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Greinacher et al. se sont penchés sur les données médicales de neuf patients admis à l'hôpital avec des formes rares de thrombose, localisées principalement dans les veines du cerveau et de l'intestin (1), (2). Tous les sujets affichaient de faibles taux de plaquettes. D'après les médecins allemands, ces cas présentaient des similitudes avec la thrombocytopénie induite par l'héparine (TIH), une autre maladie rare associée à un traitement par héparine. Dans le cas de la TIH, l'héparine thérapeutique forme avec le facteur plaquettaire 4 (FP4) un complexe à potentiel immunogène. Les anticorps ainsi produits se lient au complexe FP4/héparine et toute cette structure se fixe ensuite à la membrane des plaquettes, qui vont ainsi être activées et provoquer la survenue de manifestations thrombotiques à un ou plusieurs endroits du corps. Celles-ci surviennent typiquement environ quatre jours après le début du traitement par héparine, une fois que la production d'anticorps s'est mise en marche. En parallèle, le nombre de plaquettes diminue parce que celles qui sont "occupées" par les anticorps font l'objet d'une destruction accélérée. Le FP4 est une protéine présente dans les plaquettes, qui peuvent la libérer sous l'effet de divers stimuli tels que l'activation plaquettaire, l'inflammation et l'administration d'héparine. La principale fonction du FP4 est l'inhibition de l'antithrombine par le biais de la liaison à l'endothélium des vaisseaux sanguins, ce qui favorise la coagulation. La TIH a pu être mise en relation avec le rôle du FP4 dans l'immunité innée(3). Le FP4 se liée à un large éventail de composés anioniques dans la membrane des bactéries et forme ainsi des complexes qui provoquent une réponse anticorps. Ces anticorps induisent une opsonisation de la bactérie, ce qui signifie que celle-ci devient sensible aux effets cytotoxiques et à la phagocytose. Il existe toutefois une réactivité croisée entre les anticorps ainsi formés et ceux que l'on rencontre en cas de TIH. Vu sous cet angle, on peut considérer la TIH comme un effet secondaire défavorable du rôle que joue le FP4 au sein du système immunitaire. Dans le contexte de la TIH, on a pu observer que le FP4 ne possède pas, en lui-même, de potentiel immunogène: la formation du complexe avec l'héparine est nécessaire pour déclencher la production d'anticorps. On a toutefois observé chez un petit nombre de patients que la liaison entre le FP4 et les anticorps spécifiques - et l'activation plaquettaire qui en découle - peut survenir en l'absence d'héparine. Le site de liaison des anticorps se trouve en effet sur la molécule FP4. C'est également ce qu'ont constaté Andreas Greinacher et son équipe chez les patients ayant développé des manifestations thrombotiques après avoir reçu le vaccin d'AstraZeneca. Quatre d'entre eux ont fait l'objet d'une analyse du sérum, qui a démontré la présence d'anticorps FP4/héparine. In vitro, le sérum provoquait en outre (du moins dans trois des quatre cas, voir plus loin) une activation plaquettaire lorsqu'on y ajoutait du FP4 sans héparine. Ajoutons qu'aucun de ces patients n'avait reçu d'héparine au cours de la période précédent la survenue des manifestations thrombotiques. La réactivation d'une réaction immunitaire antérieure dirigée contre le complexe FP4/héparine est également improbable, car les anticorps disparaissent rapidement du sang et il n'existe pas de mémoire lymphocytaire B pour cette réaction. Quant à savoir ce qui a pu déclencher la réponse immunitaire, la question reste jusqu'ici en suspens, même si les chercheurs allemands évoquent comme piste potentielle la réaction inflammatoire violente provoquée par le vaccin. La Vipit serait dans cette hypothèse un phénomène aspécifique, susceptible de se produire avec n'importe quel vaccin. Une autre explication possible serait que la production des anticorps soit effectivement déclenchée par un effet spécifique du vaccin. Dans l'un des quatre échantillons de sérum examinés, l'activation plaquettaire a pu être obtenue in vitro par l'adjonction du vaccin d'AstraZeneca. Greinacher et al. observent que les adénovirus peuvent se lier aux plaquettes et déclencher ainsi leur "préactivation". À ce stade, les mécanismes exacts qui entrent en jeu restent toutefois mystérieux. Sur la base de ces observations, l'EMA apporte actuellement son soutien à des recherches réalisées par deux consortiums académiques néerlandais, rattachés respectivement à l'université Erasmus à Rotterdam et à l'université d'Utrecht (4). L'équipe de l'université de Rotterdam continuera à surveiller la survenue de manifestations évocatrices d'une TIH chez les personnes ayant reçu le vaccin d'AstraZeneca ou un autre vaccin Covid-19. La possibilité d'abaisser encore un peu plus un risque déjà limité en réduisant le dosage du vaccin sera également examinée. Il va sans dire que les chercheurs continueront à poser un regard critique sur la question de savoir si les manifestations thrombotiques sont effectivement plus fréquentes dans la population vaccinée. Une tâche importante sera ici de se faire une idée plus claire de l'incidence de manifestations de type TIH dans des populations non vaccinées. Le battage médiatique actuel pourrait en effet déboucher sur un rapportage plus minutieux des cas de thrombose chez les sujets vaccinés que chez les autres.