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Ce sont les propos du Pr Guido Van Hal (Université d'Anvers), responsable des programmes R&D au Centrum voor Kankeropsporing (CvKO). Le CvKO est le Centre d'expertise flamand des examens de dépistage du cancer au sein de la population. "L'Europe formule des recommandations quant aux programmes nationaux et régionaux de dépistage du cancer. Un large groupe de scientifiques étudie la littérature afin de déterminer s'il existe des preuves suffisantes pour mettre en place un programme", relate le Pr Van Hal. La Flandre suit systématiquement ces recommandations. Indépendamment des trois programmes existants, l'Europe juge utile d'effectuer des études pilotes sur la faisabilité de programmes de dépistage de trois autres cancers: du poumon, de l'estomac et de la prostate. La pertinence du lancement d'un programme ou d'une étude pilote est évaluée à l'aune d'une dizaine de critères scientifiques. Ces critères remontent au rapport de Wilson et Jungner, publié en 1968 par l'OMS. "Bien sûr, ces critères évoluent, mais la base reste la même", commente le Pr Van Hal. "Par exemple, un critère stipule que le dépistage doit porter sur une maladie importante, présentant un risque potentiellement élevé pour de nombreuses personnes. Les propriétés des tests utilisés sont également très importantes. Ils doivent en particulier présenter une spécificité et une sensibilité élevées."En outre, il convient d'assurer un bon suivi. C'est par exemple le cas du cancer du sein, qui peut être traité par radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie, etc. Il doit être possible de détecter la maladie à un stade où elle est plus curable que lorsqu'elle se manifeste cliniquement. Le rapport coût-efficacité est également un sujet de préoccupation. "La coloscopie est l'étalon du dépistage du cancer colorectal et, sur papier, elle est donc meilleure que l'analyse des selles", explique M. Van Hal. "Mais la coloscopie est beaucoup plus coûteuse, invasive et désagréable en termes de préparation pour le patient. C'est pour cela qu'on opte pour le test de selles."Autre élément crucial, la maîtrise des inconvénients potentiels d'un test. "Il s'agit de personnes intrinsèquement saines. Les examens complémentaires sont psychologiquement très stressants, ils comportent un risque médical et, contrairement au dépistage lui-même, ils ne sont pas gratuits. Nous devons donc les éviter, dans la mesure du possible", poursuit le professeur anversois. Il y a encore le "surdiagnostic", qui expose le programme de lutte contre le cancer du sein aux critiques. "Ce critère pourrait nous amener à ne pas lancer ou à arrêter un programme de dépistage en fonction de l'ampleur du surdiagnostic. Un cancer est découvert et traité. Mais il ne va peut-être jamais poser de problèmes. Par exemple, parce que la femme en question meurt d'une autre maladie avant que le cancer du sein ne devienne mortel. Il est difficile de déterminer l'importance du taux de surdiagnostic mais nous pouvons l'estimer. Les Pays-Bas ont eu recours au modèle MISCAN, la Flandre utilise le modèle SiMRiSc. Dans les deux cas, le surdiagnostic était faible: 2,7 à 2,8%", précise le Pr Van Hal. Les cancers d'intervalle, c'est-à-dire les cancers qui se manifestent entre deux cycles de dépistage par des symptômes ou par une manifestation clinique, constituent un autre paramètre de qualité dans le cadre du dépistage de la population. Les normes européennes n'autorisent qu'un certain nombre de cancers d'intervalle. La Flandre répondant à toutes les normes européennes, les programmes de dépistage de la population sont de bonne qualité. Ils font l'objet d'un suivi et d'une analyse annuels. Le CvKO établit un rapport annuel par type de cancer et le groupe dirigé par le Pr Lieven Annemans (UGent), économiste de la santé, effectue des études de rentabilité. Guido Van Hal: "Ces études démontrent que les trois programmes offrent des avantages sanitaires suffisants par rapport à l'investissement. Le dépistage du cancer du côlon est le plus rentable. Le test de selles est bon marché et la détection précoce permet d'éliminer les lésions précurseures (polypes) avant le développement d'un cancer. C'est bien sûr l'idéal."La Flandre a lancé le dépistage du cancer colorectal en 2013. Cela a provoqué un pic d'incidence en 2014 - la "phase de prévalence". "Comme il n'y avait pas de dépistage auparavant, de nombreux cas (avancés) ont été détectés, ce qui est un signe positif. Les années suivantes, l'incidence a fortement diminué. Elle concernait surtout les cancers de stades 1 et 2 et beaucoup moins les cancers avancés aux stades 3 et 4. On a observé le même phénomène après le début du programme de dépistage du cancer du sein en 2002."Le dépistage du cancer du col de l'utérus dans la population permet également de repérer les lésions précurseures. Ce n'est pas le cas pour le cancer du sein. "Il est important d'inviter les gens par courrier pour obtenir un taux de participation élevé aux programmes de dépistage du cancer du sein et du cancer colorectal", souligne le professeur Van Hal. "Pour le cancer du sein, cela évite aux femmes de devoir d'abord se rendre chez leur médecin généraliste ou leur gynécologue pour obtenir une prescription radiologique, ce qui est préjudiciable à la participation." La lettre d'invitation est personnalisée et indique la date, l'heure et le lieu du dépistage. Elle tient lieu de prescription. "Les citoyens peuvent changer de médecin et de rendez-vous à tout moment et sur le champ, grâce à la ligne gratuite 0800 du CvKO", ajoute-t-il. Les mammographies de dépistage répondent aux critères européens de qualité, qui sont différents des mammographies de diagnostic. Le screening effectué dans le cadre du programme est gratuit. "Le nombre d'examens opportunistes en dehors du programme, souvent annuels et effectués en combinaison avec une échographie, est en diminution. Techniquement, il s'agit d'une mammographie de diagnostic et non d'un screening. Cet examen n'est pas gratuit."Pour le dépistage du cancer colorectal, on envoie directement une lettre d'invitation accompagnée d'un kit de test au groupe cible. "Ici aussi, l'étude pilote a montré que la participation est beaucoup plus faible si les personnes doivent d'abord se rendre chez leur médecin généraliste."Le test de dépistage du cancer du col de l'utérus est également gratuit et est actuellement cytologique. À partir de 2024, il sera remplacé par un test HPV. Guido Van Hal: "Ce dépistage est moins directif que les deux autres programmes. Nous suivons ce qui se passe sur le terrain. Les médecins généralistes et surtout les gynécologues effectuent environ 85% des frottis. Le CvKO recherche les femmes qui n'ont pas subi de frottis lors des trois dernières années et leur envoie un rappel leur demandant de prendre rendez-vous. Aucune date n'est fixée."Les statistiques de 2021 montrent que sur l'ensemble du groupe cible pour le cancer du col de l'utérus, 63,6% des personnes ont été dépistées, avec ou sans lettre de rappel. L'objectif est de 65%. Pour le cancer du sein, 53,2% des 438.957 femmes invitées avaient subi un dépistage il y a deux ans. Pr Van Hal: "Le taux de couverture comprend également les personnes qui ont subi un dépistage préventif en dehors du programme et qui sont donc en ordre. Il s'agit toutefois d'un taux sous-optimal. Les paramètres de qualité sont-ils contrôlés correctement? Les femmes doivent également payer un ticket modérateur, etc." Compte tenu de ces éléments, 63,5% des femmes se sont fait dépister en 2021. L'objectif est de 70%. En ce qui concerne le cancer colorectal, 52,5% des 853.011 personnes ayant reçu un test de selles ont renvoyé un échantillon en 2021. Pr Van Hal: "Ici aussi, il faut tenir compte des personnes qui ne participent pas au programme de dépistage. Parce que, par exemple, elles ont déjà subi une coloscopie au cours des dix dernières années en raison d'un facteur de risque héréditaire, ou parce qu'elles ont déjà eu un cancer du côlon." Compte tenu de ces éléments, le taux de couverture global est de 64,1%. Les trois programmes concernent exclusivement certaines catégories d'âge. Pour les cancers du sein, du côlon et du col de l'utérus, celles-ci sont respectivement les 50-69 ans, les 50-74 ans et les 25-64 ans. Guido Van Hal: "Ces catégories ont été fixées à partir de l'évidence scientifique. Par exemple, nous passons à côté de nombreux cancers du sein en-dessous de 50 ans. D'autre part, il faut limiter au maximum l'exposition aux rayons. Après 70 ans, le risque de mortalité lié au cancer du sein est plus restreint." Le Pr Van Hal relève encore l'augmentation de l'incidence du cancer colorectal à partir de 50 ans, alors que le risque est limité à un plus jeune âge. "Nous risquons aussi d'obtenir beaucoup de résultats faux positifs." Il confirme que les États-Unis appliquent ce dépistage à partir de 45 ans. "C'est prouvé: là-bas, le nombre de cancers colorectaux augmente fortement à partir de cet âge. C'est sans doute lié à des différences culturelles. L'Amérique compte beaucoup d'obèses, les gens font trop peu d'exercice, ont des habitudes alimentaires malsaines - comme l'excès de viande rouge, etc. Ce n'est pas (encore) le cas chez nous, d'après une récente thèse de doctorat. Donc, il n'est pas nécessaire d'opérer un dépistage avant l'âge de 50 ans."Ces restrictions reflètent parfaitement la différence entre la "public health" et la logique clinique, estime le Pr Van Hal. "Dans son cabinet, le médecin met tout en oeuvre pour le patient assis devant lui. Bien entendu, le cancer du côlon touche également les jeunes. Mais le dépistage se concentre essentiellement sur les personnes en bonne santé. En dessous de 50 ans, par exemple, la mammographie est moins spécifique et le risque de faux positifs est plus élevé. Les personnes qui n'ont rien sont alors orientées vers un dépistage de suivi. Ce n'est pas l'objectif poursuivi."Enfin, le Pr Van Hal souligne l'importance de l'information. "Il faut bien informer les gens des avantages et des inconvénients de ces trois programmes très utiles. Dans le meilleur des cas, il s'agit d'une prise de décision partagée avec le médecin généraliste ou le gynécologue. La recherche montre que l'impact du médecin généraliste est très important. Si un généraliste conseille à ses patientes de participer à un programme de dépistage, 95% d'entre elles y donnent suite. Les médecins généralistes ont tout intérêt à aborder ce sujet, même avec les patientes qui viennent en consultation pour d'autres raisons."