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Le journal du Médecin: Vous êtes plutôt Alix ou Rahan? Benoît Clarys : Rahan bien sûr, le fils des âges farouches, mais pas forcément obsédé par la bande dessinée historique. Plutôt Bilal, et tout ce que l'on trouvait dans Pilote. Habitant du côté français de la frontière étant jeune, c'est le magazine que je lisais, plutôt que Spirou ou Tintin. J'ai pratiqué un peu la bédé, mais sans jamais rencontrer de scénariste, ce que je ne suis pas, car c'est un autre métier. Votre meilleur scénariste c'est l'histoire? Oui. Je suis avant tout un illustrateur qui a toujours besoin d'un contenu. Je ne suis pas un artiste: j'exécute des commandes. L'on me fournit la matière et je réalise une illustration. Ce sont donc les chercheurs, les archéologues, les scientifiques qui me sollicitent. En ce moment par exemple, je collabore avec une spécialiste, docteur en textiles. Au départ, vous étiez publicitaire. Pour gagner, ma croûte, mais la publicité m'a permis de me faire connaître. Par ailleurs, il s'agit d'une pratique très exigeante, qui requiert un style personnel, mais qui intègre toutes les contraintes. C'était parfois très frustrant, tout en procurant une rigueur qui me sert à présent dans le cadre de mes illustrations. Car les commandes que vous avez sont aussi très précises? Certes, mais je dispose de plus de latitude dans le contenu, et les "clients" sont moins chipoteurs. En fait, j'ai débuté avec l'archéologue Pierre Cattelain, au musée du Malgré-Tout à Treignes dans les années nonante. Au départ ce n'était pas terrible, mais, petit à petit, cela s'est mis à fonctionner, suscitant des réactions positives. A l'époque, j'ai également oeuvré en Suisse. Et puis à partir de 1990, la publicité a pris un gros coup sur la tête avec la guerre du Golfe: j'ai eu une chance folle puisque j'ai commencé à ne faire que de l'archéologie via la Région wallonne, au travers du service archéologie du SPW de Jambes. Et puis, le jour où les Français se sont intéressés à mon travail, c'était parti. Parce que la Wallonie c'est quand même petit. L'Allemagne, la Suisse ont suivi... Vous avez d'ailleurs pas mal exposé en France et finalement peu en Belgique? On n'est jamais prophète en son pays. Mais Pierre Cattelain m'a consacré une exposition comme illustrateur au Malgré-tout de Treignes et au Préhistomuseum de Ramioul. Vous préférez illustrer la Préhistoire ou le Moyen-Âge? La Préhistoire. J'ai également participé à de nombreuses fouilles. Je me faisais embaucher comme technicien avec la région wallonne ou par le biais d'une asbl. Que ressentez-vous devant un dessin pariétal? C'est de l'émotion pure. Pas forcément dans des lieux spectaculaires comme la grotte Chauvet. Mais lorsque l'on visite de petites grottes anodines et que l'on découvre un petit témoignage de rien du tout: le fait de savoir que quelqu'un a dessiné il y a des milliers d'années, sans que l'on sache ni quand ni pourquoi, déclenche beaucoup d'émotion, qu'il s'agisse d'une main ou de traces. Comme lorsque durant les fouilles l'on trouve une pointe de flèche ou un petit outil préhistorique: se dire qu'"ils" étaient là il y a quinze mille ans. Quelle est la part de l'imaginaire dans ce que vous faites? Un tiers de scientifique et deux tiers d'imaginaire. Il y a beaucoup de choses que l'on ignore. Il s'agit d'être précis sur ce que l'on connaît, mais le reste n'est que de l'imagination. Raison pour laquelle vous préférez la Préhistoire? Absolument. J'adore Neandertal. Je viens d'ailleurs de réaliser une belle affiche pour le musée de Maastricht qui va lui consacrer une exposition. Justement, j'ai appelée cette illustration "Le cousin de Rahan", puisqu'on est à la même époque: ils ont dû se rencontrer. Vous aviez la dent de Rahan? Non, le collier en griffes d'ours que j'ai toujours! (il sourit) Avec la Préhistoire, vous disposez d'une plus grande liberté que dans le cas de l'époque mérovingienne? Les Mérovingiens sont encore assez secrets. Mais c'est une période où l'on commence à avoir de l'image concernant leurs us et coutumes, notamment à Bouvignes, près de Dinant à la Maison du Patrimoine Médiéval Mosan où j'ai travaillé. Pendant longtemps, en ce qui concerne la période celtique de La Tène, impossible d'envisager des images. Cela commence à changer, grâce aux fouilles. Effectivement, il est plus facile d'imaginer la Préhistoire ou la Protohistoire que la période gallo-romaine, qui est elle très imagée. Vous faites poser des personnes? Souvent. Mon ex-femme ou l'un de mes enfants quand il avait trois ans. Ce n'est pas sympa pour celui qui pose en Néandertal... Celui-là, je ne l'ai pas encore trouvé. Votre préféré: Neandertal ou Cro-Magnon? Neandertal, parce qu'il est encore mystérieux et qu'il n'est pas nous. Chez les louveteaux, notre aumônier, admirateur de Teilhard de Chardin, nous emmenait dans les champs à la recherche de silex. A huit ans, ce sont des moments géniaux notamment au niveau de l'imagerie, l'imagination. Nous explorions un site moustérien, donc époque Neandertal et j'ai récolté des silex que l'ecclésiastique me décrivait ensuite. Cro-Magnon c'est vous? Il y a certainement une identification. Cro-Magnon m'intéresse par l'évolution de sa représentation, parfois désormais lui sont attribués des traits africains, ce qui me paraît très intéressant. Il y a 30 ans... c'était Rahan. On se rend compte aujourd'hui qu'ils partageaient les mêmes vêtements ave Neandertal. Imaginer Cro-Magnon en Black, c'est passionnant. Est-ce plus difficile de dessiner des animaux? Non j'adore. Quelque part, l'archéologie fait partie de la nature. C'est sans doute le côté Neandertal qui me fascine, à savoir que l'on parle d'un être très proche du milieu en comparaison des Romains par exemple, un individu plus organique. Le mystère de la nature me fascine. Adolescent, je rêvais de devenir peintre. Ce qui m'a inspiré notamment, c'est la découverte de l'aquarelle et la gouache d'Albrecht Dürer intitulée "Le lièvre". Ce dessin est un chef-d'oeuvre d'observation d'après nature. Magnifique! Quand est-il des dinosaures? Cela m'intéresse moins, car déjà tellement fait. Je préfère les mammouths ou les tigres aux dents de sabre: le côté Rahan. J'en ai fait un peu pour le tertiaire: des ours géants, des marsupiaux... Celui qui m'a inspiré le plus c'est Zdenek Burian, un paléoartiste tchèque, fort critiqué au niveau de la rigueur scientifique, mais auteur d'une peinture magnifique. Quels sont vos projets en cours? Je viens de terminer des illustrations pour le musée d'archéologie de Berlin. Pour Maastricht le portrait de Neandertal. Je réalise des images pour un métier à tisser. J'ai également un projet de parure Cro-Magnon pour une expo itinérante dans plusieurs musées du Sud-Ouest de la France et un projet en Suisse. Je viens de réaliser une fresque pour le Phare, espace muséal d'Andenne qui a ouvert en juillet dernier et concerne notamment la grotte Scladina à Sclayn. Ma préhistoire n'est pas terminée... (il sourit).