Lors du congrès Rifress 2022, qui s'est tenu du 21 au 24 septembre à Bruxelles, trois orateurs ont exploré les rapports complexes entre la santé et le territoire.
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Aux manettes de cette matinée, Paul De Munck, président du comité organisateur de ce colloque de haute tenue qui a réuni, pour la première fois en Belgique, à Tour et Taxis près de 150 personnes pour échanger sur la responsabilité sociale en santé, et Dominique Pestiaux, professeur émérite à l'UCLouvain. "La probabilité de concrétisation des principes de la responsabilité sociale et de développement durable tient à une mobilisation convergente et vigoureuse de toutes les compétences et bonnes volontés. C'est dans un territoire, circonscrit et dont les besoins autant que les talents et les ressources sont bien identifiés, que le partenariat entre acteurs de santé peut le mieux s'exprimer, non seulement pour des actions ponctuelles et ciblées, mais surtout pour l'institutionnalisation d'une stratégie durable et efficace. Le partenariat est une éthique professionnelle qui doit faire l'objet d'apprentissage de la part de tous". Tel est le postulat des organisateurs du Congrès Rifress 2022. Durant la matinée, trois orateurs ont illustré les rapports entre le territoire et l'organisation des soins. Yves Bonnier Viger, directeur régional de santé publique de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et professeur agrégé du département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université Laval, a présenté des projets développés au Québec pour réduire les inégalités sociales de santé. Le Dr Viger est engagé politiquement dans sa région. Il est candidat du parti Québec solidaire dans la circonscription de Gaspésie pour les élections québécoises de 2022. Ce parti propose des mesures pour améliorer le quotidien des Québécois et Québécoises. Le Dr Bonnier Viger a rappelé les besoins de base dont doivent bénéficier les citoyens: une saine alimentation, un logement convenable et des vêtements appropriés, des moyens de communication et de transport efficaces, l'accès à des soins de santé quand on en a besoin, une éducation qui nous permet de savoir apprendre... "Lorsqu'on ne dispose pas des ressources nécessaires pour assurer nos besoins de base, l'estime de soi, notre capacité de relations avec les autres et de participer à la vie sociale, notre créativité sont étouffées. Finalement, notre santé en est affectée", soutient ce médecin spécialiste en santé publique et prévention. Il propose, pour réduire les inégalités au sein de la population des régions de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et Bas Saint-Laurent, de fournir un revenu universel aux personnes qui n'ont pas un revenu de base, soit ± 15% de la population. Près de 280.000 personnes habitent dans ces zones rurales qui couvrent 42.000 km2, comptent quatre villes et 14 municipalités régionales de comté (MRC). Cette allocation serait financée principalement par les impôts. Et de pointer les bénéfices, repris dans la littérature, du revenu de base: augmentation de l'incitation au travail et à poursuivre des études ; diminution des taux d'hospitalisation, d'accidents, des problèmes de santé mentale et des maladies infantiles ; réduction de la malnutrition et des taux de criminalité ; rétention et attraction de populations ; augmentation de la consommation et de la cohésion sociale... Les principes qui sous-tendent ce projet de revenu de base sont un accès universel et inconditionnel pour toute personne habitant ce territoire. Cette allocation pourrait être obtenue à la demande par le bénéficiaire. Elle serait ajustée annuellement aux besoins en utilisant les informations dont disposent les impôts et au coût de la vie dans chaque municipalité régionale de comté. Emmanuel Touzé, doyen de la Faculté de médecine de Caen, a expliqué à l'assistance que la territorialisation universitaire peut contribuer à améliorer la prestation des services de santé. La France souffre de certains maux que la Belgique connaît bien: répartition inégale des médecins généralistes et des médecins spécialistes sur le territoire, concentration du corps médical dans les grandes villes, et plus particulièrement en France, dans les zones côtières et au sud du pays, à proximité des hôpitaux... Le doyen souligne que les capacités de formation des médecins sont hétérogènes sur le territoire national, insuffisantes dans les zones à faible densité, et que la formation est très hospitalo-(universitaire) centrée. "Le modèle est différent en médecine générale. La formation est mieux répartie, surtout depuis les nouvelles organisations en soins primaires. Mais les médecins généralistes ont aussi besoin dans leur territoire de spécialistes. Il faut donc un écosystème qui attire aussi des spécialistes." Des statistiques montrent que, en moyenne, près de 70% des généralistes et spécialistes français, diplômés depuis moins de dix ans, ont tendance à s'installer dans leurs régions où ils ont été diplômés. Il y une grande variabilité entre les régions. Par exemple, pour les généralistes, la fidélité au lieu de formation varie de 83% à Nancy à 57% à Saint-Etienne. Emmanuel Touzé considère que l'augmentation des besoins en stage pour le corps médical est une opportunité qui va permettre de rééquilibrer l'offre médicale en France. Plusieurs initiatives ont été prises ces dernières années Outre-Quiévrain pour réorganiser l'offre de soins territoriale. Des groupements hospitaliers de territoire (GHT), des maisons et centres de santé pluriprofessionnels (MSP/CSP) et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créés. Les CPTS associent tous les professionnels de santé (médecins généralistes et spécialistes, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes...) qui souhaitent s'organiser ensemble pour répondre à des besoins de santé identifiés dans un même territoire. Le Pr Touzé souligne que cette collaboration est la plus inclusive possible. Les première et deuxième lignes de soins, les établissements de santé, les MRS (Ehpad) et autres structures médico-sociales, voire sociales, peuvent faire partie d'une CPTS. Cette structure permet d'améliorer l'accès aux soins des usagers et de recentrer l'exercice des professionnels sur leur coeur de métier. L'originalité de ce concept est que la CPTS répond aux besoins de la population d'un territoire et non d'une patientèle attitrée. La communauté professionnelle territoriale de santé doit, depuis 2019, assurer six missions "de service public": faciliter l'accès aux soins - notamment à un professionnel de santé pour les patients du territoire sans médecin traitant afin d'améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville ; mettre en place des parcours répondant aux besoins des territoires pour renforcer la prise en charge et le suivi des patients ; éviter les ruptures de parcours et favoriser le maintien à domicile de patients complexes, handicapés, âgés... ; initier des actions territoriales de prévention, de dépistage, de promotion de la santé en fonction des besoins du territoire ; contribuer au développement de la qualité et de la pertinence des soins pour favoriser l'échange de bonnes pratiques médicales et soignantes ; accompagner les professionnels de santé sur leur territoire, par exemple en facilitant l'accueil de stagiaires et participer à la réponse aux crises sanitaires par un plan d'action adapté. Le doyen de la Faculté de médecine de Caen propose, pour mieux répartir l'offre médicale, de renforcer la présence de la formation et des stages universitaires dans les maisons et centres de santé pluriprofessionnels, les hôpitaux non-universitaires et les CPTS. Et également de renforcer les liens entre les universités et le secteur de la santé, entre autres, via les antennes universitaires. Paul Vermeylen, architecte et urbaniste, a présenté lors du colloque trois exemples de villes qui ont réfléchi à leur urbanisme pour améliorer la santé, au sens large, de leurs habitants: Barcelone, Utrecht et Grenoble. Le président de For Urban Passion a présenté huit axes pour un urbanisme favorable à la santé. Il faut réduire les émissions et expositions aux polluants, risques et nuisances ; promouvoir des modes de vie favorables à la santé, notamment les activités physiques et l'alimentation saine ; favoriser la cohésion sociale et le bien-être des habitants ; permettre l'accès aux soins et aux services socio-sanitaires ; réduire les inégalités de santé entre les différents groupes socio-économiques et prêter attention aux personnes vulnérables ; soulever les antagonismes entre les différentes politiques ; mettre en place des stratégies favorisant l'intersectorialité et l'implication de l'ensemble des acteurs concernés, dont les citoyens et penser un projet adaptable, qui prend en compte l'évolution des modes de vie. On le voit, cette approche est globale et ne se concentre pas uniquement sur des aspects urbanistiques et architecturaux. Par ailleurs, des mesures relativement simples permettent également de mieux associer l'urbanisme à la santé. Paul Vermeylen a, par exemple, cité certains quartiers de Barcelone où il a été décidé de concentrer la circulation des voitures sur des grands axes pour permettre aux habitants de se réapproprier leurs quartiers grâce à la construction de lieux de convivialité et de détente (espaces verts, bacs à sable...). Plusieurs villes des Pays-Bas, par exemple Breda, Eindhoven et Utrecht, ont décidé de ne plus autoriser la construction de grandes maisons de repos et de soins pour éviter les drames qui ont touché ces institutions, favorisant la concentration de personnes vulnérables, durant la pandémie de Covid. L'objectif est de permettre aux personnes âgées de rester à leur domicile en leur fournissant les services de soutien nécessaires. "Utrecht veut être une ville où la santé et la qualité de vie sont primordiales. La ville met donc son énergie à développer une meilleure qualité de vie pour tous. Plus de logements abordables, un environnement vert et sain pour vivre, une bonne accessibilité et des soins à proximité", précise le président de For Urban Passion. Paul Vermeylen estime qu'il est important de sortir des silos et de permettre aux différentes parties prenantes d'échanger sur les liens entre la santé, l'urbanisme et l'architecture. Il invite les professionnels et experts de la santé à s'intéresser aux problématiques liées à l'urbanisme et à l'architecture.