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Le journal du Médecin : Émile Zola serait-il le meilleur scénariste que l'on puisse imaginer ? Agnès Maupré : Ses romans font montre en tout cas d'une construction très solide et proposent de belles galeries de personnages, un ensemble assez jouissif à adapter. Ce qui frappe à la lecture du récit, c'est la similitude entre l'activité commerciale de l'époque et celle d'aujourd'hui.... C'est le moment où la société de consommation et le capitalisme font leurs premiers pas. Sommes-nous les témoins d'un capitalisme ultralibéral semblable ? Oui. Raison pour laquelle cet album représente une opportunité de se replonger dans ce moment et de réfléchir à ce qu'on peut faire. Il y a aussi un côté Harvey Weinstein dans le roman de Zola... En effet. J'ai l'impression que le 19e siècle est un moment plutôt charnière, où l'on pose les bases de ce que nous vivons aujourd'hui, notamment dans l'opposition homme-femme, celle des rôles notamment vestimentaires : entre autres le fait que les hommes soient vêtus de noir au 19e et que les femmes aient récolté toute la séduction, le côté frivole et virevoltant, tandis que les hommes étaient chargés du sérieux et de la responsabilité. C'est assez flagrant au niveau des codes vestimentaires à cette époque et cela l'était beaucoup moins auparavant. Nous sommes toujours dans cette opposition : il faudrait que les hommes récupèrent beaucoup plus la séduction et la frivolité qu'ils ne le font, même si c'est en train d'évoluer. Les femmes par contre essaient de récupérer le sérieux, non sans mal, depuis un moment déjà. J'évoquais Weinstein pour le côté prédateur masculin et la façon dont aussi parfois les femmes essaient de faire face ou pas à cette menace... Ironiquement, dans Au Bonheur des Dames, c'est Octave qui s'est prostitué pour réussir et pas Denise, qui elle refuse de coucher pour monter dans la hiérarchie sociale : alors qu'Octave a bâti sa fortune en épousant la bonne personne. Et, dans ce récit, il poursuit son chemin en se servant de l'ancien amant de sa maîtresse. Denise par contre considère que tout le monde fait vraiment ce qu'il peut, fait son chemin dans la société comme il veut et comme il peut. Elle refuse d'entrer dans ce jeu-là et veut gagner sa vie de la façon la plus honnête, franche et honorable. Zola se montre féministe en fait ? Denise est un très beau personnage féministe, mais pas quelqu'un qui est l'héroïne forte tel que l'on pourrait l'imaginer. Quelqu'un que beaucoup croient faible, et qui au final s'avère le personnage le plus costaud et résilient du roman. Et tout cela sans être revendicateur comme les féministes, à raison, l'ont été ou peuvent l'être. Il y a chez Denise une fermeté et une solidité, tout cela enrobé dans une grande douceur et empathie. Sans être outrancière. C'est quelqu'un d'inclusif, qui déteste voir les autres souffrir et être écrasés, et qui est prêt à prendre fait et cause devant toute injustice. Ce n'est pas une militante, dans la mesure où elle ne défend pas un droit global, et ne tente pas de faire émerger un nouveau système. Mais à chaque fois qu'elle rencontre une injustice et qu'elle voit quelqu'un se faire harceler, elle va tenter de remédier à cette situation. Denise est une personne des petits actes et des petites gens. À chaque fois qu'elle voit une situation sur lequel elle peut peser, elle va tenter de le faire. Dans vos modèles, au niveau des dessinateurs, il y a Joann Sfar, bien que le dessin soit plus réaliste chez vous.... C'est un peu mon maître : je suis allée voir Joann lorsque j'étais adolescente. Et il m'a donné de bons conseils, notamment quant à la formation que j'ai suivie aux Beaux-Arts de Paris. Vous avez déjà dessiné le personnage de Milady et l'histoire du chevalier d'Eon. Pensez-vous faire une adaptation de Madame Bovary ? J'avoue avoir beaucoup de mal avec le personnage de Madame Bovary. Elle me met très mal à l'aise Son côté dépressif ? Non, mais je la trouve un peu méprisante. La dépression ne me gêne pas mais elle me paraissait hautaine. Ceci dit, j'ai lu cette oeuvre de Flaubert il y a fort longtemps, et il faudrait sans doute que je la relise. Vous avez collaboré avec Laurent de Sutter dans le cadre de "La petite bibliothèque des savoirs". Ce qui vous passionne, c'est l'histoire et la mythologie ? Non, ce sont les hasards. Je ne suis pas une passionnée d'histoire et, finalement, les périodes sur lesquelles je travaille, je les connaissais assez peu avant de commencer à plancher dessus. Et c'est aussi ce qui m'intéresse. Un livre on y passe un an et on apprend des choses en le faisant. Et l'oeuvre de Zola, vous la connaissiez bien ? Ah oui, j'ai pratiquement lu tous les Rougon-Macquart au fil des années. J'adore, même si par certains côtés je trouve Zola trop partial dans sa négativité des personnages. À part Denise, cela manque tellement de lumière, que j'ai du mal à y croire. Je les trouve souvent trop mesquins pour être crédibles. Dans la vie les gens sont mesquins, mais ne sont pas que cela... Zola a une vision pessimiste de l'humanité. Les couleurs jouent un rôle important dans cet album ? Pourtant, nous avons hésité avec l'éditeur à le laisser en noir et blanc. Parce que d'une part le côté un peu dur de l'entreprise, grosse machine du 19e ressortait assez bien en noir et blanc. Sauf que nous perdions l'aspect froufrou séduction. Vous parlez de froufrou, mais le mot qui revient dans l'album et le livre, c'est fanfreluche ? J'adore ce mot, j'en parle d'ailleurs dans la dédicace, et la chanson de fin que j'ai écrite commence par " Au paradis des fanfreluches, on pèle les filles, on les épluche".