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Partir en balade, faire son yoga dehors, composer un herbier, écouter chanter les oiseaux... Il est l'heure de se reconnecter à la nature, d'y puiser force et ressourcement. Tel est le projet développé par Nolwenn Lechien dans le cadre de son mémoire de master en Sciences de la santé publique à la faculté de médecine de l'ULiège et présenté en septembre 2023 [1]. Un mois plus tard, elle était embauchée par le Centre de santé intégrée des Carrières à Sprimont en tant que coordinatrice de projets de promotion de santé afin d'y mettre en place les prescriptions de nature. "Mon beau-père est néo-zélandais et, dans son pays, les prescriptions vertes ("Green prescription") existent depuis les années 1990", indique la jeune diplômée. "Je me suis dit que ce serait un sujet de mémoire génial, d'autant que je suis très intéressée par l'aspect prévention de la santé. De plus, s'il y avait bien des initiatives en Flandre, cela n'existait pas en Wallonie.""Pour mon mémoire, j'ai exploré les opinions des professionnels de santé de sept maisons médicales liégeoises en matière de 'prescription de nature', en complément aux traitements médicaux traditionnels. 69 professionnels ont été entendus: médecins généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, assistants sociaux, personnel administratif et de santé communautaire, etc."Si l'accueil réservé à cette démarche est très positif, notamment en raison de son accessibilité financière et des croyances positives des professionnels de santé sur le contact avec la nature, certains freins existent néanmoins. Par exemple, le scepticisme des patients, les risques d'essoufflement, le manque d'encadrement... Pour y faire face, Nolwenn Lechien recommande la modularité des prescriptions de la nature, la reconnaissance du concept par la Région wallonne et l'Inami, une formation pour les médecins généralistes, une campagne de sensibilisation... L'équipe du Centre de santé intégrée des Carrières à Sprimont s'est montrée très intéressée parce qu'elle était justement en train d'essayer de mettre ce type d'approche en place. Elle a donc décidé d'embaucher Nolwenn Lechien, qui venait de terminer ses études. Ainsi, un comité pluridisciplinaire de huit personnes s'est constitué pour mettre ce projet sur pied. La première étape a consisté à créer un carnet de "Prescription de nature" proposant un programme de deux mois d'activités, adaptable et adapté aux patients et à l'environnement local. Quatre types d'activités y sont détaillées: physiques, à domicile, découvertes et sensorielles. Il peut s'agir de marcher une demi-heure, de faire une activité à l'extérieur (vélo, photographie...), d'aller voir un arbre coupé par un castor ou une cascade... À la maison, on peut découvrir l'utilité du hérisson, lire, regarder des documentaires... Les activités "découvertes" consistent par exemple à faire un jardin japonais sur un bois mort, à prendre un bain de soleil en forêt et méditer, à réaliser une carte sonore... "Se reconnecter à la nature, ce n'est pas uniquement faire de l'activité physique", insiste-t-elle, "il peut simplement s'agir de s'asseoir sur un banc, d'observer la nature, cela ne demande pas beaucoup d'efforts et pourtant, ça fait du bien.""Nous nous sommes inspirés des exemples de prescriptions de nature qui existaient dans le monde. En Nouvelle-Zélande, les activités allient nature et physique ; en Écosse, nature et activités de pleine conscience ; au Canada et aux USA, ces prescriptions permettent d'aller dans les parcs naturels... En Grande-Bretagne, ils ont des prescriptions de nature sociales. Pour certaines personnes, le groupe peut être une motivation à mettre en place des comportements de santé favorables. Notre carnet est imaginé pour que le patient puisse faire les activités seul ou avec notre accompagnement." Ainsi, au Centre de Sprimont, cinq patients bénévoles ont accepté de faire des activités de nature (marche, promenade ornithologique, balade pleine conscience...) avec les patients qui recevront une prescription. "Pendant deux mois, ils auront accès aux activités organisées par le Centre et après, on aimerait qu'ils se prennent en charge."La première page du carnet mentionne la signature et le cachet du prescripteur, qui peut être médecin ou infirmier. Les pages intérieures expliquent la philosophie du projet, les bénéfices apportés par la nature sur la santé, les activités proposées, les lieux à visiter dans les alentours (jardins communautaires, maraîchers...), une bibliographie suggérant des livres et films. "En collaboration avec son patient, le médecin choisit les activités pour les quatre premières semaines du programme", explique Nolwenn Lechien. "Il est important d'arriver à deux heures par semaine en nature, avec un minimum de 20 minutes à la fois, parce que les études démontrent que c'est le seuil à partir duquel on observe des bénéfices. À la fin de cette période, le médecin fait un bilan pour voir si les activités étaient adaptées, si la santé et le moral s'améliorent, et dresse une nouvelle prescription pour quatre semaines supplémentaires avec d'autres activités, suivies par un nouveau bilan."L'expérience vient de commencer fin mars. "Pour l'instant, on le prescrit pour des problèmes psychologiques, dépression, burn-out, anxiété, et des maladies chroniques de type diabète, obésité, cardiovasculaire, cancer. Les prescriptions de nature n'ont pas pour objectif de remplacer la médecine traditionnelle, nous espérons qu'elles permettent de réduire celles de benzodiazépines, etc."Nolwenn Lechien va mener une étude sur la mise en oeuvre de ce projet. En fonction des résultats, le carnet de prescription de nature sera revu afin d'être le plus adapté à la situation locale. À côté, elle pense déjà aux développements futurs, pourquoi pas créer une application ou organiser un colloque pour faire connaître le sujet? "On a rencontré pas mal de partenaires intéressés. Par exemple, le collectif Soins verts composé de la Fondation Terre de vie et de la Fondation Roi Baudouin, en partenariat avec le Pr Hans Keune (UAnvers). Ils ont écrit un mémorandum pour les prochaines élections sur la reconnaissance des soins verts par l'Inami et le gouvernement." Dans leur projet, "la prescription de soins verts se définirait comme un acte posé par un médecin qui permette à des patients en incapacité pour cause de burn-out et/ou de dépression d'entamer un processus de rétablissement à travers des activités au contact de la nature, proposées au sein d'une entreprise agricole ou sylvicole."Le travail de Nolwenn Lechien vient d'ailleurs d'être salué, puisqu'elle est l'une des lauréates des "Hera Awards for Future Generations"[2]. Elle recevra officiellement son prix le 24 avril prochain. Le jury de cette fondation a retenu le caractère innovant et durable de ces prescriptions de nature. "Face à la diminution de l'exposition à la nature due à l'urbanisation, cette prescription aspire à reconnecter les individus à leur environnement naturel, tout en les encourageant à le protéger. D'autre part, elle ne nécessite pas trop d'investissement financier, mais plutôt un changement culturel. De plus, le jury recommande d'envisager l'extension du projet aux médecins libéraux et d'analyser la mise en place de ce modèle en Belgique."