Le grand débat organisé par Unessa a donné l'occasion à son directeur général, le Dr Philippe Devos, d'exprimer les préoccupations du secteur aux principaux partis francophones. Ces derniers ont pu, à leur tour, donner leur vision sur le financement des soins de santé et sur la durabilité. Mais la pénurie et l'attractivité sont restées les sujets phares de la soirée.
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Financement des soins de santé, pénurie, durabilité...Le PS, le MR, Les Engagés, Ecolo, DéFI et le PTB ont eu près de deux heures pour débattre autour de ces thématiques. Pas de seconds couteaux pour les échanges, puisque Georges-Louis Bouchez (MR), Éliane Tillieux (PS), François De Smet (DéFI), et Germain Mugemangango (PTB) étaient présents. Ne manquaient peut-être que le président des Engagés, Maxime Prévot, très bien remplacé par Elisabeth Degryse, tête de liste fédérale à Bruxelles et vice-présidente des Mutualités chrétiennes, et Jean-Marc Nollet, président d'Ecolo, substitué par Laurent Heyvaert, membre de la Commission santé au Parlement wallon. Depuis le covid, et sans doute le problème était-il larvé bien avant, le secteur des soins souffre de pénuries et d'un manque d'attractivité qui touchent tant les médecins que les professionnels de l'art infirmier. Première pierre d'achoppement, pour tous les partis (ou presque): les quotas Inami. "Il faut arrêter avec le numerus clausus. Un médecin sur deux a plus de 55 ans. Un médecin sur trois abandonne purement et simplement le métier. Il y a des leviers sur lesquels on peut agir", démarre Germain Mugemangango. "La pénurie est devenue si grave que le numerus clausus ne se justifie plus. Nous n'avons plus pléthore de médecins. Le problème est aujourd'hui inversé. Il faut donc supprimer ce mécanisme", enchérit François De Smet. L'avis de Georges-Louis Bouchez sur la pénurie est plus étonnant: "Aujourd'hui, il est faux de dire qu'il y a une pénurie généralisée de médecins dans notre pays. Il y a des pénuries localisées. C'est pour cela que nous proposons de créer des incitants, parfois des obligations pour que les médecins s'installent dans des zones en pénurie (lire par ailleurs page 4)."Concernant les quotas, le président du MR se distingue également de ses adversaires. "J'ai compris que la question des numéros Inami serait une des tartes à la crème de la campagne électorale. Est-ce qu'on peut les faire sauter? Pas de problème. Est-ce que, pour autant, on pourra totalement libéraliser la formation des médecins? C'est faux parce que pour former un médecin, il faut des stages pratiques. De plus, le nombre de médecins formés sera toujours limité au nombre de lits disponibles, au nombre de patients existants. Il faut avoir plus de flexibilité dans les structures pour avoir une vision plus globale.""La pénurie, je m'excuse, mais elle existe sur une grande partie du territoire, en ce compris la Flandre, où une réflexion sur les quotas est également menée. Ce n'est pas qu'un délire francophone", répond Elisabeth Degryse. "Est-ce qu'il faut pour autant arrêter toute la régulation? Non évidemment, mais est-ce qu'on peut reconnaître qu'on s'est trompé dans les années 1990 et que le système actuel ne fonctionne pas?"Deuxième écueil, pour pallier la pénurie, il faut travailler sur les conditions de travail qui ne sont pas suffisamment bonnes pour retenir le personnel. "La situation est dramatique dans tous les secteurs. Un paradoxe dans notre société: on dit que le secteur des soins est essentiel, on applaudit aux fenêtres, mais finalement, le secteur est très peu soutenu", constate Germain Mugemangango. "Il faut trouver des solutions pour rendre les métiers attractifs: travailler sur l'image, les salaires, les conditions de travail et la pénibilité."Pour y arriver, il faut travailler, notamment, sur la question du burn out pour François De Smet. "Le burn out fait initialement référence à trois métiers qui ne se terminent jamais: soigner, enseigner et gouverner. Ce sont trois tâches qui imposent une charge mentale forte. Il n'est donc pas étonnant de constater un abandon du métier voire des études. Comment contrer cela? En travaillant sur l'attractivité du métier, en payant par exemple les heures de stage de dernière année pour les professionnels de l'art infirmier.""On ne peut plus, aujourd'hui, se retrouver, dans les hôpitaux, avec une infirmière pour 20 patients", ajoute Elisabeth Degryse. "Ce n'est plus acceptable. Des normes européennes existent. Il faut tout faire pour y arriver et calculer les normes d'encadrement correctement, en fonction du temps de travail effectivement presté. C'est un travail à réaliser avec le secteur. Concernant l'attractivité, il faut travailler sur la reconnaissance sociétale des métiers du soin. Une grande campagne a été faite pour la Défense. Pourquoi ne ferions-nous pas de même pour les métiers du soin? Il faut ensuite améliorer les conditions de travail et les simplifier au-delà de l'amélioration salariale. Enfin, concernant la délégation des tâches, il faut un vrai plan concerté avec le secteur, sinon, la plus-value des travailleurs est nulle et ils deviennent des gestionnaires de cas."Un avis que rejoint Éliane Tillieux. "Il faut aller plus loin et réfléchir à la manière dont on encadre. Il y a des prestations techniques qui pourraient être prises en charge par des aidants proches ou des aidants formés. Il faut aussi travailler sur la formation en alternance qui permet aux jeunes de comprendre ce qui les attendra sur le terrain et d'éviter les déconvenues sur le marché du travail.""On peut dire plein de choses pour être agréable, mais il faut regarder la réalité en face. Il y a 153 métiers en pénurie. Le problème n'est pas uniquement présent dans le secteur des soins. Le problème, c'est le rapport au travail", se détache - encore - George-Louis Bouchez. "On n'arrête pas de dire que le monde du travail a changé, avec davantage de flexibilité entre vie privée et vie professionnelle. Mais à un moment donné, il faut oser dire aux gens qu'il faut travailler pour avoir une société heureuse. La Wallonie est une des régions d'Europe avec le plus haut ratio entre le nombre de demandeurs d'emploi et le nombre de métiers en pénurie." Le président du MR estime en outre qu'il faut baisser la fiscalité afin que les gens gagnent davantage. Laurent Heyvaert de conclure sur le sujet: "Le monde du travail évolue, mais il ne faut pas comparer les métiers en pénurie de manière générale et les métiers en pénurie dans les soins de santé. La nouvelle génération demande un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, il faut pouvoir l'entendre."Outre la pénurie et l'attractivité, les partis ont abordé le financement des soins de santé. Depuis des années, le secteur des soins réclame plus de prévisibilité budgétaire, mais aussi l'adoption de techniques de financement plus souples et intelligibles qui s'inscrivent dans le temps. "Les coûts ont explosé, et cela ne concerne pas que le secteur des soins", rappelle Éliane Tillieux. "Le PS propose de fixer un financement davantage structurel et non pas projet par projet pour permettre une viabilité des institutions à long terme. Ensuite, il faut fixer une norme de croissance minimale de 3% pour rendre les soins accessibles.""Ce qui est fondamental, c'est la prévisibilité des besoins réels", considère Georges-Louis Bouchez, qui n'est pas défavorable au financement structurel. "Cette prévisibilité doit se concevoir au niveau territorial, spécifique. Pourquoi est-ce que cela ne se fait pas? Parce que nous n'avons pas de pérennité budgétaire sur le plan régional. Il y a une autre manière d'aider les structures: plutôt que leur donner de l'argent, diminuons leurs coûts. Il faudrait pouvoir imaginer des mécanismes fiscaux spécifiques pour les personnes qui sont dans le domaine du care, et pour les établissements eux-mêmes. Enfin, il faut mieux gérer. Je pense que spécifiquement dans le secteur des soins, il faut revoir une série de modes de paiement. Par exemple, les paiements à l'acte, aujourd'hui, sont totalement déconnectés de la réalité.""Nous devons totalement changer notre manière de voir les choses. Il faut arrêter de croire que l'on va pouvoir faire des économies en matière de soins de santé. La prévisibilité est essentielle, mais une institution n'est pas l'autre", estime également Elisabeth Degryse. "Pour les hôpitaux, il y a une réforme qui a été lancée par le ministre Vandenbroucke. Il faut absolument la continuer parce qu'on doit sortir de ce financement à l'acte qui ne permet pas aux gestionnaires de se préoccuper de questions de qualité car ils se préoccupent d'abord et avant tout d'avoir, à juste titre, des budgets à l'équilibre."Germain Mugemangango s'est plutôt attaqué à la hausse des coûts de l'énergie. "On débat pour savoir si l'on doit investir davantage dans les soins de santé. J'ai envie de dire qu'il faut d'abord arrêter de prendre de l'argent aux hôpitaux. Sur la hausse des coûts de l'énergie, je suis surpris de la passivité du gouvernement qui aurait pu bloquer les prix comme cela s'est fait ailleurs." La solution: taxer les surprofits. "Une solution concrète est de taxer ces surprofits à hauteur de 70%, comme le recommande la CREG, jusqu'en 2025, afin de baisser drastiquement la note énergétique des institutions de soins.""Il faut arrêter de compliquer la vie des professionnels", estime quant à lui François De Smet. "Certaines réformes sont délétères et empoisonnent la vie des institutions à cause de la rigidité administrative qui en découle. Concernant le financement, il faut revaloriser les métiers du care. Mais les régions et le fédéral sont désargentés. Il faudra faire des choix politiques, trouver l'argent. Il faut pour cela relancer l'économie, augmenter le taux d'emploi et faire en sorte que l'économie de nos régions et de notre pays soit suffisamment forte pour contribuer à refinancer la santé.""J'espère que chaque parti a bien en tête que chaque gouvernement impose de nouvelles normes. Chaque fois qu'il y a une nouvelle exigence ou une réforme, il y a un coût supplémentaire sur le terrain. Par contre, les budgets alloués sont souvent oubliés. La moindre des choses en termes de responsabilité politique, quand on impose quelque chose à un secteur, est de le financer. Force est de constater que depuis longtemps, les exigences augmentent, mais pas les financements. Il faudra, à un moment, assumer ses responsabilités", conclut le Dr Devos.