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Des ressortissants du monde entier ont élu leur domicile à Bruxelles, la ville accueillant l'Office des étrangers (OE). Parmi les 185 nationalités présentes dans la capitale, les ressortissants sans-papiers sont aidés dans leur parcours par des associations publiques et des initiatives citoyennes. Par des avocats également. Pénaliste reconnu, Vincent Lurquin est aussi spécialisé en droit des étrangers. Particulièrement investi en droit des étrangers, il a plaidé durant 17 ans au tribunal pénal international pour le Rwanda, situé à Arusha, en Tanzanie. Un tribunal qui fut mis en place suite au génocide de 1994. "Une expérience bouleversante, aux résultats mitigés", déclarait-il à nos confrères du Vif en 2014. Professeur à l'Erap, il fut président du Mrax de 1992 à 1996. Il vient récemment d'être nommé vice-président de cette association. Il s'investit pour le droit des étrangers tant dans les tribunaux qu'en politique, dans les rangs d'Ecolo ou de Défi. La loi qui gère le séjour des étrangers en Belgique date de 1980. Elle a été mise en musique par Jean Gol, alors ministre de la Justice. L'article 9 de cette loi permet au ministre de délivrer un titre de séjour pour des raisons exceptionnelles. L'article 9ter est spécifiquement dédié aux demandes médicales. L'Office des étrangers a en effet la possibilité d'octroyer le séjour "lorsqu'il n'existe aucun traitement adéquat dans son pays d'origine ou dans le pays où il séjourne", fait savoir le législateur . "L'étranger doit transmettre tous les renseignements utiles concernant sa maladie. L'appréciation du risque précité et des possibilités de traitement dans le pays d'origine ou dans le pays où il séjourne est effectuée par un fonctionnaire médecin qui rend un avis à ce sujet. Il peut, si nécessaire, examiner l'étranger et demander l'avis complémentaire d'experts", indique la loi. "Un pouvoir extrêmement important est donné à l'Office des étrangers et au fonctionnaire médecin", souligne Me Lurquin qui reproche au Dr Strale d'émettre des avis qui entraînent le renvoi au pays de patients sans même qu'ils aient été approchés par un professionnel de la médecine. Sur le bureau de l'avocat, des dossiers de plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur s'entassent. "J'ai un dossier où l'Office des étrangers soutient que ma patiente peut être soignée au pays. Affirmer qu'une insuffisante rénale habitant Bukavu peut être dialysée à Kigali est absurde et dénote pour le moins d'une méconnaissance du terrain", insiste l'avocat qui estime que "si elle retourne au pays, dans six mois elle est morte". Ulcéré contre le délai de traitement anormalement long des dossiers de régularisation médicale (des décisions sont parfois rendues trois ans après que la demande ait été introduite), l'avocat reprend un autre dossier pour lequel il est particulièrement remonté contre l'organisme fédéral. "Dans le cas de cette autre patiente, le Conseil du contentieux (Le Conseil d'État spécialisé en droit des étrangers, NDLR) a invité l'OE à revoir sa copie pas moins de sept fois et malgré cela, l'Office persiste". Le taux de recevabilité extrêmement faible serait, pour Me Lurquin, dû au fait que les avis de l'Office des étrangers seraient rendus sur base "d'informations retrouvées sur google" sans vérifier la véracité de celles-ci. "Dans le cas d'un autre patient, j'ai constitué un dossier étayé de 34 certificats médicaux. Des psychiatres, des cardiologues et une foule de spécialistes dont les avis ont tous été rejetés au motif que la maladie pouvait être prise en charge au pays d'origine, ce que les spécialistes avaient préalablement réfuté", s'insurge l'avocat. "Le Dr Strale a commis une série de manquements au Code de déontologie des médecins", accuse d'emblée Me Lurquin dans un courrier de dix pages adressé au Conseil provincial de l'Ordre des médecins de Bruxelles et du Brabant wallon le 16 février. Reprenant en détail, le parcours médical d'une de ses clientes, les péripéties rencontrées ainsi que l'avis des différents médecins consultés, Vincent Lurquin avance ses griefs: "Dans ses devoirs généraux, l'examen du patient et d'autres principes ne sont pas respectés. Tout comme différents articles du code de déontologie." L'avocat reprend en outre un avis du Conseil national de l'Ordre des médecins qui s'était déjà prononcé sur la fonction délicate de médecin fonctionnaire. La Cour constitutionnelle a en outre rappelé qu'il n'y avait pas lieu de faire de différence entre un patient lambda et un étranger envoyé par l'OE. Malgré ce haut avis juridique, le médiateur fédéral a pointé des défaillances structurelles systématiques dans un rapport daté de 2016. Cette même année, le Comité consultatif de bioéthique de Belgique expliquait qu'en cas d'avis divergents, "il est nécessaire et conforme à la déontologie médicale que le premier prenne contact avec le second ou demande l'avis d'experts en cas de désaccord persistant". Au total, selon Me Leurquin, le Dr Strale n'aurait pas respecté au moins quatre articles du Code de déontologie. Me Lurquin porte l'estocade en accusant le Dr Strale de mélanger son travail de médecin avec celui d'avocat. Il en veut pour preuve les références juridiques d'arrêts divers, repris par le Dr Strale dans ses avis. Pour Me Lurquin: " Il devrait en rester à ses prérogatives premières et ne pas créer la confusion." Dans cette procédure, le point de vue du Dr Strale est attendu avec impatience.