"P ourquoi s'intéresser à la santé mentale d'une population confinée ? ", interroge le Pr Vincent Lorant, sociologue de la santé à l'UCLouvain. " Le confinement est un choc exogène, généralisé et durable sur nos relations sociales. Or notre santé mentale est déterminée par nos relations sociales. Je pense que les autorités ont omis le coût et l'impact que le confinement pouvait avoir sur les relations sociales et donc la santé mentale. "

Le sociologue fait part d'une étude (Covid et moi) menée conjointement par l'UClouvain et l'UAntwerpen sur 20.000 Belges. " Au début du confinement, le 21 mars. 52% de la population se trouvait en détresse psychologique contre 18% en 2018. Le confinement a multiplié de 2,3 la prévalence de la détresse psychologique. S'il y a un chiffre à retenir pour vos futures décisions, c'est celui-là ", explique le sociologue, s'adressant aux parlementaires. Une tendance qui s'alourdit avec la durée du confinement. " La détresse psychique augmente de 1% par jour de confinement supplémentaire. " Autre résultat étonnant : le groupe à risque n'est pas les personnes âgées, assez résistantes à la détresse psychique, mais bien les jeunes. " Ce qui apparaît avec la crise du Covid-19, c'est que plus jeune on est, plus on est sujet à la détresse psychologique. "

L'étude a suivi 12.000 de ces personnes pendant un mois. Au 21 avril, 49% de la population était toujours en détresse psychologique. " Cela reste beaucoup ", commente Vincent Lorant. " Nous avons par ailleurs constaté que si l'anxiété a diminué au sein de la population, la qualité du sommeil, le bonheur ou la confiance en soi ont diminué pendant ce laps de temps. "

Pour le sociologue, les recommandations sont simples. " Il faut intégrer la santé mentale dans toute gestion de crise. Ce n'est pas la cerise sur le gâteau, c'est le coeur du gâteau. "

Financement et réseau

Tout, ou presque, a été mis sur la table par la dizaine d'experts qui s'est succédé lors des deux dernières auditions à la chambre. Le financement a de nouveau été abordé. " Il y a un problème avec le financement. Pas au niveau de la somme - que tout le monde sait trop faible - mais la façon dont on finance les soins de santé mentale a des effets pervers. Il est par exemple moins cher de se faire hospitaliser pour un patient que de suivre un traitement en ambulatoire ", souligne Frieda Matthys, présidente de l'Association flamande de psychiatrie.

Une des solutions pour remédier à cette situation consiste à miser sur des réseaux intégrés. " Il faut opter pour des réseaux intégrés afin de ramener première, deuxième et troisième ligne dans un continuum de soins multidisciplinaires, avec si possible un seul dossier des soins pour l'ensemble du trajet du patient. La totalité des problèmes somatiques, psychiques et sociaux doit pouvoir être traitée au sein des réseaux, qu'il faut financer selon des paramètres clairs et des normes de qualité. La collaboration doit, à ce titre, être encouragée et rémunérée. "

La différence peut effectivement se faire en misant sur l'accessibilité aux soins et les soins intégrés, confirme le Pr Chantal Van Audenhove (KUL). " Mais une meilleure organisation ne peut exister que s'il y a une meilleure coopération entre les différents secteurs. Il y a pour l'instant beaucoup de doubles emplois, surtout lorsque les patients souffrent de troubles psychiques graves. Sans collaboration, les soins seront éparpillés. La multidisciplinarité et le travail d'équipe sont nécessaires, mais très difficiles dans notre système car chaque secteur travaille séparément et le financement provient de différents canaux. Il y a trop de distinctions et pas assez d'intégration. "

Témoignage des urgences

Le Dr Gérald De Schietere (Modes), responsable de l'unité de crise et des urgences psychiatriques des Cliniques universitaires St-Luc, a témoigné quant à lui de son vécu en salle d'urgence psychiatrique. " En période de pré-crise, nous accueillons une vingtaine de patients par jour. Au début de la pandémie, ce nombre a chuté de 5 à 10 patients par jour. Il y a eu davantage de cas psychiatriques et moins de cas de santé mentale, donc moins de tentatives de suicide, de problématiques d'alcool notamment. Est-ce que ces situations ont pour autant disparu ? Probablement pas. "

Le Dr De Schietere aborde par contre le confinement à l'aune d'un regard nouveau. " J'ai rencontré des patients - la majorité - pour qui le confinement était un calvaire. Mais j'ai aussi rencontré des patients qui vivaient la situation dans l'indifférence, et d'autres encore pour qui le confinement a fait du bien. Ce groupe est plutôt minoritaire, mais peut-être ne devrions-nous pas imposer, c'est une proposition que je fais, un rituel d'une journée de confinement une fois par an, en hommage à ce que nous avons vécu lors de cette période inédite. "

Pour le psychiatre, il est prématuré de tirer des leçons du confinement. " Il faudra encore de longs mois pour décoder les conséquences en termes de santé mentale sur la population. S'il y a des questions à se poser, les réponses sont encore peu nombreuses. Les logiques du care doivent prévaloir si l'on veut éviter la troisième vague qui arrive : après celle du virus et celle sociale qui arrive, la troisième vague psychique. " S'adressant aux parlementaires, le Dr De Schietere conclut ainsi : " Tout n'était pas prévisible. Mais il me semble que le discours qui a manqué est un discours d'humilité, celui qui permet précisément de faire confiance. La crise, et je pèse mes mots, est aussi une opportunité, celle de construire un mode un peu différent. "

"P ourquoi s'intéresser à la santé mentale d'une population confinée ? ", interroge le Pr Vincent Lorant, sociologue de la santé à l'UCLouvain. " Le confinement est un choc exogène, généralisé et durable sur nos relations sociales. Or notre santé mentale est déterminée par nos relations sociales. Je pense que les autorités ont omis le coût et l'impact que le confinement pouvait avoir sur les relations sociales et donc la santé mentale. "Le sociologue fait part d'une étude (Covid et moi) menée conjointement par l'UClouvain et l'UAntwerpen sur 20.000 Belges. " Au début du confinement, le 21 mars. 52% de la population se trouvait en détresse psychologique contre 18% en 2018. Le confinement a multiplié de 2,3 la prévalence de la détresse psychologique. S'il y a un chiffre à retenir pour vos futures décisions, c'est celui-là ", explique le sociologue, s'adressant aux parlementaires. Une tendance qui s'alourdit avec la durée du confinement. " La détresse psychique augmente de 1% par jour de confinement supplémentaire. " Autre résultat étonnant : le groupe à risque n'est pas les personnes âgées, assez résistantes à la détresse psychique, mais bien les jeunes. " Ce qui apparaît avec la crise du Covid-19, c'est que plus jeune on est, plus on est sujet à la détresse psychologique. "L'étude a suivi 12.000 de ces personnes pendant un mois. Au 21 avril, 49% de la population était toujours en détresse psychologique. " Cela reste beaucoup ", commente Vincent Lorant. " Nous avons par ailleurs constaté que si l'anxiété a diminué au sein de la population, la qualité du sommeil, le bonheur ou la confiance en soi ont diminué pendant ce laps de temps. "Pour le sociologue, les recommandations sont simples. " Il faut intégrer la santé mentale dans toute gestion de crise. Ce n'est pas la cerise sur le gâteau, c'est le coeur du gâteau. "Tout, ou presque, a été mis sur la table par la dizaine d'experts qui s'est succédé lors des deux dernières auditions à la chambre. Le financement a de nouveau été abordé. " Il y a un problème avec le financement. Pas au niveau de la somme - que tout le monde sait trop faible - mais la façon dont on finance les soins de santé mentale a des effets pervers. Il est par exemple moins cher de se faire hospitaliser pour un patient que de suivre un traitement en ambulatoire ", souligne Frieda Matthys, présidente de l'Association flamande de psychiatrie. Une des solutions pour remédier à cette situation consiste à miser sur des réseaux intégrés. " Il faut opter pour des réseaux intégrés afin de ramener première, deuxième et troisième ligne dans un continuum de soins multidisciplinaires, avec si possible un seul dossier des soins pour l'ensemble du trajet du patient. La totalité des problèmes somatiques, psychiques et sociaux doit pouvoir être traitée au sein des réseaux, qu'il faut financer selon des paramètres clairs et des normes de qualité. La collaboration doit, à ce titre, être encouragée et rémunérée. "La différence peut effectivement se faire en misant sur l'accessibilité aux soins et les soins intégrés, confirme le Pr Chantal Van Audenhove (KUL). " Mais une meilleure organisation ne peut exister que s'il y a une meilleure coopération entre les différents secteurs. Il y a pour l'instant beaucoup de doubles emplois, surtout lorsque les patients souffrent de troubles psychiques graves. Sans collaboration, les soins seront éparpillés. La multidisciplinarité et le travail d'équipe sont nécessaires, mais très difficiles dans notre système car chaque secteur travaille séparément et le financement provient de différents canaux. Il y a trop de distinctions et pas assez d'intégration. " Le Dr Gérald De Schietere (Modes), responsable de l'unité de crise et des urgences psychiatriques des Cliniques universitaires St-Luc, a témoigné quant à lui de son vécu en salle d'urgence psychiatrique. " En période de pré-crise, nous accueillons une vingtaine de patients par jour. Au début de la pandémie, ce nombre a chuté de 5 à 10 patients par jour. Il y a eu davantage de cas psychiatriques et moins de cas de santé mentale, donc moins de tentatives de suicide, de problématiques d'alcool notamment. Est-ce que ces situations ont pour autant disparu ? Probablement pas. "Le Dr De Schietere aborde par contre le confinement à l'aune d'un regard nouveau. " J'ai rencontré des patients - la majorité - pour qui le confinement était un calvaire. Mais j'ai aussi rencontré des patients qui vivaient la situation dans l'indifférence, et d'autres encore pour qui le confinement a fait du bien. Ce groupe est plutôt minoritaire, mais peut-être ne devrions-nous pas imposer, c'est une proposition que je fais, un rituel d'une journée de confinement une fois par an, en hommage à ce que nous avons vécu lors de cette période inédite. "Pour le psychiatre, il est prématuré de tirer des leçons du confinement. " Il faudra encore de longs mois pour décoder les conséquences en termes de santé mentale sur la population. S'il y a des questions à se poser, les réponses sont encore peu nombreuses. Les logiques du care doivent prévaloir si l'on veut éviter la troisième vague qui arrive : après celle du virus et celle sociale qui arrive, la troisième vague psychique. " S'adressant aux parlementaires, le Dr De Schietere conclut ainsi : " Tout n'était pas prévisible. Mais il me semble que le discours qui a manqué est un discours d'humilité, celui qui permet précisément de faire confiance. La crise, et je pèse mes mots, est aussi une opportunité, celle de construire un mode un peu différent. "