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Pourquoi s'intéresser spécifiquement aux auteurs de violences conjugales? "C'est un combat que j'avais décidé de mener avec d'autres combats féministes dans des groupes associatifs et, quand j'étais assistant, j'ai commencé à réfléchir à la question des violences conjugales: j'avais beaucoup de patientes victimes et très peu d'auteurs. D'autre part, on trouve peu d'informations sur ces derniers dans la littérature scientifique, à l'inverse des victimes, alors que les deux sont liés. J'ai donc décidé d'y consacrer mon travail de fin d'étude", explique le Dr Antoine Chaumont. Première étape: trouver des médecins qui avaient déjà travaillé avec des hommes auteurs de violences conjugales, dans des relations hétérosexuelles. "Beaucoup de médecins me disaient ne pas en avoir identifié dans leur pratique. Il existe cependant des microréseaux de médecins qui réfléchissent à cette question, ce qui m'a permis d'obtenir un petit panel de cinq médecins généralistes avec lesquels j'ai fait des entretiens individuels semi-dirigés pour sonder leur expérience." Dans son travail[1], Antoine Chaumont a relevé diverses problématiques: "Pour commencer, on fait souvent l'amalgame entre violences conjugales, violences physiques et autres (psychologiques, sexuelles, économiques...). Pour beaucoup, quand il n'y a pas de coups, ce n'est pas de la violence. Or, la proportion de violences physiques n'est pas énorme. C'est la première croyance que j'ai soulevée." "La deuxième, c'est que dans l'imaginaire collectif, il y a toujours l'idée que cela va se voir, que ces femmes vont arriver avec un énorme coquard. C'est comme pour le viol en rue d'une femme qui rentre le soir chez elle, c'est très rare par rapport au nombre de viols perpétrés par l'entourage proche. Les violences conjugales sont cachées." L'identification de ces hommes auteurs de violences conjugales est donc difficile et délicate: "La plupart du temps, ce problème est amené par la victime. Le cycle de la violence conjugale et de la domination masculine est très sensible sur le plan de la prise en charge parce que révéler ces violences risque d'augmenter la dangerosité pour la victime. Par ailleurs, une fois que les violences sont identifiées, il y a une forme de déresponsabilisation de la médecine générale: on peut refuser de traiter un patient et référer, mais parfois aucune prise en charge n'est engagée. D'où l'intérêt de la deuxième ligne même s'il n'y a pas beaucoup d'associations spécialisées dans l'aide aux hommes auteurs de viol (Praxis...)", indique-t-il. Le médecin peut aussi être pris dans un conflit de loyauté: "Il peut avoir de l'empathie pour son patient, c'est normal, mais on a parfois tendance à croire ces personnes (qui vont minimiser les faits, nier...) et à perdre un regard objectif, on ferme les yeux, on ne va pas plus loin... Si on n'est pas formé aux violences conjugales, leur prise en charge paraît très compliquée, on sait que c'est très énergivore et chronophage. Enfin, des médecins peuvent aussi craindre pour leur sécurité." Ce type de violence existe depuis la nuit des temps mais il a été davantage mis en avant depuis la création de #MeToo et l'affaire Weinstein en 2017. Pour le Dr Chaumont, le fait que les patients auteurs de violences conjugales soient invisibilisés est indissociable des inégalités de genre dans la société: "Il y a une forme de patriarcat très présente dans ces violences. Je suis tout à fait conscient qu'il y a aussi des hommes victimes, des femmes autrices de violence, et que cela n'arrive pas que dans les relations hétérosexuelles, mais moi, j'ai basé mon travail sur les hommes auteurs dans les relations hétérosexuelles. Et je ne vois pas comment on peut prévenir ces violences si on aide que les victimes parce que c'est un système: si on ne prend pas en charge l'homme auteur, il recommencera." Au cours de sa recherche, le généraliste s'est rendu compte qu'il était très compliqué pour les répondants de rester focalisés sur les auteurs: "Ce qui révèle la place des victimes dans ce système et qu'il est difficile de se concentrer sur la prise en charge des auteurs de manière indépendante. C'est l'éternel problème de l'inégalité de genre: tant qu'on ne dira pas aux garçons qu'ils peuvent montrer leurs émotions, demander de l'aide psychologique..., et tant qu'on ne dira pas aux filles qu'elles sont courageuses, qu'elles peuvent se défendre..., ces inégalités persisteront." "Ma recherche ne veut pas du tout désengager le travail fait sur les victimes, prévient-il, mais c'est inégal et cela reflète d'autres inégalités. Le constat est que les victimes sont majoritairement des femmes et que la médecine est un milieu encore assez patriarcal, avec des positions sexistes: parce que c'est une femme, elle est faible, je dois l'aider, elle n'est pas capable de s'en sortir toute seule. Le sexisme ne se résoudra peut-être jamais, tellement il est ancré dans notre société. Je ne suis pas très optimiste par rapport à ça, mais nommer les choses (victimes et auteurs), en parler pendant nos formations (pour tous ceux qui travaillent dans le soin), expliquer que ces auteurs portent souvent un masque social... fait avancer les choses." La féminisation de la profession va-t-elle faire évoluer la situation? "C'est une bonne question. J'explique toujours à mes patients que mon genre n'intervient pas dans ma capacité de soins. J'aime à penser que ce problème du genre de la personne soignante est plutôt une projection du corps médical qui interprète cela comme une limite à l'identification des patients plutôt qu'un réel problème pour ceux-ci." Antoine Chaumont regrette néanmoins la petite taille de son échantillon (cinq répondants): "C'est dommage parce que mon travail n'est pas tout à fait abouti. Mon idée était surtout de parler de ce problème de façon nouvelle, de dire que cela existe et de montrer que le tabou est trop grand à la fois par rapport aux violences conjugales et par rapport aux hommes auteurs. Il y a un tabou dans le tabou." En réalisant ce travail, le Dr Chaumont désirait avant tout sensibiliser le monde médical à prendre plus en charge les auteurs de violences conjugales: "Il y a toujours le conseil minimal en médecine. Par exemple, pour les fumeurs, il est prouvé qu'en leur demandant une fois par an s'ils fument et combien de cigarettes par jour, 2% arrêtent le tabac. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour les violences conjugales: quand j'ai des nouveaux patients, je demande leurs antécédents et aussi s'ils ont déjà été dans des situations de violence, victime ou auteur. On me répond rarement 'oui', mais je me dis qu'il y a au moins une sensibilisation, que cela amène quand même une réflexion..."