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Le Dr Sybille Geers (service de Médecine physique et de Réadaptation, UZ Gent) précise: "Certains patients n'ont pas vraiment de douleur fantôme après une amputation, mais ressentent le membre comme si la partie amputée était toujours là - on parle de sensation fantôme. Cela peut être effrayant. Une autre forme de sensation fantôme, par exemple, est le prurit." Jusqu'à 80% des patients éprouvent l'une ou l'autre forme de sensation ou de douleur fantôme après une amputation. La douleur fantôme sensu stricto peut s'exprimer par des picotements extrêmement douloureux, une douleur ressemblant à un coup de poignard ou à une brûlure, ou encore une sensation de froid. Somme toute, les dimensions typiques de la douleur neuropathique se retrouvent également ici. Le patient peut avoir l'impression que le bras ou la jambe amputé(e) est gonflé(e), ou indiquer que le membre est dans une certaine position. Dans environ un quart des cas de douleur du membre fantôme, un phénomène de télescopage se produit: dans le cas d'une amputation de la jambe, par exemple, le patient a l'impression que le membre fantôme se raccourcit progressivement, sur une période de plusieurs mois ou années. En d'autres termes, le pied fantôme se rapproche toujours plus du moignon, comme un télescope que l'on fait glisser. Finalement, le pied jouxte le moignon ou finit même par chevaucher celui-ci. "Dans ce cas, il peut être difficile de faire la différence entre la douleur fantôme et la douleur du moignon", explique le Dr Geers. "Mais la plupart du temps, le diagnostic différentiel entre les deux est facile à établir." La douleur fantôme peut survenir soit immédiatement après l'amputation - au cours des premières semaines - soit seulement après plusieurs mois. Exceptionnellement, elle ne s'installe que plusieurs années après l'amputation. Cette différence de chronologie reste inexpliquée à ce jour. Un facteur prédictif important de l'apparition de la douleur fantôme est l'existence d'une douleur avant l'amputation: plus la douleur préexistante est intense, plus le risque d'apparition d'une douleur fantôme est élevé. Sybille Geers commente: "Une douleur qui a persisté pendant plusieurs mois avant l'amputation risque fort de se maintenir avec la même intensité par après. Cela a des implications: si un patient se présente pour une amputation dans le but principal de se débarrasser de sa douleur, nous sommes très prudents quant à la décision d'accéder à sa demande. Il est possible que la douleur après l'amputation soit aussi forte, voire plus forte qu'avant l'intervention. L'anxiété et la dépression sont également des facteurs propices à la douleur fantôme. En outre, le 'contrôle' du membre amputé est un critère: si l'on demande à un patient de 'bouger' son pied amputé et qu'il le fait facilement, la douleur est généralement moins sévère."Comment la douleur du membre fantôme apparaît-elle? Dans des circonstances normales, il existe un échange réciproque d'informations entre les membres et les cortex somatosensoriel et moteur du cerveau. Mais lorsqu'un membre est amputé, le flux d'informations afférentes provenant du membre affecté s'arrête. Il s'ensuit une réorganisation du cortex somatosensoriel, le champ représentatif du membre amputé se rétrécissant peu à peu au profit des champs de représentation adjacents. "On peut comprendre la douleur fantôme comme une sorte de mémoire du membre amputé stockée dans le champ de représentation somatosensoriel", explique le Dr Geers. "Toutefois, si le champ de représentation du membre affecté se rétrécit au fil du temps et qu'il n'en reste presque rien, on pourrait s'attendre à ce que tout rentre dans l'ordre. Rien n'est moins vrai: la recherche montre que cette réorganisation renforce justement la douleur fantôme, qui sera d'autant plus sévère que la réorganisation est radicale. C'est là que réside le principe du traitement: nous essayons d'élargir à nouveau le champ de représentation somatosensorielle du membre amputé."Un champ de représentation somatosensoriel est maintenu ou (ré)élargi sous l'effet d'informations afférentes acheminées à partir du membre ou de la partie du corps impliqué. Si ce membre n'est plus présent, il est possible de 'tromper' le cerveau grâce à la thérapie miroir. Dans cette thérapie, un miroir est placé entre les membres supérieurs ou inférieurs de manière à ce que le patient ne puisse pas voir le membre amputé. En même temps, il regarde dans le miroir le reflet de son membre intact, avec lequel il effectue des mouvements. Le patient est invité à se concentrer sur l'idée que, dans le miroir, il voit réellement son membre amputé. "Le patient doit vraiment essayer de tromper son cerveau", précise le Dr Geers. "S'il se convainc que dans le miroir il ne voit pas son membre amputé, ou s'il ne se concentre pas et laisse ses pensées s'égarer, le traitement ne fonctionnera pas."Le signal afférent suscité chez un patient correctement focalisé permet au champ de représentation somatosensoriel du membre amputé de s'étendre à nouveau. "Avec cette approche, nous constatons, par exemple, que le membre fantôme qui s'est raccourci en réponse à un phénomène de télescopage retrouve progressivement sa longueur initiale dans le cerveau." Le Dr Geers souligne que la thérapie miroir échoue toutefois chez certains patients parce qu'ils n'ont pas encore fait le deuil de leur membre amputé. La thérapie miroir peut alors même augmenter la douleur fantôme. Parfois, ces personnes sont aidées en ignorant simplement la douleur fantôme, en se convainquant qu'elles ne peuvent pas avoir de douleur dans leur membre puisqu'il n'est plus là. L'importance de l'autosuggestion dans l'évolution de la douleur fantôme est également démontrée par l'expérience onirique des patients amputés: les personnes qui rêvent d'elles-mêmes avec un corps intact ont tendance à ressentir des douleurs fantômes moins sévères que les personnes qui se voient amputées dans leurs rêves. Une condition préalable à l'application de la thérapie miroir est que le patient dispose encore d'un membre controlatéral sain, alors qu'il arrive régulièrement que des personnes perdent leurs deux jambes ou leurs deux bras à la suite d'un accident. Pour ces personnes, la technologie moderne vient à la rescousse avec NeuromotusTM. Il s'agit d'un système où des électrodes placées sur la peau captent les signaux myoélectriques, qui seront traités par un algorithme complexe basé sur l'intelligence artificielle et l'apprentissage automatique. Grâce à un système de reconnaissance de motifs, le mouvement d'un membre intact est alors reconstruit et visualisé sur un écran d'ordinateur. Sybille Geers explique: "Prenons le cas d'une personne amputée d'un membre supérieur, à qui il ne reste qu'un moignon de bras. Des électrodes sont placées sur le moignon. Nous lui demandons d'ouvrir et de fermer sa main amputée. Alors que les muscles du haut du bras restent inertes au cours de ce mouvement chez une personne intacte, ils se contracteront chez un patient qui a été amputé du membre en question. Cette activité musculaire lors de l'ouverture et de la fermeture de la main est détectée par les électrodes et reconnue par le système comme un motif, de sorte que le patient voit à l'écran un membre homolatéral dont la main s'ouvre et se ferme. Ce feed-back active le champ sensorimoteur concerné et a donc le même effet que la thérapie miroir."NeuromotusTM présente un certain nombre d'avantages. Le système offre non seulement une issue aux patients souffrant d'une amputation bilatérale, mais il permet également au praticien de s'assurer, grâce à l'activité myoélectrique détectée, que l'esprit du patient est bien concentré sur la thérapie. En outre, le patient est plus libre de ses mouvements que dans le cas de la thérapie miroir, où il est lié à la portée du miroir. La thérapie miroir présente en revanche pour avantage que le patient peut l'appliquer chez lui, en fonction de ses besoins (lire ci-dessous). Ces traitements sont appliqués jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de douleur fantôme. Le délai pour parvenir à ce résultat est très variable, allant de quelques semaines à quelques mois. Sur le versant médicamenteux, des molécules également utilisées dans d'autres formes de douleur neuropathique seront administrées (antidépresseurs ou antiépileptiques, et opioïdes si nécessaire). Des techniques telles que la relaxation et la thérapie par l'exercice sont mises en avant dans la littérature, mais méritent d'être mieux documentées. Une douleur fantôme correctement traitée peut réapparaître à tout moment, de préférence pendant les périodes de froid, de stress ou de maladie. Une infection respiratoire telle que la grippe est généralement précédée, pendant quelques jours, d'une aggravation ou d'une réapparition de la douleur fantôme. Le Dr Geers détaille: "Si la douleur réapparaît après une longue période d'accalmie, nous en recherchons toujours la cause. Il peut s'agir, par exemple, d'une hernie lombaire accompagnée d'une lombosciatique avec irradiation dans la jambe, ce qui, chez un patient amputé, est ressenti comme une douleur fantôme." Dans un certain nombre de cas, la cause de la récidive reste inconnue.