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"La toute première description d'un effet sanitaire de la pollution atmosphérique a été faite dans la vallée de la Sambre par un Anglais dans les années 30. Le lien statistique entre les pics de pollution et la concordance temporelle avec la surmortalité a été décrit par un Belge en 1953 (Lancet). La Belgique entretient donc des relations étroites avec le sujet", constate le Dr Aurélien Wauters, cardiologue à la Clinique Saint-Pierre à Ottignies. La pollution atmosphérique, c'est un mélange de particules fines (PM10 (< 10 mm), PM2,5 et PM0,1) et de gaz (SO2, NO, NO2, O3, CO, CO2). "À Bruxelles, c'est principalement la mobilité qui est responsable de cette pollution et c'est principalement l'inhalation qui est responsable de sa toxicité. Depuis 2007, on sait que c'est un risque cardiovasculaire aigu (Mills, NEJM)." Selon l'OMS (avis de 2016, revu en 2022), les effets sanitaires de la pollution de l'air sont mondiaux: elle entraîne 7 millions de décès par an, 2,4 milliards de personnes sont exposées à des polluants à des taux supérieurs aux normes recommandées par l'OMS et 91% de la population vivent dans des régions qui dépassent régulièrement ces normes. "Les effets cardio-vasculaires comptent pour deux tiers de la mortalité induite par les particules extérieures. C'est un peu contre-intuitif parce qu'on penserait plutôt aux effets respiratoires en premier lieu." Les effets cardio-vasculaires aigus concernent l'infarctus: une étude à Bruxelles a montré qu'une augmentation de 10 µg/m3 de particules fines augmente le risque d'infarctus dans les 24 heures (J Cardiol 2016). "Ce surcroît de risque est minime à l'échelle individuelle mais comme tout le monde est exposé, cela a des impacts cliniques importants. Cet effet se marque également sur l'insuffisance cardiaque: une étude parue en 2011 (Lancet) a montré qu'une augmentation de 10 µg/m3 augmente le risque d'hospitalisation pour ce diagnostic. De faibles variations peuvent expliquer pourquoi certains patients équilibrés se retrouvent à l'hôpital." Pour Aurélien Wauters, la faiblesse du risque individuel et l'importance de l'effet à l'échelle de la population ont été bien démontrés par Tim Nawrot (université de Hasselt). Son étude (Lancet, 2011) montre que vu l'ampleur du risque et la prévalence dans la population, la pollution de l'air est un déclencheur important d'infarctus du myocarde, d'une ampleur similaire à d'autres déclencheurs bien acceptés tels que l'effort physique, l'alcool et le café. Ce travail montre que de petits risques omniprésents peuvent avoir une importance considérable pour la santé publique. "Et ce qui est le plus important, c'est l'exposition au trafic, le fait d'être dans sa voiture dans un embouteillage. Pourquoi? Parce que cela combine deux stress majeurs, la pollution et l'énervement", ajoute-t-il. Les particules fines augmentent ce risque parce qu'elles agissent sur tous les éléments cardio-vasculaires de déclenchement: la vasomotricité, l'hémostase et l'endothélium. "C'est une série de petits effets avec de grandes conséquences sur une population large. Les radicaux libres sont l'élément essentiel: les particules fines sont bourrées de radicaux libres qui entraînent une cascade très complexe. Il y a aussi des effets sur les arythmies, sur la survenue de la fibrillation auriculaire, sur le taux de stimulation des pacemakers et sur les chocs par les défibrillateurs. Tous ces événements sont bien sûr multifactoriels mais ils sont liés à la pollution. Enfin, il y a aussi un effet sur le système nerveux autonome, mais il est difficile à étudier. Il y a des effets rapides sur la balance entre le SN para- et orthosympathique (augmentation du tonus orthosympathique)." La population dense, le réseau routier développé et les industries nombreuses expliquent pourquoi la qualité de l'air n'est pas bonne en Belgique. " C'est une des régions les plus polluées en Europe, avec la plaine du Pô. On y mesure environ 15 à 25 µg/m3 de particules fines, or l'objectif de l'OMS est de 5 µg/m3", souligne le cardiologue. Que faire? "Il faut identifier les risques et diminuer l'impact environnemental - diminuer les taux de polluants est efficace parce que les effets sur la santé sont réversibles", répond-il. "Nous devons identifier nos patients à risque, ce qui n'est pas facile parce que la littérature n'est pas encore très claire, et il faut donner des conseils sur les activités." Des outils permettent d'identifier les risques environnementaux: www.irceline.be (qualité de l'air en temps réel), aqicn.org (prévisions sur la qualité de l'air). "Cependant, les alertes pollution ne sont émises que quand les valeurs sont très élevées: le seuil d'information > 35 µg/m3 (moyenne sur 24 h pendant au moins 24 h selon les prévisions), le seuil d'alerte > 50 µg/m3 (prévisions sur deux jours)." " Il faut prévenir prioritairement les patients qui ont des pathologies cardio-vasculaires (coronaropathies, fibrillations auriculaires, haut risque d'AVC, insuffisance cardiaque...). C'est le moins que l'on puisse faire. Le lien entre survenue d'un épisode de décompensation cardiaque et pollution atmosphérique est clair. Donc les patients un peu limite sur le plan volémique doivent être avertis", estime-t-il. Quant à savoir s'il faut informer tous les patients présentant des facteurs de risques (âge, tabac, HTA, diabète), le spécialiste estime que cela concerne tellement de patients qu'il faut prioriser les pathologies avérées. Dès lors, faut-il faire de l'exercice physique en milieu pollué? "Lorsqu'on fait de l'activité physique, la ventilation, l'inhalation et les effets sont accrus. La toxicité est donc plus importante que si on ne fait pas d'efforts, mais les bénéfices sont toujours supérieurs aux risques. Exception faite pour les patients coronariens instables, le jour d'un pic de pollution, il ne faut pas interdire l'effort physique. Du moins en Europe, je ne dirais pas la même chose en Chine, dans des villes où on atteint des taux de pollution de 200-300 µg/m3!", met-il en garde. "Néanmoins, il faut donner des conseils sur l'exercice physique en air pollué: éviter les heures de pointe, s'éloigner des routes et des véhicules, éviter les pics de pollution, penser son itinéraire pour éviter les endroits plus pollués et consulter la météo. Je ne déconseille pas l'activité physique, même pour les patients à risque. Le mots-clé, c'est de toujours rester actif. C'est très important", insiste le Dr Wauters.