolué depuis l'enfance." Voilà pourquoi Le Domaine met en place une consultation spécifique TDAH adulte, précise le Dr Nicolas Clumeck, modérateur de la conférence: "À la clinique du stress, on s'est rendu compte qu'il y a un nombre important de patients victimes de burn out qui ont également une problématique de TDAH. La littérature montre que le risque de burn out est six fois plus important chez les TDAH que dans la population générale." Un algorithme permet de choisir le type de prise en charge. Les interventions visent le patient (psycho-éducation, psychopharmacothérapie, thérapie cognitivo-comportementale, coaching scolaire), les parents (psycho-éducation, thérapie systémique, entraînement parental) et l'école (psycho-éducation, aménagements). Au rang des traitements non médicamenteux, la psycho-éducation systématique des enfants et des parents, les thérapies cognitivo-comportementale, le neurofeedback, la pleine conscience, la prise d'oméga-3/6... "On évoque ici l'axe intestin/cerveau, l'action sur le microbiote intestinal. Demain, on donnera certainement des conseils alimentaires et d'hygiène. Et enfin, ces patients doivent faire du sport!"Le traitement médicamenteux de premier choix est le méthylphénidate, poursuit-elle: "Il donne une excellente réponse sur l'attention, l'hyperactivité et l'impulsivité. Il divise de moins en moins la communauté médicale, le débat sociétal sur le sujet est dépassé parce que la recherche a fait son travail, plus de 200 études contrôlées ont montré son efficacité.""La pharmacothérapie est un peu particulière: certains supportent le traitement, d'autres pas, la durée d'action diffère, il entraîne peu d'effets secondaires et peu de contre-indications. Les effets secondaires psychiatriques sont assez rares, en pratique. Il faut cependant faire attention à la prise concomitante avec le cannabis. La prescription au long cours n'est pas recommandée, des études sont encore nécessaires pour évaluer les effets à long terme. Quoiqu'il en soit, le traitement au méthylphénidate se fait selon les besoins, l'âge, le profil d'effets secondaires, la tolérance des doses...", conclut Isabelle Massat.