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Un malade chronique habitué du système des soins de santé m'interpelle: - Maintenant que l'informatique relie les docteurs, pourquoi dois-je répondre dix fois aux mêmes questions? J'ai déjà raconté mes antécédents et ceux de ma famille à plusieurs médecins, tous occupés à taper sur un clavier. De plus, mon généraliste tient mon dossier personnel contre une rémunération de l'assurance maladie. J'ai même lu que mes médecins peuvent voir tout ce qui me concerne en un clin d'oeil. Pourtant, ces informations ne semblent pas très accessibles. Cela fragilise la confiance dans le système. Pourquoi les médecins n'utilisent-ils pas mieux l'informatique? Que répondre? Sur le fond il a raison, à nous d'expliquer pourquoi la manipulation du dossier médical s'avère si laborieuse. Quand les malades s'étonnent, parfois, je tourne l'écran vers eux et leur montre le fouillis que devient le dossier. A qui la faute? Un peu trop facile d'accuser les informaticiens, les directions ou les ministres! Si nous regardions nos propres habitudes? Même pour les cas les plus compliqués, l'essentiel peut se résumer en une demi-page. Les détails viennent après. Quiconque doit présenter un grand projet apprend à le résumer en une dizaine de lignes: l'art du pitch. Les médecins ont une culture de conclusions par spécialité, pas une culture du pitch sur la situation du malade. En principe, les médecins généralistes, en charge du dossier médical global, ont l'outil pour ce faire, le Sumehr. Du site de eHealth: "... le standard belge Sumehr ... (Summarized Electronic Health Record).... dans lequel est défini l'ensemble minimum de données dont un médecin a besoin pour avoir une vue de la situation médicale d'un patient". (C'est moi qui souligne). Quand j'ai la chance de trouver un Sumehr, je constate que l'automatisme informatique en a fait tout sauf le résumé annoncé. Ne tirons pas sur les pianistes. A lire eHealth, tous les outils sont en place. Mais alors, où cela coince-t-il? L'épisode précédent évoquait les réflexes protectionnistes à l'origine du cloisonnement contreproductif des dossiers médicaux, infirmiers et pharmaceutiques, occasion manquée pour les fonctions généralistes de créer des passerelles entre ces métiers pourtant si proches. Ces choix se préparent au sommet de l'état, dans le système de concertation à la belge où tous les partenaires peuvent avoir leur mot à dire en veillant évidemment à défendre leur chasse gardée. Sur le terrain, une efflorescence d'initiative avait abouti à des dossiers médicaux répondant plus ou moins aux besoins de chacun selon sa spécialité. Mais déjà, la question de la connexion entre eux se posait. Au-delà des considérations de technique informatique, les indispensables garde fous en matière de protection de la vie privée et bien d'autres contraintes juridiques et financières montrent l'immensité de la tâche. Depuis le début de ma carrière, je rêve d'un dossier médical avant tout fonctionnel, accessible dans ses parties spécifiques à tous les praticiens concernés et en outre, économisant les clics. Cela veut dire qu'une donnée, une fois écrite, devrait être accessible aux différentes composantes des soins de santé dans le cadre strictement limité de leurs missions respectives. Nous en sommes loin. Mais il faut rester pragmatique. Les outils actuels restent dramatiquement lourds, imparfaits, consommateurs de temps précieux aux dépends des malades et aussi de la vie personnelle. Plus positif, ils commencent à montrer les immenses avantages de l'interconnexion. Les médecins eux-mêmes pourraient aider en acquérant le réflexe du résumé essentiel. Déjà, certains commencent leurs rapports par un encadré reprenant le diagnostic, le traitement et le suivi. Encore faut-il que l'informatique permette de mettre le résumé en exergue... Pour ma part, j'en suis réduit à mettre RÉSUMÉ en majuscules.... Comme quoi, il faut que de bas en haut, chacun prenne des initiatives avec ses bâtons de savoirs et de pouvoirs ici et maintenant, là où il se trouve. Mais cela ne suffit pas, un dialogue vertical entre ceux du terrain et ceux du sommet s'impose. Prochain épisode: l'étonnante découverte des 9 ministres de la santé.