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Une exposition qui devait avoir lieu initialement l'an passé et qui fut, on le devine pourquoi, reportée: elle coïncidait à une année consacrée à Charles-Quint et à son couronnement à Aix en 1520 il y a 500 ans, événement auquel assista Dürer ; lequel, comme l'explique l'exposition domiciliée à Nuremberg, était confortablement doté par son mécène précédent Maximilien d'Autriche, père de Charles, qui venait de décéder. Le déplacement au couronnement s'imposait donc afin de tenter de prolonger les gages fournis par le père auprès du fils (portrait du jeune Charles par van Orley). Ceci acté, Dürer en profitera pour visiter Malines (ville où grandit Charles-Quint) Gand, Anvers et pousser jusqu'à la Zélande et même Rotterdam à la rencontre d'Érasme. Avant d'entamer 15 ans plus tard son voyage en Italie (vers Venise), le génie allemand prend ainsi le chemin de l'ouest qui a déjà pourtant pour lui un parfum du Sud... L'exposition est remarquable au sens où elle donne à voir des lettres, et des extraits du journal de Dürer qui révèlent son succès, sa réputation, la fortune qu'il espère retirer de ce périple. Au travers de plus de 200 oeuvres qui suivent les méandres du voyage, lequel court sur plus d'un an, l'on comprend mieux l'impact laissé par Dürer sur ces "pays bas" et riches qu'il visite alors: elle débute d'ailleurs par des peintures 19e signés d'artistes belges illustrant, quatre siècles plus tard, la visite de Dürer notamment à Gand et Anvers dans ce qui n'est pas encore leur pays (des toiles historiques signées Neuhuys ou Leys notamment) mais en atteste déjà la valeur. L'on suit Dürer au cours de son voyage au travers de ses gravures (Saint Christophe et 31 de la petite passion) de ses visites à Quentin Metsys (l'occasion d'admirer une crucifixion de sa main et plus loin des portraits), l'influence de Luther (peint par Cranach) et Érasme (portraituré cette fois par Hölbein). A cette première évocation du voyage, succède les oeuvres d'art qui en découlent: comment le peintre décrit une femme en robe traditionnelle néerlandaise, comment l'artiste illustre le zoo de Bruxelles depuis le palais du Coudenberg et à l'encre encore croque une magnifique tête de morse. Au cours de son voyage, l'entreprenant et entrepreneur Dürer exécutera 90 portraits dont 15 ont survécu: son portrait d'Érasme est mis en regard de celui de Metsys et s'il diffère dans le style font montre de la même humanité ; Lucas Van Leyden, subjugué par le maître allemand, tente de s'en distinguer en zoomant sur les visages: même à l'encre brune, le portait que réalise Albrecht d'un vieil homme barbu est d'une émotion lumineuse, sorte d'apparition, et semble annoncé les dessins de Rubens et Rembrandt. Les études préparatoires de la Sacra conversazione, toile inachevée, laissent quant à eux entrevoir une oeuvre somptueuse et intimiste à la fois, à voir cette encre de la Vierge Marie lisant. Ses portraits peints sont pour la plupart petits, insistant sur le visage et sa "sculpturalité" (Bernhard von Reesen) mis en regard dans un des ces espaces avec ceux de Gossart, un peu faible, de Joos van Cleven (Portrait d'un homme au rosaire) sur fond bleu, de van Leyden cité plus haut et de trois de Metsys d'une grande expressivité. Van Orley et Motsaert complètent le tableau si l'on peut dire d'un panorama d'une qualité remarquable. La Passion du Christ inspirée de Luther est l'occasion pour Dürer de tenter de dépeindre L'agonie au jardin de façon horizontale dans une encre fascinante recto et verso et dont la scène de lamentation vient compléter l'impression de force et de mouvement. La manifestation aixoise exhibe même des dessins préparatoires de La route du Calvaire, un chef-d'oeuvre perdu. Elle révèle par ailleurs les talents méconnus de designer de l'artiste qui dessine un pendentif de Saint Georges et le dragon que l'on retrouve quelques années plus tard dans le portrait signé Ambroise Benson intitulé Jeune femme lisant un livre... suspendu au cou de la damoiselle. C'est la figure de saint Jérôme et non saint Christophe qui accompagne Dürer dans son voyage: il le décrit de manière remarquable et flamande entourée d'un paysage typique en 1494, pourtant bien avant son voyage, puis en 1521 durant son périple cette fois, dans son étude ; oeuvre comparée à une vue plus large, englobant l'ensemble de la pièce où travaille le saint, la même année et signée Joos van Cleve. Troisième volet de ce triptyque magnifique qui réunit des oeuvres en provenance du monde entier, celui de l'héritage: on l'on voit notamment sa gravure de La fuite en Égypte reprise sous forme peinte par l'Anversois De Beer et en vitrail par son concitoyen Vellert, tandis que Van Orley, Gossart ou Van Leyden de nouveau s'inspirent de ses madones. Un siècle plus tard, les peintres flamands, dont Bruegel l'Ancien, reprendront l'image de son Calvaire (aujourd'hui perdu - ne subsiste qu'une copie) pour proposer le leur. Mais qu'il s'agisse de vierges à l'enfant, de portraits, d'apocalypses (imitées en gravures, sans être égalées), l'art de Dürer (elle résiste au temps et dure) qui ne se résume pas loin s'en faut à ce périple, est lui-même un... voyage.