...

L'intérêt du plasma humain est connu du monde médical : ses protéines servent à la confection de médicaments vitaux pour les patients hémophiles notamment. Cet intérêt provoque une demande croissante du liquide jaune : de 15 millions de litres récoltés il y a 30 ans à 59 millions de nos jours. En cause : la demande des pays émergents qui, incapables de fractionner le sang, dépendent de l'Europe et des États-Unis.Lorsqu'un don de plasma est récolté par un des trois collecteurs francophones (la Croix-Rouge, l'Établissement de transfusion sanguine de Mont- Godinne et le Don de sang à Charleroi), la pochette et les tubes sont placés au frais pour être acheminés dans le parc scientifique de Suarlée, dans le Namurois, au Service du sang francophone. Là, le labo effectue des tests et vérifie la qualité du don. La pochette patiente ensuite quelques mois à -25°C, température qui permet au plasma d'être utilisable pendant trois ans. Le plasma peut ensuite suivre deux voies : " soit il est viro-inactivé et c'est du plasma frais congelé directement réutilisable en transfusion pour les hôpitaux (15% des cas, ndlr), soit il part faire un voyage de 1.650 km vers l'Allemagne et la Suisse, avant de nous revenir sous forme de médicaments ", écrit Olivier Bailly.Suivons cette dernière voie, qui a l'air quelque peu alambiquée. Arrivé en Allemagne, le plasma est stocké dans un entrepôt high-tech appartenant à CSL Behring, filiale de CSL, une multinationale australienne spécialisée dans le biopharma. " C'est le résultat d'un marché public concédé par l'État belge à cette société pour une durée de quatre ans ", détaille le journaliste. " En octobre 2018, une clé de répartition inscrite dans la loi précise à chaque collecteur belge ce qu'il doit fournir comme quantité de plasma à CSL Behring. La totalité du plasma collecté doit monter de 180.000 litres en 2018 à 208.373 en 2021. " Un chiffre que la Belgique n'aurait apparemment aucun mal à atteindre. " En retour, la société CSL Behring fournit les protéines issues du plasma aux hôpitaux belges, sous forme de médicaments : elle couvre 50% de leurs besoins en immunoglobulines pour administration intraveineuse et 100% des solutions d'albumine. "Dans une usine bernoise (Suisse), les 180.000 litres de plasma récoltés en 2018 sont transformés en 932 kilos d'immunoglobulines et 3.200 kilos d'albumines. Ils reviennent enfin en Belgique sous forme de médicaments à prendre en intraveineuse.La Croix-Rouge vend à CSL 90 euros le litre de plasma résiduel, 100 euros le litre de plasma d'aphérèse. L'institution ne peut cependant pas générer de bénéfices. Une donnée compliquée à vérifier, estime le journaliste de Médor. " La Croix-Rouge n'a qu'une seule entité juridique. Le Service du Sang, dont une partie des activités est subsidiée, fait remonter ses comptes, comme tous les autres métiers, vers un budget commun de partie francophone qui lui-même est couplé au bilan flamand pour donner en définitive les comptes de la Croix-Rouge nationale. Autant dire qu'il est impossible de distinguer la place du sang dans ces chiffres globalisés. " Ce manque de clarté a été souligné par le KCE qui constatait en 2009 " l'absence de vérification de l'affectation des coûts de structure de la Croix-Rouge à l'activité de plasmaphérèse ". Même la Cour des comptes s'est intéressée à la question en 2010.La Croix-Rouge se défend et explique que le marché du sang et du plasma est particulier puisque les quantités et les prix sont fixes, afin d'éviter tout profit. Qui plus est, récolter du plasma coûte de l'argent. Et s'il y a eu des bénéfices par le passé, on attendrait aujourd'hui la limite financière.Côté australien, CSL Behring fait son beurre du marché du plasma. Pour 180.000 litres du précieux liquide jaune, la filiale dépense environ 16,2 millions d'euros. Pour le revendre 40 millions aux hôpitaux belges. Des hôpitaux qui sont déjà en majorité dans le rouge, faut-il le rappeler. Ces derniers paients donc la note de ce marché qui ne garantit que 50% de l'approvisionnement en immunoglobulines. La moitié restante est soumise à la loi de l'offre et de la demande, et au vu de la difficulté d'approvisionnement, la note est encore plus salée pour les hôpitaux.Côté Inami également, l'ardoise est bien remplie : les dépenses liées à l'immunoglobuline et à l'albumine s'élèvent à 91 millions d'euros en 2016. Près du double des dépenses recensées en 2007 (51 millions). Une gratuité pour le patient qui, in fine, met une pression croissante sur le système des soins de santé.