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Fuyant Paris dès le début de l'été 44, Céline, sa compagne de l'époque Lucette et le chat Bébert tentent de rejoindre le Danemark, mais échouent d'abord à Sigmaringen, dernier bastion de la France collaborationniste, avant de finir par atteindre après avoir traversé un Reich en ruines la capitale danoise, neuf mois après avoir quitté la Ville Lumière. L'écrivain s'y terre après la fin de la guerre, bénéficiant de protections, mais est finalement arrêté et mis en prison alors que le nouvel Ambassadeur de France le réclame à corps et à cris. Il séjournera de février à octobre 46 dans les geôles scandinaves, avant d'être exilé dans une chaumière sur la Baltique. Condamné par contumace en 1950, puis amnistié en 51, la postérité a gardé de cette expérience pénitentiaire dix cahiers d'écoliers que Céline a noircis, témoins de son obsession de la littérature et de son amour des classiques - Chateaubriand à ses faveurs -, d'ébauches d'oeuvres à venir dont D'un château l'autre. Obsessionnel, il l'est aussi dans sa défense d'une lâcheté sans nom, accusant les autres, se posant en victime, et pire, malgré la découverte de l'horreur des camps, fait montre encore d'un antisémitisme viscéral, sidérant à défaut d'être surprenant. Où l'on découvre par ailleurs, à la lecture de cet ouvrage présenté et annoté par Jean Paul Louis, que l'éditeur des oeuvres de Céline jusqu'à la fin de la guerre fut Robert Denoël, Bruxellois émigré à Paris : personnage ambigu et sulfureux (il publie aussi bien les oeuvres de Sarraute, Aragon, Freud que les textes de Roosevelt, Staline, d'Hitler, Brasillach ou Mussolini) qui collabora, mais cacha des Juifs. Une personnalité brillante et complexe, assassinée dans sa voiture, le crime ne fut jamais élucidé, à la veille de son procès pour collaboration ; voiture dans laquelle se trouvaient, outre des lingots d'or, un dossier à charge concernant le comportement collaborationniste de tous les éditeurs parisiens, y compris celui de son adversaire, Gaston Gallimard (voir à ce sujet le livre de Louise Staman*). Lequel rachètera et intégrera les éditions Denoël dans son giron et, à partir des années cinquante, publiera les dernières oeuvres de Céline tout en republiant les antérieures, comme si elles n'avaient jamais été édités ailleurs précédemment...