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"Deux femmes sur dix présentent un problème de santé mentale pendant la grossesse et la première année suivant la naissance d'un enfant", constate la Dr Audrey Moureau, pédopsychiatre et responsable de l'unité parents-bébé à l'Huderf (Bruxelles), en introduisant son exposé aux "Lundis de la Psychiatrie" du CHU Brugmann. "Or, la majorité d'entre elles (50 à 75%) ne sont pas diagnostiquées et ne reçoivent pas les soins nécessaires. L'absence de soins adaptés entraîne des conséquences pour la mère, le bébé, la famille et la société. La période périnatale intéresse à la fois les professionnels de la petite enfance et de l'adulte: c'est la clé du message que je voudrais faire passer." La période périnatale est vraiment un moment clé en ce qui concerne la santé des femmes, c'est notamment celui où le risque de psychose est le plus élevé. De la conception jusqu'à un an après l'accouchement, les deux principales causes de décès maternels sont le suicide (13%) et les maladies cardiovasculaires (14%), suivies par les embolies amniotiques (11%), les thrombo-embolies veineuses (9%) et les hémorragies obstétricales (8%). "Il est très important de parler de ces aspects parce qu'ils sont négligés", insiste-t-elle. "Qui dit problématique de santé mentale chez la mère (et le père) dit répercussions psychopathologiques chez l'enfant." "D'un côté, j'ai envie d'alarmer les gens parce que je pense que, dans le domaine de la santé, on minimise parfois cet aspect et, d'un autre côté, je ne veux pas culpabiliser nos patientes, mais avoir un discours suffisamment ajusté parce qu'on se rend compte de toutes les conséquences environnementales sur le bébé. Les études montrent qu'in utero ces répercussions sont encore plus grandes que ce qu'on imaginait. Et ça ne fait pas si longtemps qu'on sait que les souffrances que vivent les enfants en bas âge ont des répercussions non seulement à court terme mais aussi à l'âge adulte. Ce type d'études a eu lieu dans les années 80 aux États-Unis sur de grandes cohortes où on a montré que la prévalence des pathologies non seulement psychiatriques mais également cardiovasculaires de l'adulte prend racine dans la petite enfance." Les difficultés qu'on rencontre chez les petits ne sont pas toujours faciles à détecter, concède-t-elle: "Il est d'autant plus important que les intervenants du secteur adulte aient des signaux d'alarme qui s'éveillent quand ils voient la manière dont des parents parlent à leurs enfants ou dans ce qu'ils peuvent observer pendant leur consultation psychiatrique adulte." Les répercussions sont à la fois émotionnelles, sociales et cognitives. "Il y a aussi une perturbation importante dans la manière dont ces enfants vont réagir ultérieurement au stress: une fois que le circuit du stress a été activé quand ils étaient petits, ils vont réagir de manière anormale à des stress qui seraient normaux pour d'autres enfants." Par exemple, les études Gusto et S-Presto montrent l'importance de la période in utero et que les répercussions sont présentes même en cas de stress léger ou modéré. Une autre étude (Pawlby et al, 2009) s'est intéressée aux ados dépressifs et montre que la majorité de leurs mères avaient souffert de dépression, principalement pendant la grossesse. "En pédopsychiatrie, on est sensible à l'effet cumulatif des facteurs de stress: plus leur nombre augmente, plus le risque et la prévalence des pathologies à l'âge adulte augmentent. Ainsi, même si les gens ont l'air de gérer ce qui se passe, une fois qu'il y a énormément de facteurs de stress répertoriés, il y a vraiment lieu de prendre ces familles en charge. Ce nombre de facteurs de stress a notamment été lié au risque de développer un trouble d'attachement désorganisé qui lui-même est très prédictif de psychopathologies à l'âge adulte", met en garde la Dr Moureau. "Actuellement, on est en train de voir les enfants de trois ans qui ont vécu dans l'isolement avec leurs parents pendant le covid. La population adulte qui a été la plus touchée pendant cette période est celle des femmes en âge de procréer, elles ont présenté le plus de troubles anxieux et dépressifs. On doit tenir compte de ce facteur de stress supplémentaire." Les répercussions psychopathologiques chez l'enfant empruntent un chemin complexe entre facteurs génétiques, épigénétiques et biologiques et interactions parents-enfants: "Ces facteurs épigénétiques sont aussi une source d'espoir", reconnaît-elle, "parce qu'ils permettent d'imaginer que si on remet les enfants dans un environnement soutenant, des modifications vont s'inscrire. C'est à ce niveau-là que se situent nos interventions thérapeutiques. Ce qui est compliqué dans la période périnatale, c'est qu'une fois que le parent est lui-même fragilisé, la manière dont il va pouvoir soutenir son enfant est parfois désorganisatrice: par exemple, un bébé qui pleure beaucoup, qui est difficile à porter, va désorganiser le parent qui est lui-même déjà fragilisé. C'est la spirale de laquelle on essaie de sortir." La question de la temporalité est extrêmement importante dans le secteur périnatal. "Comment les cellules neuronales vont-elles migrer pendant les premières années de vie? De façon exponentielle, cela débute en anténatal, en commençant par le cortex sensori-moteur, avec une évolution plus tardive du cortex préfrontal qui continue de se remodeler intensément jusqu'à six ans. Donc toute intervention positive ou négative aura un impact majeur, et c'est un moment où il faut agir rapidement." Pour la pédopsychiatre, le repérage des signes précoces est essentiel: "Il est difficile de les voir parce que beaucoup sont plutôt du côté du retrait. Il faut se préoccuper d'un bébé dont la maman qui vient d'accoucher parle très peu de lui. Si les choses se passent bien et que le bébé prend de la place dans la relation avec le parent, spontanément il parlera de son nouveau-né. Tous ces petits indices sont essentiels. Aujourd'hui, on a un gros travail à faire pour donner à cette clinique périnatale la place qu'elle mérite." La Pr Véronique Delvenne a conclu le séminaire par un message politique: "Il est vraisemblable que dans les cinq ans à venir, s'il y a encore des budgets en santé mentale, ils concerneront la périnatalité parce que c'est un parent pauvre des réformes antérieures. C'est un mouvement extrêmement important au niveau international et c'est aussi une des recommandations de l'Académie royale de médecine qui invite à mettre l'accent sur la période de transition, mais aussi sur l'âge périnatal (- neuf mois à + deux ans) qui concerne également la santé des femmes et la psychiatrie adulte." Elle a ensuite fait un plaidoyer pour une utilisation plus systématique d'un outil de dépistage très simple de la dépression post-partum comme l'EPDS (Edinburgh Postpartum Depression Scale, dix questions): "Ça prend deux minutes, c'est un autoquestionnaire qu'une mère peut faire dans la salle d'attente, en anténatal et en postnatal. Ce n'est pas un outil lourd et on obtient un score qui permet de voir si la femme est à risque de dépression ou si elle est déjà dans un état dépressif avec son enfant. Après, il y a bien sûr des échelles plus complexes pour évaluer l'état du bébé, mais l'EPDS est à la portée de tous, même du généraliste. C'est un peu dommage qu'il n'y ait pas de recommandations simples pour détecter la dépression maternelle. Si on repère les mères et qu'on leur permet d'être soutenues, on peut avoir une action préventive, parfois simple via les psychologues de première ligne ou plus complexe", conclut la psychiatre qui a toujours à coeur de créer plus de liens entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte.