L'historien Pierre Singaravélou choisit de déambuler dans le musée d'Orsay, sa visite de l'ancienne gare étant ponctuée certes des stations artistiques emblématiques, tout en aiguillant son commentaire sur d'autres voies que celle de l'esthétique.
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Vu les circonstances, difficile actuellement de planifier une visite des musées parisiens. Pourquoi dès lors, ne pas suivre par livre interposé, la déambulation que propose Pierre Singaravélou dans les galeries de la magnifique gare-musée d'Orsay. Plus qu'une découverte de l'émergence de divers courants esthétiques, ce professeur d'histoire contemporaine au King's College de Londres et à la Sorbonne, choisit dans les collections du musée et de manière chronologique des oeuvres qui rendent compte des révolutions qu'elles soient politiques, économiques, sociales, médiatiques, culturelles ou artistiques. De l'avènement du photojournalisme (Charles-François Thibault photographiant une barricade parisienne lors des journées de juin 1848), à l'ours blanc de la rive gauche signé Pompon, d'un siège renaissance viking à l' Origine du monde de Courbet, l'auteur en regard d'une reproduction de chaque oeuvre se fend, tel un guide, d'un commentaire affûté, notamment quant à la naissance de la censure morale moderne concernant l' Origine justement (seulement montré au public en 1988 et censuré par Facebook en 2011). L'évocation de la persistance des Fake news est illustrée d'un tableau méconnu de Georges Clairin, L'incendie des Tuileries, qui permet à l'auteur de préciser que, par l'entremise de cette toile, les Versaillais propagèrent la nouvelle de l'incendie du musée du Louvre par les communards afin de les faire passer aux yeux du monde pour de simples vandales. Aux oeuvres connues, comme cette superbe peinture de Van Gogh décrivant avec empathie des roulottes de Bohémiens à Arles, répondent des pièces moins célèbres comme cette sculpture étonnante de Gustave Doré montrant un chevalier jouant à saute-mouton avec un moine. Cette "Joyeuseté" est la preuve selon l'auteur que Doré fut l'inventeur d'un Moyen Age fantastique qui fit école et écho jusque dans les univers contemporains de Tim Burton ou George Lucas. Et même chez Bonnard, surgit cette oeuvre étonnante Crépuscule, peinture japonisante d'un zen absolu et témoin du japonisme en vogue à l'époque, tandis qu'un autre nabi, Gauguin, a laissé sa dernière palette aux airs involontaires de toile abstraite. Enfin, parmi les oeuvres commentées, La gare du Luxembourg à Bruxelles peinte par Henri Ottmann, présentée dans l'exposition Voies de la modernité et actuellement aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles dans le cadre d'Europalia Trains, est l'occasion pour l'auteur de rappeler le rôle de refuge pour nombre d'exilés (notamment de la Commune, mais également les soeurs Brontë, Marx et Engels) que fut le jeune Royaume de Belgique notamment du fait de son réseau ferroviaire précocement dense qu'il avait su tisser. Une peinture pleine d'atmosphère entre impressionnisme et art naïf, qui résume bien cet ouvrage, entre choix artistiques éclairés et commentaires avisés dépassant l'histoire de l'art pour confronter... Art et Histoire.