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Le Dr Sylvain Dal, chef du service psychiatrie adulte à l'hôpital Saint-Jean a fait part de son expérience sur l'informatisation de son service, lors d'un webinaire de LBSM sur le partage des données, la confidentialité et les enjeux de la numérisation. " Il ne faut bien sûr pas diaboliser la technologie", commente d'emblée le Dr Dal, "mais il ne faut pas non plus être dans une approche naïve ou aveugle. Il faut rester vigilant. Il y a des risques qui modifient nos pratiques", précise-t-il. Si la numérisation représente un grand avantage administratif, permettant ainsi entre autres de regrouper des notes auparavant manuscrites et éparses de différents services, elle présente également un gain de temps et d'efficacité. Cependant, l'informatisation des données a fait apparaître de nouveaux questionnements. " Avec cet outil, nous avons été progressivement confrontés à toute une série de lignes de fuite", constate le psychiatre . "Lignes de fuite à entendre au sens Deleuzien: ce qui défait ce qui, en nous, est de l'ordre d'une organisation fondatrice, au profit d'une autre visée." " Un jour a surgi la demande que ces dossiers et documents puissent être mis en ligne dans le Réseau Santé Bruxellois (RSB) et nous avons dû intervenir pour empêcher tout cela. Nous n'avons pas voulu que nos lettres de sorties soient mises à disposition d'un réseau public. Il a fallu marquer le désaccord et argumenter", explique le Dr Dal . "Actuellement, toutes les informations concernant la santé mentale, la génétique, la gynécologie et la santé sexuelle y compris les maladies sexuellement transmissibles ne sont pas accessibles. Dans certains champs, seuls les services spécialisés du domaine concerné peuvent y avoir accès sauf en situation d'urgence où il y a le principe de "breaking the glass". "En ce qui concerne la psychiatrie, au sein de l'hôpital, seuls parmi les collègues d'autres spécialités, les urgentistes ont un accès en lecture ; hors de l'hôpital, personne n'y a accès." " Cependant, nous avons tous entendu des choses inquiétantes", poursuit le chef de service de psychiatrie. " Comme récemment, le Chwapi qui a fait l'objet d'attaques. On réalise que ces dossiers restent fragiles et qu'ils ne sont pas tout le temps bien sécurisés." Une autre complication est apparue par la suite. " La direction a souhaité que l'on scanne tous les dossiers papiers des 30 années précédentes. Ceux-ci se sont retrouvés en appendice des nouveaux dossiers informatisés, sauvés sous un format dans lequel on ne peut pas intervenir. Aujourd'hui, au quotidien, nous avons beaucoup de patients qui nous demandent de transmettre leurs rapports. Je dois relire tous ces dossiers et j'ai parfois une quarantaine de pages à parcourir où je dois me demander à chaque paragraphe s'il y a exception thérapeutique ou pas, ou si des tiers sont concernés. C'est un travail fastidieux", poursuit le psychiatre. " Tout ceci nous a amenés à être vigilants et à apprendre aux assistants et aux collègues de rédiger de façon plus défensive", précise-t-il . "Il faut relire ses notes, faire attention à ce que les autres médecins vont pouvoir lire et comprendre, mais aussi garder en tête ce qu'un patient lui-même fera de ce dossier. Il faut les relire avec les yeux d'un juriste également, dans le cas d'un passage à l'acte par exemple: ce que vous avez laissé comme notes, concernant les moments qui précèdent ces passages à l'acte, aura une grande importance." Mais écrire de manière défensive ou prudente sans mentionner une pathologie n'est pas toujours concevable, comme dans le cas où une personne doit introduire un dossier très précis auprès de la Vierge Noire, définis clairement en termes médicaux. Cela laissera des traces écrites à double tranchant. " Par ailleurs, nous avons également des demandes insistantes de transfert de dossiers par mail, sans aucune sécurité. Il nous est arrivé très ponctuellement de constater que des membres du personnel d'une unité s'informaient de ce qui se passait, concernant des patients qu'ils avaient auparavant pris en charge, dans les dossiers d'une autre unité. Il y a un brassage des possibilités pratiques qui n'est pas évident", observe le Dr Dal. Les demandes de patients qui ont un manque de confiance en eux et aimeraient néanmoins savoir ce que l'équipe pense d'eux sont également problématiques. Il est déjà arrivé qu'ils exigent alors l'intégralité de leur dossier et le service doit s'y soumettre. " Ce sont des interactions très compliquées, avec ce genre de situations", précise le psychiatre . "Du côté de la paranoïa également, nous avons des patients qui n'ont pas confiance en nous, et qui exigent que nous montrions les notes qui les concernent. Le dossier n'est pas dans ce cas, un élément de dialogue, ou de soutien du patient. Il passe du côté de la preuve, avec des dimensions de vérité, voire d'emprise et représente quelque chose qui vient toucher à l'intime et au secret. Pour ces patients paranoïaques, ce genre d'objet ou de situation est quelque chose d'extrêmement angoissant. Et là, je pense qu'on a mis les pieds, avec la loi sur les droits du patient et l'informatisation de dossiers parfois rendus plus ou moins publics ou consultables hors d'un dialogue, dans quelque chose qui risque de nous revenir d'une façon un peu compliquée." " Face à toutes ces questions, il y a des principes déontologiques, des lois, des valeurs morales, et plus que tout, une réflexion éthique à mener. Il faut repérer les dilemmes et s'aider de la réflexion pluridisciplinaire, tout en documentant bien les arguments pris pour décider", observe le chef de service. Pour le Dr Dal, le dossier n'est pas au centre de la relation patient-médecin. " En pensant ainsi, nous risquerions de ne plus être dans le dialogue entre le patient et son médecin, nous serions dans une forme d'automatisation. Or la médecine n'est pas une accumulation de données."