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La dengue est une infection virale transmise par les moustiques du genre Aedes. Endémique dans une centaine de pays, principalement en Asie et en Amérique du Sud, elle touche chaque année quelque 400 millions de personnes. Son décours reste le plus souvent bénin, avec une semaine de fièvre, de frissons et de malaise, mais environ un quart des patients présentent un tableau plus sévère marqué par des douleurs musculaires et articulaires invalidantes. Dans un certain nombre de cas, on observe également des hémorragies potentiellement létales qui sont attribuées à un syndrome hyperinflammatoire - le fameux choc cytokinique dont on a tant parlé dans le cadre du Sars-CoV-2. Dans le domaine de l'immunologie, la dengue fait figure de véritable paradigme. Quatre sérotypes du virus sont actuellement en circulation ; après l'infection par un sérotype donné, le patient reste immunisé à vie contre celui-ci. L'immunité croisée contre les autres sérotypes s'estompe par contre rapidement, de telle sorte que les personnes qui vivent dans une zone endémique seront souvent tôt ou tard infectées par un second virus... et c'est là qu'entre en scène le mécanisme du péché antigénique originel. Lorsque le système immunitaire est confronté à ce second sérotype, il le reconnaît en effet partiellement et déclenche rapidement la réponse développée contre le premier. Comme les deux sérotypes présentent des différences immunologiques, cette réponse immune n'est toutefois pas optimale, ce qui explique au moins en partie pourquoi un second épisode de dengue est généralement plus sévère que le premier. Ce péché antigénique originel a également été décrit pour le virus influenza et on l'a même évoqué dans le cadre du covid-19 (voir l'article ci-contre). Une infection par le virus Sars-CoV-2 chez une personne précédemment vaccinée pourrait induire une superimmunité... mais on pourrait aussi imaginer que le système immunitaire se borne à mobiliser la mémoire immunitaire développée suite à la vaccination sans déclencher de réponse plus large au virus. Les résultats dévoilés il y a quelques semaines par le Pr Neyts sont le fruit de plus d'une dizaine d'années de screening automatisé de dizaines de milliers de molécules. Celle qui est actuellement à l'étude présente, in vitro, une efficacité comparable contre chacun des quatre sérotypes en circulation. Au cours d'une seconde phase de recherche, un effet aussi bien préventif que curatif a pu être observé dans un modèle murin, avec une action extrêmement efficace sur la charge virale et sur les manifestations cliniques de l'infection. Des études plus poussées ont permis d'établir que le produit bloque le complexe de réplication du virus - un système qui s'appuie sur la collaboration entre plusieurs protéines pour assurer la réplication intracellulaire du virus de la dengue. La nouvelle molécule doit être administrée dans les jours qui suivent l'apparition des symptômes, ce qui n'est malheureusement pas évident dans les pays où la maladie est endémique. Dans une interview accordée à Science, le Pr Neyts a souligné que le recours à un traitement comme celui-ci doit se doubler de campagnes de sensibilisation à l'attention aussi bien des médecins que des patients. Entre-temps, des essais cliniques sont en cours, mais l'expert a préféré ne rien en dire à ce point dans le temps. Il a néanmoins laissé entendre qu'une première communication serait organisée au cours de la seconde quinzaine de novembre, dans le cadre du congrès de l' American Society of Tropical Medicine and Hygiene.