...

À quelque chose malheur est bon: l'affaiblissement de la conjoncture économique qui se profile depuis le printemps avait fini par atténuer les craintes d'inflation, aussi vrai que diverses matières premières avaient décroché de leurs récents sommets: blé, pétrole, cuivre... Par conséquent, les banques centrales ne vont-elles pas se montrer moins agressives que ne le craignaient les investisseurs dans leur volonté de remonter les taux d'intérêt? Un mouvement qui rend automatiquement moins attrayants les actifs financiers, actions comme obligations. Les bourses ont dès lors rebondi à partir de la mi-juin. Jusqu'à la douche froide de la fin août! "Jerôme Powell siffle la fin de l'euphorie estivale", écrivait la semaine dernière un gestionnaire. Les marchés financiers ont en effet fort mal pris les déclarations faites le 26 août, dans le cadre du fameux forum de Jackson Hole, le rendez-vous annuel des banquiers centraux, par le président de la Banque centrale américaine. Il a affirmé que la lutte contre l'inflation passera par une "période durable de croissance en dessous de la tendance de long terme". En dessous, mais de combien? Pour certains, c'est clair: tant pis si la hausse des taux finit par engendrer une récession! Et Jerome Powell de concéder que cette politique aura des "conséquences douloureuses pour les ménages et les entreprises". Pas de sang, mais en tout cas des larmes... Ces propos n'étaient visiblement pas vraiment attendus, à en juger par le rouge vif ensuite affiché par les bourses. Vu les quelques signaux passés à l'orange en matière de tonus économique, certains investisseurs espéraient un ton un peu moins hawkish de la part de Powell. Hawkish, qui signifie agressif, est devenu un mot très à la mode dans les commentaires financiers. Il désigne l'attitude de la Fed et les prises de position de son président quand il évoque la nécessité de relever les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation. Petite parenthèse: avec un PIB en recul tant au premier qu'au deuxième trimestre de cette année, les États-Unis sont techniquement en récession, puisque telle en est la définition officieuse. Du moins en Europe. Il n'en va pas de même outre-Atlantique, où c'est un organisme indépendant, le National Bureau of Economic Research, qui est chargé de déclarer, a posteriori, s'il y a eu récession. Ses critères sont nombreux et l'évolution du PIB... y est secondaire. Il est cependant un autre indicateur qui est passé au rouge: le PMI. Il est basé sur des enquêtes réalisées dans les entreprises et considéré comme une excellente préfiguration de la conjoncture économique. Or, l'indice PMI Composite, qui reprend tant l'industrie que les services, est tombé à 45 points à peine en août aux États-Unis. Soit très nettement en dessous de la barre des 50 qui marque la frontière entre expansion et ralentissement. Il vient de plus de 52 en juin et de près de 58 en mars. C'est dire que la conjoncture s'est fameusement affaiblie. Pour le reste, il est vrai que le marché de l'emploi est au beau fixe: un taux de chômage de l'ordre de 3,5% à peine s'assimile quasiment au plein emploi. En témoignent des hausses salariales inédites en une génération, sinon deux. De son côté, le marché immobilier est carrément en surchauffe, avec des prix moyens ayant explosé de quelque 20% en un an! Cette flambée, alliée à la hausse des taux d'intérêt, commence toutefois à refroidir l'ardeur des acheteurs. Alors, récession ou pas? On aura en principe la réponse dans... quelques mois. Les économistes ne se font de toute manière pas de mauvais sang pour les États-Unis. Beaucoup moins que pour l'Europe en tout cas. Certes, la zone euro affiche pour le premier semestre une hausse de son PIB, le progrès du 2e trimestre (+0,6%, après +0,5% au 1er) étant même supérieur aux attentes, grâce au boom du tourisme dans les pays du Sud. Beaucoup mieux que les États-Unis! Le Vieux continent souffre cependant d'un handicap considérable et bien connu de la population: la flambée de l'énergie. Si le prix du pétrole est grosso modo le même pour l'ensemble du monde, il n'en va pas de même du gaz et de l'électricité. Et tandis que le pétrole a décroché de ses sommets récents, le gaz vole de record en record... en Europe. Ce n'est, jusqu'ici en tout cas, pas sur le plan quantitatif que se situe le problème: n'a-t-il pas été clamé ces derniers jours que l'Europe avait quasiment atteint ses objectifs de stocks pour l'hiver? Par ailleurs, la dépendance à l'égard de la Russie a beaucoup baissé en peu de temps, notamment grâce à des exportations américaines largement redirigées vers l'Europe, au détriment de l'Asie. Le problème est que ceci s'est réalisé au prix fort. Le million de BTU (c'est l'unité de mesure pour le gaz) se négociait récemment 70 dollars en Europe, contre une dizaine seulement aux États-Unis! Il n'est donc pas étonnant que, à l'instar des consommateurs, les entreprises poussent des cris d'orfraie. Les usines mises au ralenti ont fait l'actualité la semaine dernière, tandis que plusieurs économistes et fédérations professionnelles s'inquiètent de possibles délocalisations. Comment s'étonner que les gestionnaires d'actifs se montrent timides à l'égard des actions européennes? L'évolution récente des marchés illustre bien ce sentiment. La bourse de Bruxelles était, en juin, tombée plus bas que le plancher signé début mars, après l'invasion de l'Ukraine. Elle avait regagné 9% à la mi-août, mais avait reperdu ce terrain à la fin du mois. Même schéma, en un peu moins accentué, pour les bourses européennes dans leur ensemble. La bourse américaine, elle, présente un graphique assez différent: elle avait grimpé de 17% entre son plancher de juin et la mi-août et n'en a reperdu que la moitié durant la quinzaine suivante. L'évolution de la parité entre le dollar et l'euro témoigne plus spectaculairement encore de la défiance des investisseurs à l'égard du Vieux continent, puisque l'euro est tombé en dessous d'un dollar peu avant la fin août, alors qu'il valait 15% de plus au début février! La plupart des professionnels s'accordent aujourd'hui sur la prudence qu'il convient d'afficher à l'égard de l'Europe, probablement pour de longs mois encore.