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Tout début mars, le Pr Do-Yeon Cho, exerçant la chirurgie de la tête et du cou à l'Université d'Alabama signalait qu'un de ses correspondants qui pratique à Daegu, à l'épicentre du coronavirus en Corée du Sud, lui rapportait que de très nombreux patients infectés se plaignaient de la perte du goût et de l'odorat. Un symptôme qui se prolonge dans la durée, même après rétablissement. En France, les ORL ont été alertés par de nombreux cas de personnes ne présentant que ce symptôme, sans pourtant avoir le nez bouché. " Ça semblait bizarre ", confie le docteur Alain Corré, ORL à l'Hôpital-Fondation Rothschild à Paris. Avec le Dr Dominique Salmon de l'Hôtel Dieu, ils ont testé une soixantaine de patients anosmiques : 90% étaient positifs. Jusqu'alors, on pensait que seuls un tiers des patients infectés éprouvaient ce symptôme. C'est également ce que confirme une large étude européenne coordonnée par l'Université de Mons et que publie ce mercredi la revue de référence European archives of otolaryngology. " Ces symptômes d'anosmie et de dysgueusie ont été retrouvés chez un grand nombre de patients infectés en Allemagne, France, Italie, Espagne, Angleterre et aux USA ", explique le Pr Sven Saussez. " Un groupe de spécialistes de la fédération internationale des sociétés d'ORL a développé un questionnaire permettant d'investiguer ces troubles de l'odorat et du goût chez des patients infectés par une forme non-sévère de Covid-19, l'infection restant prouvée par un test PCR. "L'étude, menée par 12 hôpitaux européens auprès de 417 patients révèle que les symptômes généraux les plus fréquents de la maladie sont la toux, les douleurs musculaires, la perte d'appétit et la fièvre. Les symptômes ORL les plus fréquents sont les douleurs faciales et l'obstruction nasale. 86% des patients infectés vont présenter des troubles de l'odorat (la plupart ne sentent plus rien) et 88% des troubles du goût. Ces troubles de l'odorat surviennent soit avant l'apparition des symptômes généraux et ORL (dans 12% des cas), soit pendant (65% des cas) ou soit après (23% des cas). Dans 20% des cas, l'anosmie n'est pas associée à des symptômes ORL. De manière surprenante, les femmes sont nettement plus atteintes par cette anosmie (92% d'anosmie chez les femmes contre 82% chez les hommes). " Cette différence liée au sexe est significative sur le plan statistique ", expliquent les professeurs Jérôme Lechien et Sven Saussez, ORL et chercheurs à l'Université de Mons qui ont coordonné cette étude réalisée par 33 chercheurs. Est-ce définitif ? Le virus Sras Cov-2 est attiré par les nerfs : quand il pénètre dans le nez, au lieu de s'attaquer à la muqueuse comme le font les rhinovirus habituels, il attaque le nerf olfactif et bloque les molécules d'odeur, explique le Dr Alain Corré. L'atteinte serait a priori locale. Selon l'étude, 44% des patients ont déjà récupéré leur odorat dans un délai court de 15 jours. " Les autres patients doivent garder un bon espoir de récupération qui pourrait se faire dans les 12 mois de l'apparition des symptômes ", explique Sven Saussez. " La récupération nerveuse est un processus lent. La récupération du goût est aléatoire, elle peut se faire avant, en même temps, ou après la récupération de l'odorat. De nouvelles études sont en cours de réalisation pour déterminer avec plus de précision la durée de la récupération et les mécanismes expliquant ces symptômes ".Ce constat, étayé par une étude multicentrique sur un nombre important de patients, pousse les auteurs à formuler d'importantes recommandations pour la clinique. " Une anosmie ou une dysgueusie survenue au cours des dernières semaines (après le 1er mars 2020) chez des patients ne présentant aucun antécédent ORL (sinusite chronique, polypes nasaux, chirurgie nasale ou sinusale) doit être considérée comme un symptôme spécifique de l'infection à Covid-19 et devrait être officiellement ajoutée à la liste des autres symptômes reprises par l'OMS. Se basant sur le principe de précaution, les patients atteints d'une anosmie/dysgueusie isolée (sans autres symptômes de la maladie) devraient être considérés comme potentiellement infectés par le Sras-CoV-2 et donc isolés pour une période minimale de sept jours (à discuter avec le médecin traitant). Enfin, les traitements habituellement donnés pour traiter l'anosmie à savoir les corticoïdes oraux ou nasaux (spray) sont contrindiqués dans le cadre de ces anosmies en relation avec l'infection à Covid-19 ". Les corticoïdes pourraient en effet faire flamber la maladie et aggraver certains cas. Les auteurs vont poursuivre cette étude chez les patients anosmiques Covid-19 positifs (prouvés par PCR) afin de confirmer leurs résultats sur un plus grand nombre de patients mais également de tenter d'expliquer les mécanismes de cette anosmie. Dès lors, les auteurs de l'étude demandent à la population concernée de répondre massivement à l'enquête de préférence par le questionnaire en ligne accessible via ce lien (https://www.surveymonkey.com/r/VMQYKGV). Il s'adresse à tous les patients diagnostiqués Covid-19 + par un test PCR (qui ne sont pas en soins intensifs), tous les patients isolés à la maison par le médecin traitant ou le médecin spécialiste sur base des symptômes (sans test PCR) et tous les patients anosmiques mais avec ce symptôme depuis seulement le 1er mars (à l'exclusion des patients souffrant de sinusite chronique, opérés des sinus ou avec anosmie antérieure au 1er mars).