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Aux États-Unis, des dizaines de millions de dollars sont investis chaque année dans la recherche publique sur la méditation. Dans un livre1 dont la sortie est prévue en septembre et dont il existe déjà une version néerlandophone2, le professeur Steven Laureys, responsable de l'Unité thématique sur la conscience au sein du GIGA de l'Université de Liège, souligne à quel point des pays comme la Belgique, la Suisse ou la France sont à la traîne en la matière. Ainsi, on ne recense dans notre pays que neuf études scientifiques sur la méditation au cours des vingt dernières années.Pourtant, selon un article de synthèse publié dans Nature Reviews Neuroscience en 2015, les recherches menées depuis les années 1990 confirment que la méditation de pleine conscience, celle qui s'est forgé un débouché dans plusieurs centaines de centres médicaux américains et européens, exerce bel et bien des effets positifs tant sur la santé physique et mentale que sur les performances cognitives.La méditation de pleine conscience consiste à observer ses perceptions, ses sensations corporelles internes et ses pensées dans le moment présent, instant après instant, sans se laisser emporter par elles. La science s'intéresse également à deux autres formes de pratiques méditatives : la méditation par attention focalisée, où il s'agit de se concentrer sur un élément déterminé, habituellement sa respiration, et la méditation de compassion, où l'on cultive un sentiment de bienveillance à l'égard d'autrui.Parmi les travaux centrés sur l'attention focalisée, une étude réalisée par l'équipe de Richard Davidson, de l'Université du Wisconsin à Madison, a mis en évidence qu'une retraite de trois mois au cours de laquelle des exercices de méditation étaient pratiqués au moins huit heures par jour améliorait la vigilance des sujets dans une tâche répétitive propice aux distractions et que l'activité de leur cerveau, enregistrée par neuroimagerie fonctionnelle, reflétait cette résistance accrue aux éléments distracteurs. Le même laboratoire avait observé dans une recherche antérieure que l'activité des aires cérébrales sous-tendant l'attention était plus intense chez des méditants expérimentés (plus de 10.000 heures de pratique) que chez des novices. Toutefois, lorsque le niveau d'expertise était vraiment très élevé, le phénomène s'inversait, comme si les méditants les plus chevronnés accédaient alors plus aisément à la focalisation attentionnelle.Dans une autre étude, toujours axée sur la méditation par attention focalisée, la même équipe a soumis des méditants expérimentés à des sons angoissants. Il apparut que, lors de l'audition de voix exprimant la souffrance, par exemple, l'activité de l'amygdale, région cérébrale particulièrement impliquée dans la production de l'anxiété, de la peur et du stress, était moindre chez ces experts en méditation que chez des sujets témoins confrontés aux mêmes stimuli angoissants. " On peut en déduire que la méditation favorise l'équanimité, le maintien d'un climat émotionnel stable ", précise Antoine Lutz, anciennement membre du groupe de Richard Davidson et aujourd'hui chercheur de l'Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.À l'Université Harvard, aux États-Unis, Sara Lazar a précisément étudié l'amygdale, elle aussi, mais en se référant cette fois à des volontaires qui s'étaient pliés à un entraînement de méditation de pleine conscience. Que constata-t-elle ? Une réduction du volume de ce noyau chez ceux dont la sensibilité au stress s'était fortement atténuée grâce à la pratique méditative.Une étude d'Eileen Luders, de l'Université de Californie à Los Angeles, laisse à penser qu'il existerait une multiplication des connexions cérébrales chez les méditants expérimentés. Or, au fil du vieillissement se manifeste un déclin des fonctions cognitives causé par une diminution progressive du volume cérébral et du métabolisme du glucose. Le stress et un mauvais sommeil, deux facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer, peuvent exacerber ces changements. En 2017, une étude pilote conduite par Gaël Chételat, neurobiologiste à l'Université de Caen, a montré que les régions du cerveau qui déclinent avec l'âge sont mieux préservées au niveau de leur volume et/ou de leur métabolisme chez des " experts en méditation " d'environ 65 ans que chez des sujets non méditants du même âge. La méditation baliserait-elle une piste pour protéger la santé mentale des seniors ?Tania Singer et Olga Klimecki, de l'Institut Max Planck à Leipzig, ont mené une étude sur les mécanismes de la compassion et de l'empathie. Elles constituèrent deux groupes de 30 sujets. Les membres du premier furent conviés à s'adonner à la méditation compassionnelle et les membres du second, à suivre un protocole censé développer leur sentiment d'empathie à l'égard d'autrui. Les participants furent alors confrontés à des vidéos de personnes qui souffrent. Résultats ? Les membres du premier groupe étaient animés de sentiments positifs et bienveillants. Ce qui ne fut pas le cas des membres du second groupe, lesquels étaient entrés en résonance avec les souffrances qu'ils avaient vues, au point d'éprouver de la détresse, voire quelquefois une perte de contrôle. Cependant, après un entraînement de méditation de compassion, leurs émotions négatives régressèrent au profit d'émotions plus positives. " Ces résultats s'accompagnaient de changements au sein de plusieurs réseaux cérébraux associés à la compassion, aux émotions positives et à l'amour maternel, incluant le cortex orbito-frontal, le striatum central et le cortex cingulaire antérieur ", précisaient, en février 2015, Matthieu Ricard, Antoine Lutz et Richard Davidson dans le magazine Pour la Science.On pourrait encore citer de nombreux exemples d'études consistantes relatives à l'impact positif de la méditation sur la structure et le fonctionnement du cerveau. Plusieurs auteurs attribuent en outre aux pratiques méditatives des vertus pour la santé non seulement de l'esprit (réduction de l'anxiété, de l'impulsivité, meilleures capacités d'attention, plus grand altruisme...), mais également du corps, via une modification de l'activité cérébrale. Divers travaux semblent dévoiler un effet bénéfique des pratiques méditatives notamment sur le système immunitaire, l'hypertension artérielle, le diabète, les rechutes d'épisodes de dépression... De surcroît, elles exerceraient une action protectrice contre la maladie d'Alzheimer.Steven Laureys souligne un élément particulièrement surprenant : des études aboutissent à la conclusion que chez les experts en méditation, les télomères présents à l'extrémité des chromosomes sont plus longs que chez les non-initiés. " La plupart de ces travaux montrent également que le taux de télomérase, enzyme qui joue un rôle majeur pour freiner le rétrécissement des télomères au sein des cellules en division, est plus élevé chez des méditants s'adonnant à la pleine conscience et à la compassion ", indique-t-il. Chaque division cellulaire est associée à la perte d'un fragment de télomère (sauf dans le cas des cellules cancéreuses). Le " stock " épuisé, la cellule ne se divise plus. Le raccourcissement télomérique est donc le bras armé du vieillissement cellulaire, lequel fait le lit du vieillissement des organes et, partant, de l'individu. La méditation favoriserait-elle notre longévité ? À confirmer...