La gestion des conflits en institutions hospitalières par des médiateurs est, relativement, une spécificité belge. Elle est l'émanation de la Loi droits des patients. Si l'utilité de ces médiateurs ne fait plus de doute, ils ne sont pas suffisamment protégés par la loi. Les médiateurs militent donc pour une protection plus forte, avec la création d'un statut similaire au conseiller en prévention. Explications avec Mathieu Vanderheyden, médiateur au CHU Brugmann et vice-président de l'Association des médiateurs en institutions de soins (Amis).
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Le journal du Médecin : L'hôpital étant un lieu de soins et de santé - première préoccupation des Belges -, j'imagine que les conflits sont nombreux. Quels types de conflits devez-vous gérer en général (non spécifiques à l'hôpital) et en particulier (spécifiques au milieu hospitalier)? Mathieu Vanderheyden: Les institutions ont l'obligation d'organiser une fonction de médiation et pour les soins en ambulatoire, c'est le service fédéral de médiation Droits du patient qui est compétent. Les services de médiation des institutions de soins gèrent au minimum les insatisfactions et conflits relatifs aux Droits du patient (2002). Ces conflits portent principalement sur la qualité des soins et la relation de soins, mais aussi sur les autres droits, comme le droit à l'information, la tenue et l'accès au dossier médical, le consentement libre et éclairé... Beaucoup d'institutions ont également fait le choix de recourir à la médiation pour les insatisfactions hors Droits du patient. Ces conflits peuvent par exemple porter sur des problèmes d'infrastructure, l'hôtellerie, l'organisation des rendez-vous, des difficultés avec d'autres professionnels comme par exemple les secrétariats médicaux, le call center ou l'accueil. Les membres de l'Association des médiateurs en institution de soins (Amis) constatent que la proportion d'insatisfaction hors Droits du patient tend à augmenter et représente généralement plus de 50% des dossiers traités par les médiateurs en institution de soins. Combien de plaintes recevez-vous par an dans votre institution? Au niveau national? Le nombre de demandes traitées en médiation varie fortement d'une institution à l'autre et peut être influencé par divers facteurs comme l'accessibilité du médiateur et les procédures internes de gestion de plaintes. Ce nombre est donc difficilement comparable entre hôpitaux et ne constitue pas dans l'absolu une indication de la qualité du service fourni. Un grand nombre de plaintes peut être le reflet d'une proactivité et ouverture dans la gestion des conflits. L'accès à présent quasi généralisé au smartphone et à internet a aussi facilité l'introduction d'une demande en médiation et eu pour impact une augmentation notable du nombre de plaintes reçues sur la dernière décennie. Actuellement, au CHU Brugmann, je suis amené à traiter environ 450 demandes par an. Y a-t-il un profil-type du plaignant? Je ne pense pas qu'il soit possible de dresser un profil-type, cela dépend fortement du type de situation à la source de la demande, et des caractéristiques de la patientèle des hôpitaux concernés. En faisant de la médiation au CHU Brugmann, la dimension multiculturelle est inévitablement plus marquée que dans d'autres institutions. Dans certains dossiers, les difficultés linguistiques et le niveau socio-économique jouent certainement un rôle dans les incompréhensions menant à la plainte. Parce qu'assez souvent, la plainte porte plus sur une perception d'erreur ou une incompréhension que sur un manquement objectif. Les femmes sont par contre surreprésentées en médiation et l'hypothèse qui me semble la plus probable pour l'expliquer est qu'elles assument encore aujourd'hui plus souvent la responsabilité de la gestion des affaires familiales, y compris les soins de santé et les conflits qui en découlent. L'emploi des langues est-il devenu un problème ces dernières années en raison du caractère de plus en plus multiculturel de notre société? Le "lost in translation" mène-t-il particulièrement à des différends? Comment le résout-on? Comme je le mentionnais plus tôt, l'emploi des langues et la dimension multiculturelle jouent très certainement un rôle dans certains différends qui aboutissent en médiation. Le risque d'incompréhension augmente inévitablement quand les codes de lecture de part et d'autre s'éloignent. Le dialogue est généralement la meilleure réponse aux incompréhensions, et la médiation interculturelle peut aider au niveau traduction. Toutefois, je note, en tout cas au niveau du CHU Brugmann, que la sensibilité des parties à cette question se généralise, s'affine et en devient innée. Cette dimension est de plus en plus anticipée et abordée constructivement, ça me semble inévitable quand le multiculturalisme est tout aussi marqué parmi les professionnels que parmi les patients. Voyez-vous une aggravation ces dernières années en termes de nombre et de gravité des plaintes? Une évolution concernant certains types de problèmes qui se posent? Comme la société et les hôpitaux, la médiation en institutions de soins a vécu les phases covid avec des hauts et des bas. Les médiateurs ont parfois été amenés à sortir de leur rôle pour essayer de répondre humainement à des crises. Il y a d'abord eu une chute importante des plaintes avec les applaudissements, suivie d'une détresse des patients et des proches en raison des restrictions de visites. La relation de confiance entre praticiens et proches a été particulièrement mise à mal par ce fonctionnement à huis clos des hôpitaux et cela a engendré beaucoup de médiations souvent très lourdes émotionnellement. Depuis la réouverture et avec le sentiment de crise permanente qui s'installe, l'agressivité augmente indiscutablement de manière générale. J'ai pu observer une augmentation en 2022 du nombre de demandes que j'ai dû considérer comme 'irrecevables' car portant sur des faits de violence ou étant insultantes ou menaçantes envers les personnes. Beaucoup d'institutions ont mis en oeuvre des campagnes pour lutter contre l'agressivité, le CHU Brugmann ne fait pas exception. Statistiquement, quel est le pourcentage de plaintes qui débouche sur une issue heureuse (apaisement, résolution du conflit)? Là aussi, observe-t-on une évolution? La définition de 'solution' en médiation est une question épineuse. Elle l'est tout particulièrement dans le cadre de la médiation Droits du patient parce que nous ne faisons pas signer de protocole de médiation ni d'accords. Chaque médiateur et chaque partie aura donc une conception un peu différente de ce qui fait le succès ou l'échec d'une médiation. Très souvent, nous n'avons pas d'indication en retour. Quand les réponses sont satisfaisantes et que chacun est apaisé, nous n'avons juste plus de nouvelles. Objectivement, on peut tout de même constater que c'est assez rare que des situations abordées en médiation fassent par la suite l'objet d'autres procédures. Les médecins sont-ils confrontés à des problèmes spécifiques par rapport aux autres professionnels hospitaliers? Si oui, lesquels? De par la nature de leur métier, les médecins sont forcément au centre des insatisfactions relatives aux Droits à des soins de qualité. La spécialisation croissante de la médecine et les multi-pathologies de plus en plus complexes et fréquentes ont aussi un impact sur les problématiques rencontrées par les médecins. Les médiations dans ces situations se complexifient car il ne s'agit plus d'un acte ou une décision par un médecin, mais du fonctionnement de tout un écosystème au sein duquel aucun praticien particulier n'a vraiment la responsabilité finale. Enfin, même si la législation ne prévoit pas de "droit à la médiation" pour les praticiens, en tant que professionnels expérimentés, ils sont souvent plus à même d'identifier et d'anticiper les situations qui pourraient devenir conflictuelles. Cette fonction existe légalement depuis combien de temps? Faut-il un diplôme particulier pour l'exercer? Une expérience particulière? La fonction a été instaurée en 2002, avec la législation 'Droits du patient'. Légalement, un diplôme de l'enseignement supérieur de type court suffit, mais tous les médiateurs sont d'accord pour dire qu'au regard de la complexité des situations, des responsabilités qui incombent aux médiateurs et des pressions dont nous pouvons faire l'objet, c'est très nettement insuffisant. Pour tenter d'y pallier, l'Amis propose à ses membres des formations continues, intervisions, et soutiens entre médiateurs. L'Amis souhaite obtenir le relèvement du seuil de formation exigé, la création d'un agrément du médiateur en santé avec la définition de bonnes pratiques, un code de déontologie et des exigences de formation continue. Quelles sont les qualités requises pour être un médiateur? Contrairement à ce que beaucoup imaginent, un médiateur n'est pas un diplomate: il ne faut pas avoir peur du conflit pour faire ce métier. Il faut pouvoir rester calme quand plus personne ne l'est, et parfois résister à des pressions et demandes faites sous le coup de l'émotion ou du stress. Un bon médiateur, selon moi, travaille discrètement à démêler des situations chargées émotionnellement en gagnant la confiance des parties impliquées. Cela commence par entendre et comprendre les situations et contraintes de chacun, et remonter le fil. C'est parfois un travail d'équilibriste. Y a-t-il un conseil particulier à donner aux médecins? En tant que médiateur, avez-vous une approche particulière vis-à-vis des médecins? Ceux-ci réagissent-ils différemment aux problèmes, aux conflits que les autres professionnels de soins? Pour toutes sortes de raisons, il peut parfois être difficile de reconnaître que la médecine et les médecins ne sont pas infaillibles. L'erreur est humaine et quand inévitablement elle se produit, une communication transparente et professionnelle peut faire toute la différence. Un événement indésirable bien géré réduit drastiquement les risques de conflits. Je ne peux qu'encourager les médecins à anticiper ces situations dans lesquelles ils auront à communiquer des informations difficiles, de se poser la question du moment et de la manière de communiquer, de savoir à qui ils peuvent demander conseil quand cela se produit. Jusqu'à preuve du contraire, la formulation de regrets, la reconnaissance des faits objectifs et fournir la première assistance ne constitue pas une reconnaissance de faute. On peut être désolé des conséquences d'un accident sans en porter la responsabilité, et j'inviterais ceux qui ne sont pas à l'aise avec ça à vérifier avec leur conseil ou leur assureur jusqu'où ils peuvent aller sans franchir la ligne rouge.