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Après avoir étudié les effets bénéfiques de l'hypnose, combinée à l'autobienveillance, sur la qualité de vie des patients en oncologie ou souffrant de douleurs chroniques, des chercheuses issues du CHU de Liège et du Giga-Consciousness (ULiège) se tournent vers une autre technique induisant un état de conscience modifiée, la transe cognitive. Cette idée est née en 2017 suite à la rencontre d'Audrey Vanhaudenhuyse (neuropsychologue) avec Corine Sombrun, une ethnomusicologue formée à la transe chamanique en Mongolie. Une collaboration s'en est suivie pour établir des protocoles de recherche afin de mieux comprendre les mécanismes liés à la transe cognitive et de proposer une nouvelle technique de soins. " Au départ, on parlait de transe chamanique, mais au travers de ses recherches et de la mise en place d'outils plus efficaces que le tambour chamanique traditionnel, Corine Sombrun s'est vite rendu compte que l'accès à la transe était un potentiel cognitif et qu'une majorité d'entre-nous avait la capacité d'y accéder. Dans la mesure où ce potentiel pouvait s'exprimer par la seule volonté et en dehors de tout contexte culturel ou de rituel, elle a donc préféré changer de nom et parler de 'transe cognitive'. Ce terme est débattu parce que la transe n'est pas seulement cognitive: par rapport à l'hypnose, elle est basée sur le mouvement, les sons et l'expression corporelle. Nous réfléchissons donc à un autre terme plus descriptif et plus neutre", explique Olivia Gosseries (neuropsychologue). En ce début d'année, cette équipe du Giga-Consciousness et du CHU de Liège où l'on trouve aussi Charlotte Grégoire (psychologue clinicienne), lance donc une étude pour comparer les effets de l'apprentissage de la transe cognitive sur les douleurs, la fatigue, le sommeil, l'anxiété et la dépression et les difficultés cognitives, à ceux induits par la pratique de l'autohypnose chez des patients ayant eu un cancer. Actuellement, aucune étude scientifique n'a été menée pour évaluer l'intérêt thérapeutique potentiel de la transe cognitive. Ce travail, réalisé en collaboration avec l'Institut de Recherche TranseScience à Paris, est la première étude mondiale sur la transe avec une application clinique. " L'hypnose, c'est un potentiel qu'on a tous, mais avec une sensibilité différente. Sommes-nous tous capables de rentrer en transe? Pour Corine Sombrun, 85% des personnes peuvent vivre une transe cognitive, mais ces chiffres doivent être vérifiés. Il y a certainement des sensibilités différentes, comme pour l'hypnose ou d'autres techniques de ce type", estime Audrey Vanhaudenhuyse. Grâce au soutien de la Fondation contre le cancer et du Télévie, les chercheuses ont pu monter leur projet. Elles sont à la recherche de 120 volontaires qui ont eu un cancer et ont terminé leurs traitements depuis moins d'un an et qui ne souffrent pas de comorbidités psychiatriques importantes. Ils seront répartis en trois groupes: transe, hypnose et contrôle. Dans un premier temps, les participants seront formés à la transe ou à l'hypnose. Les workshops pour apprendre la transe cognitive se font en deux fois deux jours, à deux semaines d'intervalle. " Corine Sombrun a créé avec l'aide d'un chercheur des boucles de sons sous forme d'objets numériques élaborés pour induire une transe. Elle a ensuite mis au point un protocole pour apprendre aux gens à auto-induire une transe: couché, on écoute ces boucles de sons et on se laisse aller. L'analyse des premières manifestations de transe, comme les mouvements ou les sons émis, permet alors la mise en place du processus d'apprentissage de l'auto-induction de la transe. Le but est que chacun puisse le faire chez soi. Pour l'instant, elle propose cette formation à des professionnels de la santé ou à des chercheurs, mais le but est de la rendre accessible à tous", souligne Olivia Gosseries. Les sujets sont évalués avant les séances de formation, et ensuite dans le mois qui suit et puis à trois et à 12 mois. Les données récoltées concernent trois axes: les symptômes liés au cancer et à la qualité de vie (anxiété, dépression, sommeil, fatigue, douleur, fonctionnement cognitif perçu...), les variables phénoménologiques (vécu du sujet quand il est en transe/hypnose) et neurophysiologiques (comment le cerveau fonctionne dans ces états-là). Qu'en pense le milieu académique et médical? " On vit une période de changement pour ces approches corps-esprit, avec plus d'ouverture mais toujours avec cette idée qu'il faut le voir pour y croire. Il faut des résultats probants et objectifs pour pouvoir l'intégrer de façon formelle en médecine. Pour la transe, je pense que cela va prendre du temps, comme cela a en pris pour l'hypnose où il a fallu 20 ans pour qu'elle soit acceptée. Le soutien de la Fondation contre le cancer et du Télévie est une preuve qu'il y a une curiosité, et aussi qu'il y a de la confiance dans nos équipes de chercheurs et la qualité de leur travail", note Audrey Vanhaudenhuyse. L'environnement dans lequel ces chercheuses évoluent les a également aidées: " Des personnes comme les Prs Marie-Elisabeth Faymonville ou Steven Laureys, qui ont cette ouverture d'esprit pour des choses nouvelles, nous ont donné la possibilité de nous lancer dans ce domaine de recherche où nous sommes des pionnières." Les recherches autour de la transe n'en sont encore qu'à leurs balbutiements et l'équipe envisage d'autres projets sur les douleurs aiguës et chroniques. " À Liège, on suit les patients chroniques avec des approches non pharmacologiques et complémentaires comme l'hypnose et, à terme, on voudrait aussi leur proposer la transe, si cela s'avère adapté", conclut-elle.